Une majorité de Sénégalais se disent inquiets pour leur sécurité et expriment un désir croissant d’émigrer, tout en affichant une certaine hostilité à l’endroit des migrants étrangers, a révélé Afrobarometer dans la dixième série d’une enquête dont les résultats ont été rendus publics jeudi à Dakar.
Réalisée du 9 février au 9 mars 2025, près d’un an après l’arrivée au pouvoir des nouvelles autorités sénégalaises, cette enquête a été conduite par le Consortium pour la recherche économique et sociale (CRES), partenaire d’Afrobarometer au Sénégal, sur un échantillon représentatif de 1 200 personnes. Elle met en lumière des perceptions contrastées sur la sécurité intérieure, la migration et la cohésion sociale.
« Afrobarometer fait des enquêtes au Sénégal depuis 2002 pour sonder les opinions des citoyens sur toute une série de sujets. Nous jetons aussi un regard prospectif sur ces opinions. Nous espérons que les résultats collectés vous aideront à améliorer vos interventions », a déclaré le professeur Abdoulaye Diagne, directeur exécutif du CRES, à l’ouverture de la cérémonie de présentation à laquelle ont pris part des responsables de la police et de la gendarmerie ainsi que des représentants d’ONG travaillant sur ces thématiques.
Quelque 58% des sondés affirment s’être sentis en insécurité dans leur domicile ou leur quartier au cours de l’année écoulée, un taux jugé préoccupant. Ce sentiment est davantage prononcé dans la zone centre du pays que dans les régions sud ou orientale, pourtant plus exposées à l’instabilité en raison des problèmes de rébellion et de menaces djihadistes, selon Dr Abdoulaye Diallo, chercheur au CRES et rapporteur de l’enquête.
Indicateurs du climat social
Les zones rurales sont les plus affectées, les habitants s’y sentant plus exposés que les citadins. Quant aux jeunes, ils ressentent légèrement moins l’insécurité que leurs aînés, a-t-il ajouté. Aux yeux des répondants, le chômage des jeunes (38 %) et la consommation de drogues (29 %) figurent parmi les principales causes de la délinquance. Toutefois, une majorité (56 %) estime que la création d’opportunités d’emploi constitue la réponse la plus efficace à cette problématique.
« Ce sont des indicateurs subjectifs, mais révélateurs du climat social », a souligné Dr Diallo, appelant les autorités à écouter et interpréter ces perceptions pour agir de manière ciblée. Toutefois, a-t-il estimé, les Sénégalais placent la question de l’insécurité (22 %) à la quatrième position des problèmes à résoudre par le gouvernement, derrière le coût de la vie (55 %), la santé (54 %) et le chômage (39 %), mais devant l’éducation (18 %) et les infrastructures (12%).
Un résultat marquant de l’enquête est le soutien très élevé à la peine capitale : 83 % des personnes interrogées jugent la peine de mort appropriée pour les crimes graves comme le meurtre, contre 15% qui y sont opposées. Dans la salle, le directeur exécutif du CRES a exprimé sa surprise face au faible nombre de questions et de réactions concernant cette forte adhésion à une mesure pourtant abolie au Sénégal depuis 2004. Une remarque qui a suscité quelques sourires dans l’assistance, certains y voyant l’expression d’une réaction émotionnelle à l’angoisse suscitée par une criminalité perçue comme persistante.
Cependant, un observateur présent, citant un criminologue, a nuancé cette perception, estimant que « la criminalité n’a pas nécessairement augmenté, mais c’est la manière dont la presse et les médias sociaux en parlent qui donne cette impression ».
Conquérir la perception
Sur le front migratoire, près de la moitié des Sénégalais disent avoir envisagé de quitter le pays, une proportion en hausse constante depuis 2017. Les raisons évoquées sont majoritairement économiques : recherche d’emploi, meilleures conditions de vie, avenir pour les enfants.
Pourtant, cette aspiration s’accompagne d’un regard critique sur les migrants étrangers présents au Sénégal : nombre de répondants estiment que leur impact économique est négatif, et plusieurs souhaitent que leur entrée soit davantage régulée, qu’il s’agisse de travailleurs ou de réfugiés.
Autre paradoxe souligné par l’étude : bien que les Etats ouest-africains promeuvent la libre circulation des personnes dans la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (Cédéao), une majorité de citoyens sénégalais estiment que celle-ci est difficile à concrétiser dans la pratique.
Représentant la police nationale, le commissaire Ndiarré Sène, directeur de la sécurité publique, a salué « un exercice d’apprentissage utile pour améliorer le travail en cours ». Par ailleurs, « nous travaillons sur des données objectives comme les plaintes ou les dénonciations, mais nous devons aussi conquérir la perception, pour que ce sentiment d’insécurité puisse être inversé dans un sens positif », a-t-il soutenu.
A l’instar du commissaire, le représentant de la gendarmerie a insisté sur l’importance de la prévention, notamment à travers une présence dissuasive sur le terrain et des patrouilles ciblées.
ODL/te/Sf/APA