La 2ᵉ édition de la conférence-débat sur l’Afrique atlantique, organisée par le Policy Center for the New South ( PCNS), a dessiné les contours d’un espace régional en devenir, à la croisée des défis géopolitiques, environnementaux et énergétiques.
Par-delà les clivages historiques et les inerties institutionnelles, l’Afrique atlantique tente de se forger une nouvelle identité collective. Le 22 mai dernier, à Rabat, décideurs politiques, experts maritimes, économistes et universitaires se sont réunis à l’initiative du Policy Center for the New South (PCNS), à l’occasion de la 2ᵉ édition de la conférence-débat « L’Afrique atlantique : ambition d’intégration et processus d’opérationnalisation ».
Au cœur des échanges, une conviction commune : cette façade maritime, allant de Tanger à Luanda en passant par Praia, peut devenir un pôle stratégique de prospérité partagée et de coopération Sud-Sud, à condition d’enclencher une dynamique opérationnelle cohérente, inclusive et multisectorielle.
Quatre panels thématiques et une conversation de haut niveau ont permis de balayer les principaux leviers d’action. D’entrée de jeu, Jamal Machrouh, Senior Fellow au PCNS, a souligné l’existence d’un « gap entre les potentiels de l’Afrique atlantique et les moyens mobilisés », appelant à une mutualisation régionale des ressources.
Le premier panel, consacré à la construction d’une identité fédératrice, a souligné l’importance des cadres continentaux comme l’Agenda 2063 ou la stratégie maritime intégrée de l’Union africaine. Amadou Tall, expert en économie bleue, a salué l’initiative marocaine dans ce sens, notamment à travers le port de Dakhla et le projet de gazoduc Nigeria-Maroc. Un avis partagé par Abdelhak Bassou, également Senior Fellow au PCNS, qui a toutefois alerté sur les risques sécuritaires croissants, notamment l’expansion de l’extrémisme violent dans les zones sahéliennes.
En Mauritanie, a rappelé Zein El Abidine Med Salem, les retards logistiques restent criants. Les infrastructures portuaires, quoique stratégiques, peinent à absorber les flux croissants du commerce sous-régional. Un constat qui souligne l’urgence de bâtir une infrastructure régionale résiliente, inclusive des pays enclavés.
Gouvernance maritime entre science et souveraineté
La seconde session a mis en exergue la centralité de la connaissance du milieu marin. Le capitaine de vaisseau Mostapha Tafrhy, représentant la Marine royale marocaine, a insisté sur l’approche proactive du Royaume en matière d’observation océanographique. Les ressources halieutiques, vitales pour la sécurité alimentaire des pays riverains, font l’objet d’une exploitation souvent anarchique, comme l’a rappelé la juriste internationale Dienaba Beye.
« La surpêche illégale, la pollution et le changement climatique menacent gravement l’équilibre de la zone », a-t-elle averti.
Face à ces pressions, Driss Tazi, du COMHAFAT, a souligné la nécessité de renforcer les mécanismes régionaux d’échange de données et d’expertise. Une démarche appuyée par le professeur Benjamin Sa Traoré, pour qui l’accès à la mer des pays enclavés du Sahel relève d’un impératif stratégique. Reconnu en droit international, ce droit demeure peu effectif sans une diplomatie proactive et un cadre de gouvernance adapté.
Une économie bleue à la croisée des ambitions
Troisième pilier de cette conférence : l’économie bleue. Siham Fellahi, inspectrice des finances, a plaidé pour une gouvernance territoriale intégrée, articulant acteurs étatiques, collectivités et opérateurs privés. De son côté, Abdelkerim Souleyman Terio a défendu la création de corridors multimodaux sécurisés pour relier les hinterlands sahéliens aux plateformes portuaires atlantiques.
Abdelmalek Faraj a mis l’accent sur la recherche scientifique comme levier de gestion durable des ressources halieutiques. Quant à Bolanle Olotu, experte nigériane du transport maritime, elle a appelé à dépasser la seule dimension logistique des ports pour penser l’océan comme vecteur d’un projet de transformation sociale et culturelle panafricaine.
Vers une connectivité énergétique transcontinentale
La dernière séquence a abordé les enjeux énergétiques. Le gazoduc Nigéria-Maroc, long de 6 900 km, cristallise les ambitions d’un corridor énergétique régional. Présenté par Mohammed Benzaria (ONHYM), ce projet vise à intégrer 13 pays, dont plusieurs États enclavés du Sahel.
La directrice de la coopération internationale de MASEN, Bouchra El Hayani, a détaillé la stratégie marocaine dans les énergies renouvelables, avec des projets solaires au Tchad et au Burkina Faso, et une vision affirmée de l’hydrogène vert comme future source d’intégration régionale.
Pour Oluwabamise Olanrewaju, du Nigeria Energy Forum, l’accès à une énergie fiable conditionne l’industrialisation et la digitalisation du continent. Elle plaide pour un maillage régional d’infrastructures soutenu par les États, les communautés locales et des partenariats public-privé robustes.
Une vision portée par la jeunesse et l’action politique
Au fil des débats, un fil rouge s’est imposé : la réussite de l’intégration de l’Afrique atlantique passe par l’appropriation populaire, la stabilité institutionnelle et l’implication active de la jeunesse. Comme l’a rappelé la ministre ghanéenne Emelia Arthur lors de sa conversation avec le diplomate Mohammed Loulichki, « nous avons tout au sein de l’Union africaine, mais nous ne tenons pas nos promesses ».
La 2ᵉ édition de cette conférence a ainsi confirmé l’émergence d’une vision partagée, mais elle a aussi mis en lumière les nombreuses conditions de sa concrétisation. Infrastructure, diplomatie, gouvernance, sécurité : l’Afrique atlantique ne manque pas d’ambitions, mais elle doit désormais faire preuve d’audace politique et de rigueur opérationnelle pour devenir une véritable communauté d’avenir.
MK/ac/Sf/APA