Cotonou a contesté la décision de la Cour d’Arusha.
La Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) ordonne au gouvernement béninois de rapporter l’arrêté interministériel de Juillet 2019 interdisant la délivrance d’actes administratifs aux citoyens recherchés par la justice de leur pays. Dans un arrêt rendu le 13 juin 2023, la CADHP appelle les autorités à rapporter cet arrêté.
La juridiction continentale démontre que cette décision signée des ministres de la Justice et de l’Intérieur viole les droits à la nationalité et à la présomption d’innocence consacrés par la Charte africaine des Droits de l’homme et des peuples.
Un arrêt après trois ans de procédure
L‘affaire a commencé devant la CADHP en août 2020 suite à une saisine d’un citoyen béninois pour dénoncer cet arrêté. Dans sa requête, Conaïde Latondji Akouedenoudjè estimait que l’arrêté interministériel viole la présomption d’innocence et le droit à la nationalité béninoise garantis à tout citoyen.
Le gouvernement béninois n’a pas la même lecture. Les avocats de l’Etat ont appelé la Cour d’Arusha en Tanzanie à se déclarer incompétente. Ils estiment que le requérant demande « la remise en cause d’un droit administratif interne ». La défense du Bénin pense que M. Akouedenoudjè ne fait état d’aucun cas de violation de droits liés directement à l’arrêté interministériel. Pour les avocats du Bénin, cette affaire est simplement hors de la compétence de la Cour Africaine parce que les voies de recours internes peuvent permettre de trancher cette affaire. Le gouvernement ajoute aussi que cet arrêté ne viole aucune présomption d’innocence. Par conséquent, les défenseurs de l’Etat béninois ont appelé la juridiction communautaire à constater que l’arrêté interministériel ne viole en rien, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples.
Ces arguments n’ont pas convaincu les juges de la Cour d’Arusha qui a condamné le Bénin et lui a ordonné de prendre les dispositions pour rapporter l’arrêté contesté dans au plus, six mois.
Au moment de la publication de cet arrêté interministériel, aucun citoyen n’a été directement visé mais plusieurs observateurs ont avancé que la décision cible les opposants poursuivis par la justice et qui se trouvent en exil.
« Pas sûr que les autorités béninoises exécutent l’arrêt de la CADHP »
Le juriste et analyste Landry Angelo Adélakoun se dit « sûr à 99% » que le Bénin ne respectera pas cette dernière décision de la CADHP. Il rappelle que depuis plusieurs années, le Bénin n’exécute pas les décisions de la Cour africaine, ce qui d’après lui est « très malheureux ». Commentant l’arrêt, M. Adélakoun estime que c’est une grande victoire. « C’est une victoire des droits de l’homme, c’est une victoire pour la promotion et la protection des droits de l’homme », s’est-il réjoui. Landry Angelo Adélakoun dit ne pas comprendre les arguments de défense de l’Etat béninois. Pour lui, une fois que la Cour Constitutionnelle béninoise a rendu une décision sur l’arrêté interministériel contesté, on peut considérer que les voix de recours sont épuisées à l’interne contrairement aux éléments avancés par les conseils du Bénin. Il rappelle que quelques mois après la décision qui interdit de délivrer des « actes d’autorités » aux citoyens recherchés par la justice, avant même de saisir la CADHP, Conaïde Latondji Akouedenoudjè a former un recours auprès de la Cour Constitutionnelle de son pays qui a trouvé que l’arrêté interministériel ne violait aucun texte de loi. « A partir du moment où les décisions de la Cour Constitutionnelle sont sans recours, nous sommes donc en présence de l’épuisement des voies de recours à l’interne et c’est ce que la Cour Africaine a essayé de rappeler à l’Etat béninois dans son arrêt », explique M. Adélakoun pour qui, il n’y a rien à reprocher à l’arrêt rendu le 13 juin.
Joël Atayi Guèdègbé, un acteur de la société civile et militant des droits de l’homme n’est pas aussi catégorique. Il rappelle qu’il y a quelques mois, le Bénin a été félicité au niveau de l’Examen Périodique Universel du Conseil des Droits des Nations Unies pour « certains progrès substantiels, ce qui n’indique pas que tout aurait été résolu comme par enchantement ». De son avis, pour apprécier, il faut donc attendre la fin du délai de six mois fixé au gouvernement béninois pour l’exécution de l’arrêt de la Cour africaine. « C’est avec la réaction du gouvernement béninois, voire de la Commission béninoise des droits de l’homme qu’on saura situer la position des autorités à se soumettre ou non à cet arrêt de la Cour Africaine », commente-t-il.
Des relations tendues entre la CADHP et le Bénin
Depuis plusieurs années, les relations ne sont pas bonnes entre Cotonou et la juridiction communautaire qui siège à Arusha en Tanzanie.
En avril 2020, le Bénin a décidé de retirer la déclaration de compétence de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples. C’est cette déclaration qui permet aux citoyens et aux organisations de la société civile de saisir directement la Cour comme dans le cas de la présente procédure. Comme l’exige la procédure, cette décision de l’Etat a pris effet un an après.
A partir d’avril 2021, les citoyens et organisations de la société civile n’ont plus la possibilité de saisir la juridiction continentale. Le gouvernement béninois avait pris cette décision après un arrêt de la Cour ordonnant la suspension du processus électoral des locales de mai 2020. La Cour d’Arusha se prononçait sur une requête de l’opposant béninois Sébastien Ajavon.
Il avait saisi la juridiction contre une décision des autorités béninois écartant son parti Union Sociale Libérale était écarté du jeu électoral.
RK/ac/APA