Saisis après le décret de dissolution des partis, les tribunaux civils maliens ont déclaré les recours irrecevables.
Trois juridictions civiles de Bamako ont récemment rendu des ordonnances rejetant les requêtes introduites par plusieurs citoyens maliens contre les décrets présidentiels de dissolution des partis politiques. Les recours, déposés notamment par l’ancien ministre Mountaga Tall, ont été jugés irrecevables, sans que les tribunaux ne se prononcent sur les atteintes alléguées aux libertés fondamentales. Les requérants annoncent faire appel, tandis que d’autres procédures sont en cours devant la Cour suprême.
Tout est parti du 13 mai 2025, lorsqu’un décret présidentiel n°2025-0319/PT-RM signé par le chef de l’État de la transition, le général Assimi Goïta, a prononcé la dissolution de l’ensemble des partis politiques et organisations à caractère politique au Mali. Le texte interdit expressément toute activité ou manifestation politique sous quelque forme que ce soit.
Cette mesure s’inscrit dans un contexte de refondation institutionnelle, amorcée après les Assises nationales de décembre 2021 et prolongée par les concertations des forces vives de la nation réunies en avril 2025 à Bamako. Le gouvernement justifie le décret par la nécessité de mettre fin à un multipartisme qualifié de « pléthorique, inefficace et conflictuel », et d’ouvrir la voie à un système « plus représentatif et discipliné ».
Saisi par plusieurs citoyens, dont l’ex-ministre Mountaga Tall, les tribunaux civils des communes III, IV et V de Bamako ont successivement rejeté les requêtes le 23 mai 2025. Les juges ont estimé que les recours portaient sur des actes réglementaires de l’exécutif, relevant exclusivement du contentieux administratif.
Les plaignants ne contestaient pas la forme juridique du décret, mais faisaient valoir une atteinte grave et manifeste aux droits fondamentaux, notamment la liberté d’association, le pluralisme politique, et la participation à la vie publique, garanties par la Constitution du 22 juillet 2023 et les instruments internationaux ratifiés par le Mali.
Cependant, les décisions n’ont pas motivé en droit constitutionnel le rejet des recours, ni examiné les effets concrets du décret sur les libertés. Selon certains experts, ce silence jurisprudentiel marque un repli du juge civil sur une lecture strictement procédurale de sa mission.
Des voies de recours toujours ouvertes
Les requérants ont annoncé interjeter appel devant la Cour d’appel de Bamako. Par ailleurs, la Section administrative de la Cour suprême a été saisie séparément d’un recours en annulation pour excès de pouvoir. Selon les avocats des plaignants, d’autres procédures sont à l’étude, y compris une éventuelle saisine de la Cour de justice de la Cédéao ou des organes onusiens de surveillance des droits de l’homme.
À l’échelle nationale, la société civile s’est divisée. Certains acteurs soutiennent une réforme en profondeur du système politique, d’autres dénoncent une mesure brutale, sans dialogue inclusif préalable.
À l’étranger, plusieurs experts de l’ONU ont exprimé leurs préoccupations, qualifiant la dissolution des partis d’« étape dans la mauvaise direction ».
Un débat sur le rôle du juge en période de transition
La question de fond posée par cette affaire est celle du pouvoir de régulation du juge civil en contexte d’exception. Le droit malien, à travers l’article 6 du Code de procédure civile, autorise toute personne à saisir un juge en cas d’atteinte grave et manifestement illégale à un droit fondamental. Mais les tribunaux ont choisi de s’en tenir à une stricte interprétation de leur compétence, laissant au juge administratif le soin de trancher.
MD/ac/Sf/APA