Soumis pour la plupart à un système qui rappelle l’esclavage, le sort des travailleurs Africains du Sud du Sahara au Liban s’est aggravé avec l’intensification des bombardements israéliens sur Beyrouth.
Le Liban est au bord du gouffre. Ce petit pays du Proche-Orient, d’une superficie de 10 452 km², soit presque 20 fois moins grand que le Sénégal, est en proie à une crise sécuritaire qui affecte profondément sa population.m, exacerbée par les bombardements israéliens en cours depuis plusieurs mois.
Dans ce contexte explosif, la communauté africaine sub-saharienne qui vit au Liban, principalement composée de travailleurs migrants, se trouve dans une situation particulièrement précaire. Majoritairement originaires d’Afrique de l’Est (Kenya, Éthiopie) et d’Afrique de l’Ouest, ces travailleurs, en grande partie des femmes, sont soumis au système de « Kafala », qui les lie à leur employeur et les prive de protections juridiques fondamentales. Ce système, hérité d’une pratique coutumière bédouine, expose plus de 250 000 travailleuses domestiques migrantes à des conditions de travail précaires et à des risques d’exploitation.
Les travailleuses migrantes sont exclues du droit du travail libanais et sont souvent victimes d’abus physiques et sexuels. Une étude révèle que 68 % d’entre elles ont subi du harcèlement sexuel, et 11,7 % ont été victimes d’agression sexuelle. « Le Kafala, c’est le Liban », ironise une ressortissante africaine.
Déjà confrontées à ces conditions inhumaines, ces femmes se retrouvent maintenant abandonnées dans un contexte de guerre. Certains employeurs fuient le conflit, n’hésitant pas à jeter leurs « domestiques » dans la rue. « Pas plus tard qu’aujourd’hui (samedi 5 octobre), nous en avons récupéré deux de nationalité camerounaise. Elles étaient bien amochées », confirme Viany de Marceau.
Viany, présidente du Regroupement des migrants de l’Afrique noire (Reman), est arrivée au Liban en tant que travailleuse domestique avant de se reconvertir dans le stylisme. Elle se débrouille aujourd’hui pour aider ses « sœurs et frères africains en détresse ». Avec d’autres Africaines, elle parcourt tout le territoire libanais, bravant les dangers pour secourir les plus démunis. « Aujourd’hui, depuis 10 heures, avec deux autres, une Sénégalaise et une Sierra Léonaise, nous avons visité des foyers informels pour apporter du réconfort à des sœurs africaines vivant dans des conditions difficiles », raconte-t-elle au téléphone, sa voix trahissant la fatigue. Les foyers auxquels elle fait allusion sont des appartements qui accueillent des migrants africains. Elle en a recensé plus de 10 qu’elle dessert quotidiennement.
Son organisation assiste quotidiennement environ 200 personnes, principalement des Africains, dans divers quartiers de Beyrouth et ses environs. Face à cette situation alarmante, Viany déplore l’absence de réaction des gouvernements africains. Son principal objectif est d’apporter du soutien aux ressortissants africains grâce aux contributions de « personnes pétries d’humanisme » en attendant un « hypothétique rapatriement en masse ». Elle a mis en place une cagnotte et a lancé un hashtag #Remanhelp sur les réseaux sociaux pour mobiliser des fonds.
Depuis octobre 2023, l’escalade de la violence due au conflit israélo-palestinien a gravement détérioré la situation. La semaine dernière, Tsahal (l’armée israélienne) a intensifié les frappes en visant le chef du mouvement islamiste chiite le Hezbollah, Hassan Nasrallah, dans le Sud de la banlieue de Beyrouth, la capitale.
Selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), le conflit a causé depuis octobre 2023, plus de 1800 morts et 9100 blessés, entraînant le déplacement de 346 000 personnes à l’intérieur du pays et forçant 175 000 autres à fuir vers la Syrie voisine. Le ministre libanais de l’Information, Ziad Makary a exprimé ses craintes quant à l’émergence d’un « nouveau Gaza au Liban », alors que les frappes israéliennes touchent Beyrouth, la Bekaa, le Mont Liban et le sud du pays.
De son côté, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) a lancé un appel urgent de 32,46 millions de dollars pour soutenir 400 000 personnes entre octobre et décembre 2024. L’assistance se concentrera sur les secteurs essentiels : santé, abris, gestion des sites et protection des groupes vulnérables.
Serge Hope, un humanitaire ayant travaillé sur place, s’insurge également contre le manque de réaction des États africains face à la crise. « J’étais à Beyrouth en juillet, lors des premiers bombardements, et j’ai remarqué que toutes les chancelleries occidentales avaient commencé à évacuer leurs ressortissants. Même l’Union européenne a formé une coalition pour récupérer et évacuer ses citoyens. Mon constat, qui est très triste, est qu’aucune chancellerie africaine n’évacue ses ressortissants », regrette-t-il.
Malgré cette absence d’assistance, des ressortissants africains ont lutté pour atteindre l’aéroport. Toutefois, la situation devient de plus en plus complexe et les possibilités d’évasion s’amenuisent. Viany de Marceau affirme qu’il est désormais très difficile, voire impossible, de trouver un billet d’avion pour quitter le pays. « Tous les Africains qui avaient réservé ont vu leurs billets annulés », geint-elle.
Face à cette situation dramatique, des pays africains comme le Kenya, la Gambie et le Sénégal ont entrepris des actions concrètes pour rapatrier leurs ressortissants. Nairobi a demandé aux Kenyans présents au Liban de s’enregistrer auprès de ses missions diplomatiques en leur proposant une évacuation gratuite. Pour sa part, le ministre porte-parole du gouvernement sénégalais, Amadou Moustapha Njekk Sarré, a annoncé sur une radio privée locale que le rapatriement des Sénégalais aurait lieu « dans les prochaines heures ».
Pendant ce temps, d’autres pays restent inactifs, privilégiant les sommets et les rencontres diplomatiques, alors que leurs ressortissants n’aspirent qu’à une seule chose : être évacués. « Si je trouve un avion, je ne resterai pas un jour de plus au Liban », déclare une Sénégalaise, précisant avoir déjà perdu son emploi en raison de l’intensification des violences.
« Il est temps que les chancelleries, les gouvernements africains, les institutions africaines, l’Union africaine, la Cedeao, toutes ces institutions-là, fassent une sorte de coalition pour discuter avec les belligérants et établir un corridor de sécurité. Cela permettrait à ces gens de se déplacer, de se rendre à Chypre ou même vers la Syrie afin de pouvoir prendre un avion pour rentrer chez eux », plaide avec insistance Serge Hope. Reste à espérer que son message soit entendu.
AC/te/Sf/APA