La destruction des installations des compagnies de téléphonie mobile par les jihadistes est une «stratégie» pour couper ces zones du reste du pays.
Dans la nuit du jeudi 24 au vendredi 25 novembre 2022, des hommes armés affiliés au Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) ont fait irruption dans le village de Ouo, sur l’axe Banfora-Gaoua, dans la Comoé, à l’ouest du pays. Selon des sources concordantes, ils ont saccagé des édifices publics et vandalisé des installations de compagnies de téléphonie mobile.
Un technicien en maintenance en téléphonie a fait savoir que les assaillants ont coupé les câbles, dynamité les batteries et les plaques solaires servant à alimenter l’antenne et saccagé le dispositif de transmission du réseau, coupant ainsi le village de Ouo du reste du monde.
La femme de Bernard Zango est agente de santé dans la localité. « Lorsque j’ai appris la nouvelle de l’attaque à travers les réseaux sociaux, j’ai tenté de l’appeler sans succès. C’est 48 heures plus tard, qu’elle s’est rendu dans un autre village à une trentaine de kilomètres pour me donner de ses nouvelles », a dit le laborantin en santé publique à APA.
553 sites de téléphonie mobile hors service
Le saccage des infrastructures de télécommunication fait désormais partie du mode opératoire des jihadistes à chaque incursion dans une localité. Observateur des mouvements jihadistes au Burkina, Wendpouiré Charles Sawadogo a indiqué que le phénomène s’est amplifié « depuis bientôt plus d’une année », au gré des attaques des groupes armés non étatiques.
Au total 293 antennes téléphoniques ont été saccagées par les insurgés islamistes à la date du 28 novembre 2022, selon les données de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP). Ces actes de vandalisme ont mis hors service 553 sites de téléphonie mobile.
Toutes les régions du pays sont concernées par ces actes de saccage, à l’exception de la région des Cascades, a affirmé notre source à l’ARCEP. Elle a précisé que les zones les plus touchées sont le Sahel, l’Est et la Boucle du Mouhoun.
Habitante de Manni à l’Est du pays, Awa Lankoandé a témoigné de son calvaire pour communiquer avec ses proches. « A Manni, cela fait maintenant plus de trois mois que nous souffrons. Tantôt le réseau est là, tantôt c’est parti. Pour joindre nos familles, c’est par coup de chance » a-t-elle déploré.
La destruction des antennes téléphoniques est en réalité une « stratégie de contrôle entier » des zones sous le joug des groupes armés, a estimé M. Sawadogo. « Ils ont besoin de cet isolement des zones du reste du pays pour mieux exercer leurs activités », a-t-il ajouté.
L’isolement de ces localités annihile les efforts des populations à contribuer à la lutte contre le terrorisme. Les membres des groupes jihadistes « coupent les réseaux téléphoniques pour que les gens n’arrivent pas à communiquer avec les autorités », a soutenu le journaliste spécialiste des mouvements djihadistes, Wassim Nasr, sur France24 en octobre 2022. Ce qui rend impossible les alertes, les messages et informations que les civils partagent avec l’armée.
« Conséquences désastreuses »
Si les jihadistes ont aussi besoin de réseau « pour contacter leurs complices qui sont dans les villes et effectuer des transactions mobile money », ils utilisent plus les « Talkie-Walkie » comme moyen de communication entre eux, a confié M. Sawadogo.
Wendpouire Charles Sawadogo a souligné des « conséquences énormes » pour les économies locales. Il a fait savoir que les destructions des pylônes de téléphonie bloquent les transactions monétaires mobiles entre la localité et le reste du pays. « Le taux de bancarisation au Burkina Faso est extrêmement faible. La quasi-totalité de la population utilise le mobile money (…). Ceux qui sont dans les zones relativement sécurisées ne peuvent pas souvent apporter une aide à leurs parents, même s’ils le veulent », a indiqué l’observateur des mouvements jihadistes au Burkina.
« Même se ravitailler, cest tout un problème. Il y a quelques jours, un résident (d’une localité) m’expliquait qu’il ne pouvait rien payer, faute d’argent et que ses parents vivant à Ouagadougou ne peuvent pas l’aider, à cause du problème de réseau », a témoigné Wendpouiré Charles Sawadogo.
Notre source au sein de l’ARCEP a décrit une « situation catastrophique » sur le plan des investissements pour les compagnies de téléphonie mobile. « En effet, pour ériger et rendre fonctionnelle une seule antenne, ou pylône téléphonique (une BTS), il faut investir près de 100 millions FCFA. Cela donne une idée sur la perte sèche des opérateurs sans oublier la perte du retour sur investissement », a-t-elle confié, appelant les autorités à mieux sécuriser les infrastructures des compagnies de téléphonie mobile afin de protéger les investissements des entreprises et permettre aux populations de profiter de toutes les opportunités qu’offre la télécommunication.
DS/ac/APA