Le rapport de The Lancet, cosigné par 30 experts après deux ans de travaux, appelle à une transformation systémique pour lutter contre les disparités de genre qui minent l’accès aux soins et les carrières sanitaires à l’échelle mondiale.
Alors que les inégalités de genre persistent dans les systèmes de santé à travers le monde, un nouveau rapport de la prestigieuse revue « The Lancet », rendu public mardi soir à Dakar, sous l’égide de Enda Santé, propose une feuille de route ambitieuse pour y remédier.
Intitulé « Parvenir à la justice de genre pour l’équité en santé mondiale », le document exhaustif révèle comment les constructions sociales liées au genre continuent d’entraver l’accès aux soins et les carrières professionnelles, tout en offrant des solutions concrètes pour bâtir des systèmes de santé plus justes.
Le document, fruit de deux ans de travaux impliquant 30 experts, dresse un tableau préoccupant de la situation actuelle. Malgré des décennies de progrès, les normes de genre profondément ancrées continuent de créer des disparités flagrantes.
« Sommes-nous tous égaux face à la maladie ? Non. Y a-t-il une équité ? Certainement non », relève El Hadj As Sy, coprésident de la Lancet Commission on Gender and Global Health (LCGGH), pointant du doigt « les rapports de pouvoir entre hommes et femmes, entre zones rurales et urbaines, entre races. »
C’est ainsi par exemple que les femmes, qui représentent 70 % des travailleurs de santé dans le monde, se heurtent à un plafond de verre persistant, avec moins de 25 % occupant des postes de direction selon les données de l’ONG Global Health 50/50.
« Ce qui est frappant, c’est que ces inégalités ne sont pas le fruit du hasard, mais bien la conséquence de structures historiques et de rapports de pouvoir soigneusement entretenus », explique le Pr Sarah Hawkes, co-présidente de la Commission.
La recherche met notamment en lumière comment le colonialisme et le capitalisme ont façonné des systèmes de santé reproduisant les inégalités existantes.
« Ceci révèle des dysfonctionnements profonds : dans nos normes sociales, nos valeurs, mais surtout dans les rapports de pouvoir », souligne As Sy.
Évoquant le cas spécifique de l’Afrique, El Hadj As Sy, également ancien secrétaire général de la Croix-Rouge internationale, souligne que le continent noir « est le creuset de nombreux problèmes de santé », où les inégalités de genre sont « accentuées par les chocs socio-économiques. »
Rejetant toute essentialisation, il affirme que les tendances sont globales. « Prenez la consommation d’alcool ou de tabac : les hommes en usent plus que les femmes partout dans le monde. Seules les proportions varient », dit-il.
Autre constante d’après M. Sy, les hommes fréquentent moins les structures sanitaires que les femmes, une pratique universelle. Selon lui, ces données prouvent que le genre doit être placé au centre des politiques sanitaires pour corriger ces déséquilibres.
« Une santé globale ne peut être atteinte que si tout le monde compte, chacun et chacune. Quand on parle de santé globale, on ne parle pas seulement d’absence de maladie. L’OMS la définit comme un état complet de bien-être physique, social et mental », estime-t-il.
Des recommandations articulées autour de trois axes prioritaires
Face à ce constat, la Commission propose une série de mesures concrètes pour instaurer une véritable justice de genre dans le domaine de la santé.
Le rapport propose une feuille de route articulée autour de plusieurs axes parmi lesquels figurent : la clarification des concepts pour se doter d’un cadre conceptuel unifié pour guider les politiques, car « on définit le genre comme on veut, créant des malentendus » ; l’amélioration des données, car « des statistiques ventilées par genre sont indispensables pour dissiper les préjugés » ; enfin, « engendrer » les politiques, expliquant qu’« il s’agit de transformer les différences en complémentarités, pas en exclusions. La couverture santé universelle doit intégrer cette vision. »
Pour y arriver, la Commission plaide pour l’intégration systématique d’une perspective de genre dans toutes les législations sanitaires, de la couverture universelle aux programmes de vaccination. Elle propose notamment la mise en place d’audits obligatoires sur les écarts de rémunération et l’instauration de quotas pour assurer une représentation équitable aux postes de décision.
Le rapport ne se contente pas d’identifier les problèmes, il nomme aussi les obstacles. Une section entière est consacrée aux « mouvements anti-genre », ces groupes bien organisés et financés qui, selon les auteurs, « instrumentalisent des discours progressistes pour bloquer toute avancée. »
La Commission appelle à dénoncer leurs stratégies et à réguler strictement les industries qui exploitent les stéréotypes de genre, comme le marketing genré pour les produits nocifs (tabac, alcool) ciblant spécifiquement les femmes dans les pays en développement.
Pour donner corps à ces ambitions, des moyens conséquents seront nécessaires. La Commission propose un mécanisme de financement innovant : une taxe sur les produits nocifs pour la santé dont les recettes seraient spécifiquement affectées à des programmes sensibles au genre. « Il s’agit de faire payer ceux qui profitent des inégalités pour financer leur résolution », résume Pr Sarah Hawkes.
Conscients de l’ampleur de la tâche, les auteurs appellent à l’organisation d’un sommet international d’ici 2026 sous l’égide de l’OMS. « Les solutions existent, ce qui manque aujourd’hui, c’est la volonté politique de les mettre en œuvre », conclut le rapport, qui sera accompagné d’une plateforme interactive de suivi des indicateurs clés à partir de juin 2025.
ARD/ac/Sf/APA