Dakar vient de se doter d’une Évaluation Environnementale et Sociale Stratégique (EESS) provisoire du secteur pétrolier et gazier qui, une fois validée, va permettre d’anticiper et gérer durablement les impacts environnementaux et sociaux de ce nouveau secteur clé.
À l’aube de l’exploitation de ses importantes ressources pétrolières et gazières offshore et onshore, le Sénégal se dote d’une feuille de route ambitieuse pour en maîtriser les impacts environnementaux et sociaux. Le rapport provisoire de l’Évaluation Environnementale et Sociale Stratégique (EESS) du secteur pétrolier et gazier a été présenté mardi 7 mai à Dakar devant l’ensemble des parties prenantes.
Lancée en 2021 par les autorités sénégalaises, avec l’appui technique et financier de la Banque mondiale, cette vaste étude stratégique visait à anticiper et gérer durablement les enjeux d’un secteur nouveau et à fort potentiel pour le développement économique du pays. L’EESS a été conduite selon les normes les plus exigeantes, à savoir le Cadre Environnemental et Social de la Banque mondiale et le Protocole de Kiev sur l’Évaluation Environnementale Stratégique.
Ses principaux objectifs sont d’intégrer les préoccupations environnementales, sociales et économiques, de prévenir les accidents majeurs, de combler les lacunes réglementaires et d’impliquer toutes les parties prenantes.
Son processus rigoureux a permis d’identifier et d’évaluer les risques et impacts environnementaux, sociaux, sanitaires et sécuritaires potentiels directs, indirects, cumulatifs et transfrontaliers des futures activités pétrolières et gazières.
« Cette EES du secteur pétro-gazier offshore et onshore qui nous est soumise pour examen et validation, véritable outil de gouvernance, nous permettra de définir les mesures de gestion durable du secteur, en tenant compte des multiples usages de la mer et des écosystèmes terrestres à travers un plan cadre de gestion environnementale et sociale (PCGES), conformément aux exigences du Code de l’Environnement et de celles du nouveau cadre environnemental et social (CES) de la Banque mondiale ainsi que des directives du Protocole de Kiev sur les EES », a expliqué le Directeur de de la Réglementation environnementale et du Contrôle (DIREC), Baba Dramé.
Par ailleurs, a-t-il ajouté, l’EES du secteur pétro-gazier, en plus d’être adossée sur un Schéma Directeur de développement pétrolier et gazier, est accompagnée de l’élaboration de directives environnementales, sécuritaires et sociales qui seront transformées en textes réglementaires pour renforcer les normes qui régissent et gouvernent le secteur mais aussi, de l’Atlas de l’environnement du milieu offshore et côtier du Sénégal.
Ce dernier a pour objectif de répertorier et cartographier l’ensemble des zones et activités sensibles et vulnérables, aussi bien sur le milieu marin que sur le littoral, afin de minimiser les impacts de l’exploitation de l’industrie pétrolière.
Refonte juridique, réformes institutionnelles et renforcement des capacités
Parmi les principales recommandations figurent l’adoption d’une loi-cadre dédiée à la gestion environnementale et sociale du secteur pétro-gazier, l’établissement de normes environnementales spécifiques, ainsi que la mise à jour de la Contribution Déterminée Nationale (NDC) du Sénégal pour y intégrer les scénarios de l’EESS.
Une réforme institutionnelle est également préconisée pour mettre en place une gouvernance multisectorielle impliquant tous les ministères concernés. Un vaste programme de renforcement des capacités de l’ensemble des acteurs institutionnels et un guide pratique pour la conduite des études d’impacts sont prévus.
Par ailleurs, l’EESS insiste sur la nécessité d’une stratégie nationale de communication dédiée, afin d’assurer la transparence et l’engagement continu de la population et de la société civile.
Plateforme numérique et plan de développement social
Mais la recommandation centrale et novatrice de l’EESS est la mise en œuvre d’une plateforme numérique nationale centralisée pour la gestion intégrée des données environnementales et sociales du secteur pétro-gazier. Véritable système d’information de suivi en temps réel, cette plateforme numérique permettra d’agréger les données des opérateurs, du gouvernement et des autres parties prenantes.
Son objectif est de suivre avec précision l’évolution des indicateurs de performance environnementaux et sociaux clés définis par le cadre de l’EESS. Cela offrira une visibilité objective sur l’atteinte des cibles nationales de durabilité et sur l’efficacité des mesures d’atténuation des impacts mises en œuvre.
Enfin, le rapport insiste sur l’impérativ pour le Sénégal d’élaborer un ambitieux plan national de développement socio-économique à partir des retombées financières du secteur des hydrocarbures, en s’inspirant des expériences des autres pays pétroliers et gaziers.
Une phase de validation avant adoption définitive
Ce rapport provisoire de l’EESS marque une étape cruciale vers une exploitation pétrolière et gazière durable et créatrice de valeur partagée pour le Sénégal et sa population. Une phase de validation par les parties prenantes est prévue avant l’adoption définitive de cette feuille de route par le gouvernement.
L’enjeu est de taille : bâtir dès à présent un cadre environnemental, social et économique robuste, équitable et pérenne pour que ce nouveau secteur d’avenir ne compromette pas le développement durable du Sénégal. Un défi qui semble désormais à portée de main grâce au travail de fond réalisé par l’EESS.
Une EESS critiquée pour ses manquements
Mamadou Lamine Diagne, Directeur exécutif de l’ONG Action pour la Justice Environnementale (AJE), émet cependant de sérieuses réserves sur l’EESS. « L’étude viole les dispositions pertinentes du code de l’environnement qui disposent que l’EESS est une étape préalable obligatoire avant tout développement et mise en œuvre d’un programme », dénonce-t-il, estimant que le processus est ici inversé de manière problématique.
M. Diagne regrette également que l’EESS annonce des questions environnementales essentielles sans véritablement les développer ni proposer d’orientations stratégiques. C’est le cas selon lui pour la gestion des écosystèmes de mangroves, le principe du « pollueur-payeur », le Plan National d’Intervention d’Urgence en Mer ou encore les impacts sur l’avifaune et le plancton marin.
La conservation des Aires Protégées d’Importance Critique (APAC) pour la biodiversité est également insuffisamment traitée d’après lui. « Valider une telle étude lacunaire et se basant sur des données dépassées serait un laxisme notoire », conclut le responsable de l’AJE, appelant à une prise en compte du nouveau code forestier et environnemental.
Face aux critiques émises, notamment par M. Diagne de l’ONG AJE, les autorités sénégalaises se sont voulues rassurantes. Elles ont assuré que le rapport de l’EESS n’était qu’une version provisoire et qu’un processus de validation et d’amendements était prévu avant son adoption définitive.
Toutes les observations pertinentes, comme celles formulées par la société civile, seront rigoureusement examinées et intégrées dans la version finale de l’EESS, a assuré M. Dramé. « Notre ambition est de disposer d’une feuille de route complète, opérationnelle et respectueuse des réglementations nationales et internationales », a-t-il fait savoir.
Les autorités ont également insisté sur le caractère inédit et stratégique de cette évaluation environnementale d’ensemble. « C’est un travail de très grande ampleur, sans précédent au Sénégal, qui pourra encore être enrichi grâce au processus participatif », a-t-on expliqué, réaffirmant la détermination à mettre en œuvre la feuille de route de l’EESS dans un esprit d’ouverture et de transparence.
ARD/ac/APA