Invitée d’honneur de la session inaugurale de la Global Growth Conference 2025, l’ancienne Première ministre sénégalaise Aminata Touré a appelé, mardi à Rabat, à une reconfiguration en profondeur des modèles économiques africains.
Lors de la Global Growth Conference, à Rabat, estimant que les paradigmes hérités de l’histoire coloniale et de l’économie classique occidentale sont inadaptés aux réalités structurelles du continent, Mme Aminata Touré a invité les dirigeants à repenser les fondements des économies africaines.
S’exprimant en marge de la conférence internationale organisée sous le thème « Financer la croissance et façonner la transition énergétique : stimuler l’investissement, renforcer l’attractivité et garantir la stabilité », Mme Touré a dénoncé la marginalisation persistante de l’économie informelle dans les politiques publiques africaines, alors même qu’elle constitue, selon ses mots, « le cœur vivant de la création de richesse réelle sur le continent ».
« Nous devons sortir de la logique d’Adam Smith appliquée aveuglément à des contextes qui n’ont rien à voir avec ceux de nos sociétés. Il est temps pour l’Afrique de créer sa propre école de pensée économique », a déclaré la conseillère du président sénégalais, appelant les chercheurs et décideurs africains à repenser les fondements mêmes de la croissance.
Elle a insisté sur la nécessité d’intégrer les microentreprises et les structures communautaires dans les stratégies nationales de développement, déplorant que « 80 % de l’économie nigériane, par exemple, reste informelle et échappe à la comptabilité nationale ».
Une exclusion qui, selon elle, compromet toute tentative de croissance inclusive.
Mme Touré a également souligné l’urgence d’une industrialisation accélérée et d’une modernisation agricole adaptée aux défis contemporains, en lien avec la création d’emplois pour une jeunesse nombreuse. Elle a en outre mis en garde contre une adoption précipitée de l’intelligence artificielle dans les pays africains, au risque de fragiliser davantage le marché de l’emploi local.
Sur le plan monétaire, l’ancienne cheffe du gouvernement sénégalais a renouvelé son plaidoyer en faveur de l’instauration d’une monnaie ouest-africaine, seule à même, selon elle, de garantir une véritable souveraineté budgétaire. Elle a qualifié le franc CFA de « monnaie louée », appelant à une rupture claire avec ce système.
Interrogée sur la question énergétique, Mme Touré a défendu une approche équilibrée, soutenant le droit des pays africains à exploiter leurs ressources fossiles dans une perspective de transition graduelle vers les énergies renouvelables.
« On ne peut pas interdire aux pays africains d’utiliser leur gaz et leur pétrole, alors même qu’ils entament à peine leur décollage économique », a-t-elle martelé.
Enfin, elle a alerté sur l’impact ravageur de la corruption sur les efforts de développement, évoquant le cas du Sénégal où plusieurs milliers de milliards de francs CFA se seraient volatilisés. « Il n’y aura pas de croissance équitable sans une lutte acharnée contre la corruption et l’impunité », a-t-elle conclu.
La Global Growth Conference, organisée par l’Institut Amadeus, réunit à Rabat les 20 et 21 mai de hauts responsables gouvernementaux, experts, diplomates et investisseurs autour des grands enjeux économiques et énergétiques du continent africain.
MK/ac/Sf/APA