De hauts responsables d’institutions financières africaines ont souligné l’importance d’une approche mesurée et collaborative dans l’adoption de l’intelligence artificielle (IA) pour renforcer la stabilité financière du continent, lors d’un panel organisé ce mercredi à Dakar.
L’intelligence artificielle (IA) bouleverse les codes du monde financier, et les banques centrales africaines entendent bien saisir cette révolution technologique. Si l’IA ouvre des perspectives inédites pour la gestion des marchés, la surveillance bancaire et la stabilité financière, elle impose aussi des défis majeurs en matière de gouvernance, de régulation et de sécurisation des données.
Partant de ces constats, Yvon Sana Bangui, Gouverneur de la Banque centrale des États de l’Afrique centrale (BCEAC) et le président de l’Autorité des marchés financiers de l’Union monétaire Ouest-africaine (AMF-UMOA), Badanam Patoki, ont plaidé pour une intégration réfléchie et structurée des outils d’IA, qui permettra aux institutions africaines de tirer pleinement parti des opportunités offertes par cette révolution technologique.
M. Bangui a d’emblée positionné l’intelligence artificielle comme « un outil qui doit être au service de la stabilité financière », définissant cette dernière comme « tous les instruments mis à disposition ou employés par le régulateur pour garantir la solidité de l’écosystème financier et bancaire. »
Badanam Patoki, président de l’AMF-UMOA a renchéri en soulignant que « l’IA est une opportunité qui va transformer naturellement en profondeur le marché », tout en reconnaissant qu’il « faudrait que nous nous adaptions, parce que nous ne pourrons pas rester en marge de cette révolution. »
M. Bangui et M. Patoki s’exprimaient lors du Panel 3 de la Conférence internationale sur le thème « L’Intelligence artificielle : opportunités et défis pour les banques centrales », organisée par la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO).
Une transformation qui nécessite prudence et collaboration
Face aux opportunités offertes par l’IA, le président de l’AMF-UMOA a plaidé cependant pour une approche mesurée. « Il ne faut pas laisser l’IA entrer dans le système et le perturber, ce qui pourrait mener à une déstabilisation », a-t-il averti, soulignant l’importance de préserver l’équilibre du marché financier.
Pour lui, cette transformation doit s’appuyer sur un dialogue approfondi avec l’ensemble des acteurs du marché pour identifier les besoins spécifiques de chacun et définir des modalités de déploiement responsables.
Parallèlement, l’adoption d’un cadre réglementaire approprié s’avère nécessaire pour encourager l’innovation technologique tout en assurant une maîtrise efficace des risques, a-t-il poursuivi.
Le renforcement des capacités constitue le troisième pilier de cette démarche prudente. Les compétences en ressources humaines doivent être développées tant au sein des équipes de supervision qu’au niveau des acteurs du marché, afin que tous puissent tirer profit de l’IA sans compromettre la stabilité du système, a ajouté M. Patoki.
Des défis structurels à relever pour les institutions africaines
La gouvernance des données constitue un enjeu fondamental selon le Gouverneur de la BCEAC. Il a notamment insisté sur la nécessité d’une centralisation efficace avec des standards rigoureux, un stockage approprié et des règles strictes de transparence et de sécurité. Cette gouvernance s’avère cruciale pour garantir la qualité des données qui alimentent les algorithmes d’IA, élément déterminant pour leur justesse et leur fiabilité.
Face au retard technologique du continent, M. Bangui a souligné l’urgence de développer les compétences locales par la formation et le transfert de connaissances.
« Il ne faut pas attendre demain pour tirer parti des opportunités de l’IA dans l’accomplissement de nos missions institutionnelles », a-t-il insisté, rappelant que chaque technologie arrivée à maturité cède la place à la prochaine innovation.
Sur le plan réglementaire, les défis sont d’autant plus complexes que la BCEAC opère dans six pays différents, ce qui multiplie les obstacles pour toute nouvelle initiative. Cette réalité complique notamment la collecte et la standardisation des données, comme en témoigne un projet de mise en place de hubs de données qui, après quatre ans, n’en est encore qu’à ses débuts en raison de problèmes d’infrastructure et d’harmonisation.
Pour une mutualisation des connaissances et des ressources
Pour faire face à ces défis, M. Bangui a lancé un appel à la création d’un livre blanc sur les outils d’IA des banques centrales. Ce document permettrait de recenser les technologies actuellement employées dans certaines institutions et faciliterait l’intégration des banques africaines dans les centres de recherche spécialisés.
« Cette initiative s’inscrit dans une volonté de mutualiser l’idée de coopération internationale, régionale et institutionnelle où la banque centrale est capitale », a-t-il expliqué.
Le président de l’AMF-UMOA a quant à lui détaillé comment l’intelligence artificielle pourrait révolutionner la supervision des marchés financiers. Il a évoqué la surveillance en temps réel qui permettrait de détecter rapidement les abus de marché, facteurs potentiels d’instabilité.
L’analyse automatisée des risques constitue un autre domaine prometteur, offrant la possibilité d’identifier précocement les vulnérabilités et les risques potentiels, a indiqué M. Patoki.
Selon ce dernier, la supervision des acteurs du marché et des dispositifs de lutte contre le blanchiment de capitaux bénéficierait également de l’apport de l’IA, renforçant ainsi un facteur clé de stabilisation du système financier.
Par ailleurs, l’optimisation des processus administratifs, notamment la délivrance des visas pour les opérations financières et l’agrément des acteurs, pourrait être considérablement améliorée, réduisant les délais et les risques d’erreur.
ARD/ac/Sf/APA