Un atelier visant à renforcer le partenariat entre les chercheurs et les décideurs politiques s’est tenu les 27 et 28 novembre à Saly, située à 85 km à l’Ouest de Dakar, la capitale, a constaté APA.
Le Sénégal, à l’instar de nombreux pays d’Afrique subsaharienne, fait face à des défis croissants liés au changement climatique. Ce phénomène exacerbe les vulnérabilités des systèmes agricoles, hydriques et pastoraux, compromettant ainsi la souveraineté alimentaire et la stabilité socio-économique.
Dans ce contexte, un atelier national organisé à Saly par l’ICRISAT et ses partenaires les 27 et 28 novembre 2024 a réuni des chercheurs, des décideurs politiques et divers acteurs pour réfléchir ensemble à des solutions pragmatiques. L’objectif principal est clair : réduire l’écart entre la production scientifique et les politiques publiques pour favoriser une adaptation efficace aux impacts climatiques.
« L’objectif de cet atelier n’est pas d’innover fondamentalement en matière de politique agricole pour le Sénégal, mais plutôt d’examiner comment les politiques existantes peuvent être mises en œuvre de manière efficace afin de minimiser les risques pour les petits exploitants agricoles dans les domaines de l’élevage, des cultures et de la pêche. Les parties prenantes se réunissent ainsi pour réfléchir aux meilleures approches à adopter pour optimiser l’application des politiques agricoles en place dans le pays », a expliqué Dr Folorunso Akinseye, scientifique en agro-climatologie à l’Institut international de recherche sur les cultures des zones tropicales semi-arides (ICRISAT).
Les impacts du changement climatique au Sénégal se manifestent de manière multiforme. Les épisodes de sécheresse prolongée, l’irrégularité croissante des précipitations et l’intensification des inondations compromettent la productivité agricole.
Ces aléas s’accompagnent de migrations massives des ressources halieutiques vers le nord, exacerbant les tensions sur les moyens de subsistance des pêcheurs.
Parallèlement, la dégradation des sols réduit la productivité des terres agricoles, augmentant les défis pour les petits exploitants. Les chiffres de l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD) sont alarmants : le Sénégal accuse des déficits de 1,3 million de tonnes de riz et de 700 000 tonnes de blé.
Des solutions existent mais peinent à atteindre les décideurs
Depuis plus d’une décennie, les chercheurs sénégalais, soutenus par des initiatives internationales telles que ClimBeR de One CGIAR, produisent des résultats scientifiques robustes et des innovations adaptées au contexte local. Par exemple, la plateforme Climate Smart Governance Dashboard développée sous ClimBeR offre un cadre intégré pour guider les politiques climatiques au Sénégal.
Cependant, comme le souligne Issa Ouédraogo, chercheur senior à l’Alliance of Diversity International, « les évidences scientifiques existent, mais leur vulgarisation et leur intégration dans les politiques publiques demeurent limitées. »
Ce constat illustre un défi majeur : le rôle des chercheurs est souvent confiné à la production de données, alors que la vulgarisation et la mise en œuvre des résultats relèvent des institutions étatiques et des décideurs politiques. Et justement, « un des objectifs de cet atelier est de réduire ce fossé qui existe entre les chercheurs et les décideurs politiques afin de mieux faire face aux effets néfastes du changement climatique », a fait savoir Dr Ouédraogo.
Au Sénégal, des structures comme l’Agence nationale de conseil agricole et rural (ANCAR) et les Directions régionales de développement rural (DRDR) jouent un rôle clé dans la vulgarisation des innovations agricoles. Toutefois, selon les participants à l’atelier, les capacités de ces structures doivent être renforcées pour garantir une diffusion plus large et plus efficace des solutions scientifiques.
Le rôle crucial de la mécanisation agricole
L’un des points clés abordés lors de cet atelier est la nécessité de moderniser la mécanisation agricole en l’adaptant aux réalités climatiques et économiques des petits producteurs. Bounama Dièye, directeur de la modernisation de l’équipement rural, a ainsi présenté des perspectives novatrices en matière de mécanisation.
Pour lui, il est impératif de mettre en place une politique de mécanisation agricole adaptée aux besoins des producteurs, tout en tenant compte de la variabilité et des changements climatiques. Cette démarche doit notamment s’appuyer sur des résultats scientifiques solides.
À cet égard, a-t-il dit, « les chercheurs et les instituts de recherche sont appelés à fournir des résultats probants qui soutiendront la mise en œuvre de l’approche adoptée par l’État du Sénégal. Cette dernière consiste à abandonner progressivement l’achat de tracteurs pour les attribuer à des individus et à privilégier la subvention des services agricoles. L’objectif est de démocratiser l’accès à ces services, permettant ainsi aux petits exploitants et aux exploitations agricoles familiales de bénéficier de mécanismes efficaces pour améliorer et renforcer leur productivité agricole. »
De son côté, Ibrahima Sall, Conseiller technique N°1 du Secrétaire d’Etat aux coopératives agricoles, a fait savoir que des « réformes phares » sont en train d’être mises en place pour, non seulement, faire face aux effets néfastes du changement climatique, mais aussi atteindre la souveraineté alimentaire à l’horizon 2034, en cohérence avec l’agenda national de transformation.
« Parmi les réformes phares, j’en citerai l’élaboration de la deuxième génération de loi agrosylvopastorale, la modernisation des exploitations familiales, le financement du secteur agricole… », a-t-il indiqué.
Pour ce faire, a-t-il révélé, le Ministère de l’Agriculture, de la Souveraineté Alimentaire et de l’Elevage (MASAE) s’appuie sur une quarantaine de préprogrammes et une vingtaine de réformes dont les besoins de financement s’élèvent à plus de 10 000 milliards de FCFA.
L’atelier de Saly a également permis de fixer des objectifs spécifiques visant à orienter les politiques publiques vers une meilleure adaptation aux défis climatiques. Tout d’abord, il s’agit de renforcer la cohérence des politiques agricoles en intégrant les dernières avancées scientifiques, afin de garantir leur pertinence et leur efficacité.
Ensuite, l’atelier a mis en lumière la nécessité d’identifier les lacunes présentes dans les stratégies actuelles, dans le but de développer des mesures plus adaptées aux réalités climatiques du pays.
Par ailleurs, la priorisation des investissements dans la recherche a été soulignée comme un levier essentiel pour favoriser le développement d’outils et d’approches innovants.
Enfin, un appel a été lancé pour encourager des collaborations multisectorielles, impliquant notamment les chercheurs, les ONG, les producteurs agricoles et les décideurs publics, afin de créer une synergie durable pour répondre aux enjeux climatiques.
Une plateforme pour un dialogue renforcé
La Plateforme nationale de dialogue science-politique pour l’adaptation de l’agriculture au changement climatique (CCASA), mise en place par le ministère de l’Agriculture, joue un rôle central dans ce processus. Cette structure multipartite facilite la synergie entre les chercheurs et les décideurs, permettant ainsi de transformer les résultats scientifiques en politiques effectives.
« Il est essentiel de renforcer ces plateformes pour garantir que chaque acteur, du chercheur au producteur, contribue à l’élaboration de solutions durables », a affirmé le Dr Cheikh Guèye, modérateur de l’atelier.
À l’issue de cet atelier, les participants espèrent produire un plan d’action détaillé et des recommandations pragmatiques pour améliorer les politiques d’adaptation climatique.
Ces résultats seront soumis au gouvernement sénégalais pour validation et mise en œuvre. En outre, des efforts seront consacrés à la création d’un cadre institutionnel permettant une meilleure interaction entre la recherche et les politiques publiques.
« Nous ne pouvons relever les défis climatiques qu’en construisant un pont solide entre la science et la politique. Cet atelier est une contribution significative à cet effort collectif », a conclu Dr Akinseye.
ARD/Sf/te/APA