Dans son premier discours à la tête de la Cour suprême, le magistrat Mahamadou Mansour Mbaye rappelle les fondements et les limites d’un droit constitutionnel qui doit s’exercer dans le respect de l’ordre public. En prenant exemple sur le droit de grève à encadrer.
Le nouveau premier président de la Cour suprême du Sénégal, Mahamadou Mansour Mbaye nommé le 9 août 2024 par le Conseil supérieur de la magistrature, a saisi l’occasion de la rentrée solennelle des cours et tribunaux pour livrer une analyse approfondie du droit de grève et de son encadrement juridique, lors de son discours inaugural ce jeudi.
Dans une perspective historique, le haut magistrat a rappelé les origines de ce droit fondamental au Sénégal, porté initialement par les mouvements de cheminots et d’enseignants entre 1945 et 1948, après l’obtention des droits syndicaux accordés aux travailleurs des quatre communes dans les années 1920. Une conquête sociale qui fut rapidement encadrée, d’abord dans le contexte colonial pour prévenir les révoltes, puis après l’indépendance pour garantir la continuité des services publics.
Pour le premier président, ce droit constitutionnellement garanti par l’article 25 n’a pas de « portée absolue », comme l’a établi la décision n°2C 2013 du Conseil constitutionnel. Il repose sur trois piliers fondamentaux : une cessation du travail conforme à la réglementation, des revendications professionnelles légitimes, et le respect de la continuité du service public.
Le haut magistrat a particulièrement insisté sur les professions pour lesquelles ce droit est strictement interdit, citant notamment les services d’hygiène, les forces armées, la police, la magistrature et les eaux et forêts. Le cas des douanes, considérées comme corps paramilitaire, a fait l’objet d’une attention particulière, leur interdiction de grève étant justifiée par « l’impératif de maintenir un ordre public économique».
S’appuyant sur une jurisprudence fournie, le premier président a notamment cité un jugement du Tribunal du Travail de Dakar validant le licenciement de grévistes lors d’un mouvement non autorisé, un arrêt de la Cour suprême annulant des réquisitions jugées excessives.
Le haut magistrat a également souligné l’importance du service minimum, destiné à garantir la protection de « la vie, la santé et la sécurité personnelle de la population ». Il a précisé que les réquisitions, quand elles sont nécessaires, doivent être « imposées par l’urgence et proportionnées aux nécessités de l’ordre public ».
Pour finir, M. Mbaye a rappelé, s’appuyant sur une citation du juriste René Suppiau, que si « le droit de grève est une conquête démocratique », il ne peut s’exercer au détriment des « solidarités collectives qu’il entend défendre », une position qui s’inscrit dans le cadre des dispositions de l’Organisation internationale du travail (OIT) reconnaissant la légitimité des restrictions nationales au droit de grève.
AC/Sf/APA