Le temps et les circonstances semblent favoriser l’ancien leader militaire éthiopien Mengistu Hailemariam, toujours en exil.
L’ancien président éthiopien, Mengistu Haile Mariam détient le record du plus long séjour d’un chef d’État africain déchu en exil.
L’ex-président tchadien Hissène Habré, décédé à Dakar en août 2021 après 31 ans d’exil au Sénégal, détenait auparavant ce record. Mais Mengistu, qui a dirigé l’Éthiopie de 1977 à 1991, semble toujours se maintenir dans son exil au Zimbabwe, loin des regards et des jugements, malgré les accusations de crimes graves portées contre son régime militaire, le DERG, pendant cette période sombre de l’histoire éthiopienne.
Depuis son renversement au début des années 1990, Mengistu, désormais âgé de 87 ans, a survécu à plusieurs tentatives d’assassinat et d’extradition, échappant à la justice pour ce que de nombreux Éthiopiens considèrent comme l’un des chapitres les plus horribles de leur histoire : les années de la Terreur rouge.
L’ancien dictateur a trouvé refuge au Zimbabwe, où il a été accueilli en tant qu’invité de l’ex-président Robert Mugabe, et continue de bénéficier d’une vie de luxe, protégée par le régime de son ancien allié, l’actuel président Emmerson Mnangagwa.
Cela fait plus de 30 ans que Mengistu vit discrètement au Zimbabwe, et son existence dans ce pays reste enveloppée de mystère. Depuis une tentative d’assassinat en 1996, suivie d’une série d’échecs d’extradition et d’un séjour médical en Afrique du Sud en 1999, les informations sur sa vie sont rares. Les autorités zimbabwéennes, notamment les services de sécurité, continuent de veiller sur lui, ne prenant aucun risque après que l’assassin potentiel a échoué à l’atteindre à Harare. Ce dernier, un homme qui l’accusait de torture, a expliqué devant un tribunal qu’il cherchait à venger des atrocités commises sous le DERG.
Durant les années de Mugabe, Mengistu a occupé une position publique, conseillant le gouvernement zimbabwéen sur les questions de sécurité. Certaines sources affirment même qu’il a présidé des réunions en préparation de l’opération Murambatsvina en 2005, visant à détruire les bidonvilles à travers le pays, une initiative qui a suscité de vives protestations. Néanmoins, certains membres du gouvernement ont nié son rôle dans l’orchestration de cette opération controversée.
Les militants des droits humains continuent de débattre du nombre exact de victimes des années de Terreur rouge, mais les estimations font état de centaines de milliers de morts, victimes de massacres de dissidents politiques, étudiants, rebelles ou autres opposants, souvent laissés pour morts sur la voie publique. Mengistu a aussi été sévèrement critiqué pour sa gestion de la famine dévastatrice de 1984-1985, qui a coûté la vie à plus d’un million d’Éthiopiens, alors qu’il restait largement insensible aux souffrances de ses concitoyens.
En 2022, le gouvernement de Mnangagwa a ouvert la porte à la possibilité d’une extradition de Mengistu, évoquant une réponse appropriée si le gouvernement éthiopien en faisait la demande. Cependant, à ce jour, aucune requête officielle n’a été formulée par Addis-Abeba, le gouvernement éthiopien étant plus concentré sur des enjeux internes cruciaux que sur la poursuite de l’ancien dictateur.
Une source bien informée à Addis-Abeba a indiqué que les deux gouvernements d’Éthiopie et du Zimbabwe ne jugent pas l’extradition de Mengistu comme une priorité. En 2018, l’ancien Premier ministre éthiopien Haile Mariam Desalegn a même suscité la polémique en publiant une photo à ses côtés, montrant un sourire en apparence amical, avant de rapidement retirer l’image.
Le Zimbabwe, qui avait initialement refusé d’extrader Mengistu en raison de son statut de réfugié selon la convention des Nations Unies, a vu un changement de ton avec l’annonce de l’ex-ministre des Affaires étrangères, Frederick Shava, en 2022. Toutefois, cette position pourrait évoluer, étant donné les dynamiques politiques complexes entourant l’asile d’anciens dirigeants africains.
Ce cas met en lumière les défis de la justice pour les anciens dictateurs, dont les pays d’asile, souvent motivés par des intérêts politiques, sont réticents à les livrer à la justice internationale. La situation de Mengistu illustre ainsi les tensions entre la diplomatie, les relations internationales et la quête de responsabilité pour les atrocités commises par ces régimes.
Les autorités zimbabwéennes résisteront-elles à l’idée d’extrader Mengistu, ou les changements politiques à venir les pousseront-ils à réévaluer cette décision, permettant enfin à l’un des derniers dictateurs en exil de rendre des comptes pour ses actes ? Seul le temps nous le dira.
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