Au lendemain du coup d’Etat manqué en Guinée-Bissau, Ibrahima Kane, chargé des questions régionales à l’ONG OSIWA, explique à APA que la multiplication récemment des putschs en Afrique de l’Ouest ne signifie pas qu’il y a une tendance lourde dans la région.
La Guinée-Bissau a été, mardi 1er février, le théâtre d’un coup d’État avorté contre le président Umaro Sissoco Embaló. Quelles sont les causes de ce putsch raté ?
Officiellement, selon le président Umaro Sissoco Embaló, lui-même, c’était des ennemis de son gouvernement et des narcotrafiquants qui essayaient de fomenter un coup d’Etat. Mais pour qui suit l’actualité bissau-guinéenne de ces quatre derniers mois, on sait que le décès du chef d’Etat-Major, le général Biagué Na Ntan, a créé une situation inédite dans le pays. Parce que cet officier supérieur constituait le lien entre le président Embaló, qui est lui-même un général à la retraite, et le reste de l’armée. Et il semblerait qu’une des raisons pour lesquelles les militaires se sont soulevés, c’était pour influencer la nomination d’un nouveau chef d’Etat-Major.
Le deuxième point, on sait que l’équipe qui a porté M. Embaló au pouvoir avait commencé à connaître des fissures. Je pense notamment à un des leaders de l’opposition, à savoir le Mouvement pour l’alliance patriotique qui a créé une sorte de dissidence au sein de la coalition. Et en plus, tout le monde connaît les rapports plus ou moins difficiles que le président Embaló avait avec son Premier ministre. Tous ces éléments faisaient que le contexte politique bissau-guinéen était difficile. Il pouvait donner des idées à des militaires surtout dans le contexte actuel de l’Afrique de l’Ouest où les coups d’Etat se font à la pelle.
Après le Mali, la Guinée Conakry et le Burkina Faso récemment, assiste-t-on, avec ce coup de force à Bissau, à un retour des coups d’État en Afrique de l’Ouest ?
Je ne le pense pas. Les coups d’État ne pas les les réponses appropriées aux situations difficiles que nous vivons dans la région ouest-africaine. Il y a 18 mois, des militaires avaient pris le pouvoir au Mali en arguant que le pouvoir civil avait failli à assurer la défense du territoire et à avoir une gestion vertueuse de l’appareil d’Etat. Mais 18 mois après, la situation a empiré au Mali. Et ce sont les mêmes militaires qui contrôlent le pays depuis cette période. Ce n’est donc, visiblement, pas le coup d’État qui a amélioré la situation sécuritaire au Mali. Il l’a au contraire rendu difficile.
En Guinée Conakry, tout le monde savait qu’on allait vers le précipice du fait de l’absence de réaction de la Cédéao, mais du fait aussi de la fuite en avant du président Alpha Condé, déposé par l’armée le 5 septembre dernier. Contre vents et marées, le président Condé a voulu avoir un troisième mandat et gérer le pays comme il gère sa maison. Et donc on en est arrivé là. Il a fallu quelques militaires, du fait de la faiblesse de l’Etat, pour prendre le pouvoir. Et au Burkina Faso aussi, l’explication c’est que la crise sécuritaire a pris une certaine ampleur. Les militaires ont pensé que les politiques ne voulaient pas les aider, ils ont pris le pouvoir.
Chacun de ces coups d’Etat répond à une certaine réalité. Mais celle-ci est différente selon les pays. Les coups d’Etat ne sont donc pas une tendance lourde dans la région. Cependant, il faut espérer que la Cédéao va en tirer les leçons, comme elle a déjà commencé à le faire avec le sommet extraordinaire pour vraiment mettre le holà sur le mouvement de bruits de bottes dans la région.
Quels sont les pays de la région qui présentent des conditions favorables à un renversement du président par les militaires ?
J’assistais la semaine dernière à une réunion où tout le monde insistait sur le fait qu’il y avait des risques sérieux de rébellion militaire en Guinée-Bissau. Cela s’est finalement prouvé. Beaucoup pensent au Niger, mais je ne pense pas, dans son état actuel, que les militaires soient tentés de faire quoi que ce soit. D’abord, la crise sécuritaire est localisée à l’ouest du Niger, un pays qui reçoit beaucoup d’aides de la part des puissances occidentales. Il n’est pas dans la même situation que le Mali ou le Burkina Faso. A mon avis, le Niger n’est pas dans une situation sécuritaire inquiétante.
Dans les pays côtiers, jusqu’à présent les Etats assurent le contrôle de leur territoire. Même s’il y a, ici et là, au Bénin, au Togo, au Ghana et même en Côte d’Ivoire, quelques attentats et tentatives d’infiltration de groupes terroristes, ces Etats arrivent à contrôler la situation. Dans l’immédiat, je ne vois pas de pays qui se trouvent dans l’œil du cyclone où le président pourrait être renversé par les militaires.
L’Union africaine et la Cédéao ont condamné la tentative de coup d’État en Guinée-Bissau. Cette réaction était-elle suffisante ?
La Cédéao doit vraiment revoir sa copie. Sa Commission qui est la cheville ouvrière de l’institution, en premier. La crise en Guinée-Bissau couvait depuis longtemps. On n’a pas vu la Cédéao agir de manière concrète, par exemple envoyer des émissaires dans le pays pour s’enquérir de la situation. Pourtant, elle a une force militaire basée dans ce pays et connaît très bien la situation pour y avoir géré beaucoup de crises. Elle avait donc en mains tous les éléments qui lui permettaient d’agir rapidement et efficacement. Elle ne l’a pas fait. C’est la même chose pour la crise en Guinée Conakry.
Il y a vraiment un besoin réel pour la Cédéao de revoir sa méthode de travail et sa façon d’agir dans les pays. Ce ne sont pas les textes qui manquent. Si vous prenez le Protocole de 2012 qui concerne les sanctions contre les pays, il est clairement dit dans le document que le président de la Commission peut initier des actions allant dans le sens de sanctionner les Etats pour ne pas avoir ou avoir mal appliqué les décisions ou les normes de la Cédéao. Mais on n’a jamais vu la Commission faire cela. Elle a toujours agi de manière très politique alors qu’elle a des moyens d’agir.
Pour les chefs d’Etat également, je pense que ça ne sert à rien d’attendre qu’une situation s’envenime quelque part pour tenir des sommets extraordinaires. Il faut quand même prendre le taureau par les cornes, voir que dans tel ou tel pays il y a des crises. Il faut mener des actions énergiques, à la limite menacer le gouvernement en place de sanctions pour qu’il respecte les normes et principes de la Cédéao. Si ce n’est pas le cas, on risque de se retrouver encore avec des crises çà et là.
ODL/te/APA