Pionnier de l’agriculture durable en Côte d’Ivoire, Père Barnabé Bacary, cet homme de foi consacre, depuis 2010, son ministère non seulement à prêcher l’Evangile, mais aussi à enseigner des pratiques agricoles qui soutiennent le développement durable des communautés locales.
APA-Abidjan (Côte d’Ivoire) De notre envoyé spécial : Abdourahmane Diallo
Le soleil joue à cache-cache derrière les nuages en ce mercredi 4 septembre 2024, baignant d’une lumière tamisée les vastes étendues de la Société agro-piscicole de la Mé, située à Adzopé, ville du Sud de la Côte d’Ivoire, à environ 105 km d’Abidjan.
Au cœur de ce paysage transformé, une silhouette se détache : celle du Père Barnabé Bakary, prêtre et ingénieur agronome au regard visionnaire. Vêtu d’une chemise à manches courtes, assortie à un pantalon super 100 aussi sombre que la terre qu’il foule, il contemple avec une fierté discrète le miracle qu’il a orchestré.
Là où jadis s’étendait un sol argileux gorgé d’eau improductive, des femmes s’activent maintenant entre les sillons verdoyants d’un périmètre maraîcher florissant.
Berger d’âmes et de terres, le religieux a su conjuguer sa foi et sa science pour redonner vie à cette parcelle de Côte d’Ivoire, prouvant que la persévérance et l’innovation peuvent faire fleurir l’espoir même dans les terrains les plus ingrats grâce à l’utilisation de compost naturel.
C’est ainsi que depuis 2010, il consacre sa vie non seulement à prêcher l’Évangile, mais aussi à enseigner des pratiques agricoles qui soutiennent le développement des communautés locales. En effet, pour lui, la mission spirituelle et le devoir de développement humain sont indissociables.
« Je prêche l’Évangile à travers l’agriculture durable. Je suis un peu comme ceux qu’on appelle les prêtres ouvriers dans d’autres pays. Ma parole et ma passion, c’est l’agriculture. C’est pourquoi j’ai fait des études dans ce domaine. J’apporte ainsi ma contribution au développement. C’est ma manière d’évangéliser : aider à trouver des solutions durables pour les populations », déclare-t-il avec conviction, assurant qu’il s’inspire des enseignements bibliques pour offrir des solutions concrètes et durables aux défis agricoles des populations rurales.
Dès ses débuts, il a choisi une voie non conventionnelle pour un prêtre : l’agriculture. « Au début, ça a été difficile. Et quand je suis revenu ici après mes études, ces difficultés ont continué. Certains évêques, confrères et même paroissiens ne comprenaient pas qu’un prêtre puisse abandonner l’église pour s’adonner à l’agriculture. À un certain moment, j’ai même eu des doutes, mais je ne peux pas les étaler ici », se remémore-t-il.
Convaincu de l’œuvre salutaire qu’il accomplit, le Père Bakary a emprunté son bâton de pèlerin pour prêcher la bonne cause auprès de ses condisciples. « J’ai discuté avec les responsables et les jeunes dans des congrégations religieuses. Ils ont fini par comprendre qu’il était important que des religieux s’y adonnent, ne serait-ce que pour assurer l’autonomie financière de l’église. Aujourd’hui, nous avons au moins quatre prêtres ingénieurs agronomes », se réjouit l’homme de Dieu.
Le compost naturel, son allié
Formé en agronomie en France après ses études religieuses à l’Université Catholique de l’Afrique de l’Ouest (UCAO) d’Abidjan, il a vu l’impact dévastateur des pratiques agricoles industrielles sur l’environnement, notamment en Bretagne où « ils sont obligés de boire l’eau minérale parce que la nappe phréatique est souillée par des techniques d’élevage. »
Refusant de reproduire ces erreurs dans son propre pays, il a mis en place des techniques basées sur le compost naturel, un engrais biologique composé de résidus de la basse-cour, de feuilles mortes, de déchets organiques, aidant à procurer au sol tout ce dont il a besoin, pour pouvoir donner ces résultats. Bref, tout ce qui est dans l’environnement immédiat qui soit biodégradable. Une approche plus respectueuse de l’environnement.
Son projet a débuté par la transformation de terres marécageuses et infertiles en exploitations agricoles prospères, grâce à l’utilisation du compost local. Ce dernier vient améliorer la structure, la texture, la qualité du sol. Celui-ci va ensuite produire de l’humus et autres nutriments pour nourrir la plante. Une approche beaucoup plus durable.
« J’apprends aux gens à se soigner de manière durable, à bien s’alimenter, à protéger leur environnement pour ne pas gâter cette belle créature que Dieu nous a donné », explique-t-il.
Poursuivant, il précise que comme dans la vie en société, il y a toutes sortes d’activités, de professions qui agissent de manière complémentaire. Il en est de même dans l’église. « Il y a ceux qui vont prêcher la bonne parole tous les dimanches, nous nourrir de la parole. Et il y a ceux qui vont venir aussi nourrir le corps et l’âme du pain de l’agriculture durable pour nous aider à faire face à toutes ces catastrophes climatiques », avance-t-il.
La transmission du savoir, un sacerdoce
Au cœur de sa mission, il forme des coopératives de femmes, des jeunes et des techniciens agricoles à l’agriculture durable. Ce faisant, il leur transmet des pratiques accessibles qui favorisent l’autonomie économique tout en respectant l’écosystème.
En période de crise, notamment avec la montée des prix des engrais chimiques, le compost devient une alternative salutaire. Pour le Père Bakary, cette méthode est bien plus qu’une technique agricole, c’est une voie de salut pour les générations futures.
« Les femmes des coopératives que nous accompagnons nous disent que les légumes qu’elles produisent avec le compost se conservent mieux et ont une durée de vie plus longues que ceux cultivés avec les engrais minéraux », souligne le prêtre.
Sa vision de l’évangélisation est résolument tournée vers l’action. « Quand Jésus dit +donnez-leur vous-mêmes à manger+, je viens apprendre aux gens à pêcher, à trouver la nourriture », dit-il citant les Écritures pour appuyer sa démarche. A ses yeux, nourrir le corps et l’âme vont de pair.
Aujourd’hui, c’est en précurseur satisfait qu’il constate une mise à l’échelle de ses pratiques. « Je sens que mon rêve est en train d’être accompli. Ce sera une relève qui va s’étendre un peu comme un filet, un peu partout », espère-t-il, confiant en l’avenir.
Une passion innée pour l’agriculture
Originaire de Boniérédougou dans le département de Dabakala (Centre-Nord), le père Barnabé Bakary a suivi un parcours académique et spirituel remarquable. Après ses études primaires, il poursuit sa formation au petit séminaire de Katiola, puis au lycée catholique de Dabou. Il obtient un Diplôme d’études universitaires générales (DEUG) en philosophie à l’UCAO, avant de partir en France pour un BAC S, et réussit ensuite le concours d’entrée à l’école supérieure d’agronomie de Purpan, à Toulouse.
De retour en Côte d’Ivoire, il décide de continuer ses études théologiques à l’Institut Missionnaire Catholique d’Abidjan tout en travaillant comme directeur d’un centre de formation agrobiologique, où il forme des jeunes déscolarisés en agriculture, élevage et gestion. En 2010, le père Barnabé est approché pour réaliser un audit de 8 jours par le fondateur de la SAP de la ME. Ce qui devait être une mission temporaire s’est transformée en un engagement durable, puisqu’il y travaille depuis 14 ans, avec la même passion et dévouement.
« Depuis tout petit. J’ai toujours dit que le jour où je serai prêtre, ce ne serait pas dans une paroisse », conclut-il, avec l’espoir de pouvoir continuer encore très longtemps à faire sa tournée quotidienne pour s’assurer que tout se passe très bien.
ARD/APA
* Ce portrait a été produit au cours de l’atelier de formation de journalistes francophones sur « la désertification et la gestion durable des terres », du 02 au 06 septembre à Abidjan.