80 ans après le massacre de Thiaroye, la France reconnaît cet épisode tragique de son histoire coloniale, qualifié de « massacre » par le président sénégalais Bassirou Diomaye Faye. À la veille des commémorations prévues le 1ᵉʳ décembre, cette reconnaissance ouvre la voie à un travail de vérité et de réconciliation mémorielle. L’historienne Armelle Mabon appelle à des réparations et à l’ouverture complète des archives pour honorer la mémoire des tirailleurs sénégalais tombés en réclamant leurs droits.
Près de 80 ans après les évènements tragiques de Thiaroye, survenu le 1ᵉʳ décembre 1944, la France reconnaît cet épisode tragique comme un massacre. Dans un entretien accordé à des médias français ce jeudi 28 novembre, le chef de l’État sénégalais a salué cette reconnaissance, qu’il considère comme un premier pas essentiel vers un apaisement des mémoires entre les deux nations.
Cette déclaration intervient à la veille des commémorations officielles prévues ce dimanche 1ᵉʳ décembre, où Bassirou Diomaye Faye présidera les cérémonies à Thiaroye, dans la banlieue de Dakar.
Le massacre de Thiaroye a longtemps été présenté, dans les archives officielles françaises, comme une « mutinerie » de tirailleurs sénégalais réclamant leurs soldes à leur retour de la Seconde guerre mondiale. Cette version, contredite par de nombreuses recherches historiques, évoquait 35 morts et 35 blessés parmi les soldats africains, ainsi que la condamnation de 34 d’entre eux pour insubordination.
Cependant, selon Armelle Mabon, historienne française et auteure de « Le massacre de Thiaroye : 1ᵉʳ décembre 1944 ; Histoire d’un mensonge d’État », ces chiffres sont largement sous-évalués. Dans un entretien avec APA, elle estime que le nombre réel de victimes pourrait être dix fois plus élevé. « Les officiers français ont encerclé le camp avec des automitrailleuses et ont ordonné des tirs, massacrant des hommes désarmés réclamant leurs droits légitimes », déclare-t-elle.
Selon l’historienne française, la dissimulation des faits avait pour objectif de protéger l’image de la France libre en pleine négociation avec ses alliés. « En 1944, le Général de Gaulle voulait éviter que ce massacre n’entache les efforts visant à réaffirmer la puissance impériale française », explique-t-elle. Cette stratégie a conduit, à l’en croire, à la falsification des archives, à la réduction du nombre de rapatriés recensés et à l’inhumation des victimes dans des fosses communes, dissimulant ainsi l’ampleur de la tragédie.
En 2024, bien que la reconnaissance officielle du massacre par la France constitue une avancée majeure, la mémoire de Thiaroye reste un point de tension. « Pendant des décennies, le système Françafrique a imposé le silence, alimentant un ressentiment croissant parmi la jeunesse africaine », ajoute l’historienne.
Face à ces blessures mémorielles, plusieurs actions sont envisagées. Armelle Mabon recommande de rendre hommage à Birame Senghor, fils de Mbap Senghor, victime et figure clé de la lutte pour la reconnaissance du massacre. Elle propose de lui décerner l’Ordre du Lion. Elle suggère également de procéder à l’exhumation des corps enterrés dans des fosses communes, en collaboration avec la France, de réclamer l’intégralité des archives françaises sur Thiaroye et d’exiger des réparations pour les familles des victimes, y compris le remboursement des soldes spoliées. Le gouvernement sénégalais pourrait également intervenir dans les procédures judiciaires en cours, en soutien aux demandes de justice.
Le massacre de Thiaroye incarne un moment clé de l’histoire coloniale franco-africaine. Pour Armelle Mabon, « faire la vérité sur Thiaroye est essentiel à la réconciliation mémorielle entre la France et l’Afrique ».
AC/Sf/APA