Avant son accession au pouvoir en 2010, le président Alpha Condé était souvent surnommé « le Nelson Mandela d’Afrique de l’Ouest ».
En l’espace de quelques minutes, hier dimanche matin aux abords de Sékhoutouréya, le palais présidentiel guinéen, le chef de l’Etat octogénaire tombait de son piédestal. Entouré sur un canapé par des militaires armés jusqu’aux dents, célébrant leur coup d’Etat, il s’emmure dans un silence et assiste de manière surprenante à sa probable fin de règne.
Réélu en octobre dernier pour un troisième mandat acquis dans un bain de sang, Alpha Condé a déçu sous son magistère plusieurs observateurs qui voyaient en lui un défenseur des droits de l’homme et un militant gauchiste.
Né à Boké, en Basse-Guinée, le 4 mars 1938, le leader du Rassemblement du peuple guinéen (RPG) a marqué la vie politique de son pays durant un demi-siècle. Une carrière à rebondissements durant laquelle il aura connu l’exil, la prison et le pouvoir suprême.
L’enseignant de formation a pris goût à la politique dès ses années d’étudiant en France, dans les années 1960, au sein de la Fédération des étudiants d’Afrique noire (FEANF), où il rencontre de futurs dirigeants d’autres pays africains.
Son engagement s’explique surtout à l’époque par le fait que son pays vit sous le régime autoritaire de Sékou Touré, le père de l’indépendance guinéenne. Condé met en place depuis Paris un mouvement d’opposition qui lui vaudra une condamnation à mort par contumace.
Mais c’est après la mort de Sékou Touré en 1984 qu’il décide de rentrer en Guinée. Il fonde avec d’autres camarades de lutte le RPG, son parti légalisé en 1992 avant de devenir dix ans plus tard le RPG-Arc-en-ciel, fruit d’une fusion avec 44 autres partis.
Une vie politique tourmentée
Avant son accession au pouvoir, il était successivement battu aux élections présidentielles de 1993 et 1998 par le général Lansana Conté avant d’être arrêté. Condamné à cinq ans de prison, il est libéré au bout de vingt mois sous la pression internationale. Il reçoit un important mouvement de soutien sous le nom du « Comité de libération » d’Alpha Condé. Le « Reggae Man » ivoirien, Tiken Jah Fakoly, compose également le titre « Libérez Alpha Condé », que la jeunesse transforme en hymne à la gloire des martyrs et prisonniers politiques africains.
Condé a attendu ensuite la mort de Conté, en décembre 2008, et la déliquescence du régime putschiste de Moussa Dadis Camara pour accéder enfin aux cimes du pouvoir en 2010, à la faveur d’une élection présidentielle contestée.
Lors de ce scrutin, il réussit à se défaire de son opposant historique Cellou Dalein Diallo qui avait pourtant obtenu 43,6% des voix au premier tour. Il est déclaré vainqueur de l’élection au second round par la Commission électorale avec un score de 52,52%.
Depuis lors, Alpha Condé a régné en maître sur la vie politique et réussi à conserver son pouvoir, malgré les contestations de la rue et d’une opposition, qui lui reprochait notamment de manipuler les urnes et la Constitution.
A l’approche de la présidentielle du 18 octobre 2020, des organisations de défense des droits de l’homme s’étaient inquiétées du niveau de violence exercé par les forces de sécurité lors de la répression de manifestations qui ont pavé la voie suivie par le président Alpha Condé pour pouvoir briguer un troisième mandat.
Un rapport d’Amnesty International estimait en fait qu’« au moins 50 personnes » avaient été tuées entre octobre 2019, date correspondant au début de la mobilisation du Front national de la défense de la Constitution (FNDC), et juillet 2020. Il faisait aussi état de 200 blessés, d’arrestations et de détentions arbitraires et au secret d’au moins 70 personnes pendant la même période.
Condé emporté par sa « force »
Certains ont pointé le rôle du Groupement des forces spéciales (GFS) dans ces exactions préélectorales. Placé sous l’autorité du chef d’état-major de l’armée de terre, ce corps d’élite a été créé par Condé et confié au lieutenant-colonel Mamady Doumbouya, un ancien légionnaire de l’armée française doté d’un physique imposant.
C’est ce dernier qui a porté le coup fatal à Alpha Condé et son régime dans la matinée du dimanche 5 septembre 2021. « Condé évincé par ses forces spéciales », titre le quotidien sénégalais L’AS, qui précise que le nouvel homme fort de Conakry est « un légionnaire formé à Thiès », ville située à 70 km de Dakar.
« Cette force spéciale créée par Alpha Condé s’est retournée contre lui », affirme de son côté sur RFI, Mamadou Aliou Barry, chef du Centre d’analyse et d’études stratégiques de Guinée.
Actuellement détenu « dans un lieu sûr », selon le patron des putschistes, Condé a été photographié à bord d’un véhicule et amené vers une destination inconnue, peu après avoir quitté Sékhoutouréya. Dans la foulée de son arrestation, il a refusé de répondre à un soldat au visage masqué qui lui demandait de confirmer qu’il n’a pas été brutalisé ou torturé.
Mais Mamady Doumbouya, à la tête désormais du Comité national pour le rassemblement et le développement (CNRD), a précisé que le président déchu a « vu un médecin ». Il l’a fait peu après que la Cedeao a exigé dans un communiqué « le respect de (son) intégrité physique » et le retour à « l’ordre constitutionnel sous peine de sanctions ».
En revanche, les menaces de la communauté internationale semblent pour le moment sans conséquence puisque les meneurs du coup d’Etat ont annoncé la dissolution de la Constitution et la réécriture d’une « Constitution ensemble, cette fois-ci, (pour) toute la Guinée ».
Quoi qu’il en soit, certains observateurs continuent de considérer que c’est une régression politique pour la Guinée et pour Alpha Condé, au vu de tous les combats qu’il a eu à mener avant d’accéder au pouvoir.
C’est le cas de l’ingénieur géologue sénégalais, Fary Ndao. Il note sur Twitter que « Alpha Condé était l’idole de la génération de mon père, engagé à gauche dans les années 1970. Aujourd’hui, en 2021, Condé est maitrisé et photographié par des militaires qui ont à peu près le même âge que moi. Tout cela car il a estimé que 10 ans au pouvoir ça ne suffisait pas ».
ODL/te/APA