La présidente de la Société ivoirienne de neurochirurgie (SINC), professeur Espérance Broalet, par ailleurs présidente de l’association Esperance’s Hope, ébauche des voies pour contenir le Spina Bifida et l’hydrocéphalie, deux maladies invalidantes chez les enfants, dans un entretien.
A l’occasion de la célébration de la Journée mondiale du Spina Bifida et de l’hydrocéphalie, organisée chaque 25 octobre, vous avez sensibilisé les populations de Korhogo (Nord ivoirien). Quel est l’enjeu de cette action ?
Il faut noter que ces maladies sont des malformations du système nerveux, pour l’un, le Spina Bifida, qui touche la colonne vertébrale et pour l’hydrocéphalie, une pathologie qui affecte le cerveau.
L’hydrocéphalie peut ne pas être une malformation. Elle peut survenir également dans d’autres circonstances comme les infections, les tumeurs, les hémorragies qui vont atteindre le cerveau de l’enfant.
Cette journée est une occasion pour parler de l’hydrocéphalie et du Spina Bifida, deux maladies invalidantes chez les enfants, parce qu’elles vont être à l’origine d’handicaps psychomoteurs. Ce sont donc des enfants qui vont avoir un retard de développement et qui ne pourront pas avoir une vie normale.
Cette journée a donc pour objectif de faire connaître ces maladies parce que ce les enfants atteints de ces pathologies sont livrés à leurs familles. Ce sont des enfants souvent appelés enfants génies, vu que l’incidence de ces maladies chez eux entraînera une hypotonie qui fait qu’ils sont tous mous.
La campagne de sensibilisation permet ainsi d’aider à la prise en charge de ces enfants généralement issus de familles à faibles revenus. A travers cette journée, nous pouvons sensibiliser les populations, le personnel de santé et les autorités administratives et coutumières.
Il s’agit de leur faire comprendre la nécessité de la mise en place de structures et de moyens pour la prise en charge de ces pathologies. C’est aussi une occasion d’améliorer la recherche sur ces maladies, parce que c’est en les connaissant qu’on pourra les prévenir et faire reculer leur incidence.
Durant la campagne, avez-vous mesuré l’incidence de ces maladies à Korhogo ?
Le bilan de la campagne est satisfaisant. Nous avons diagnostiqué environ 24 enfants. Parmi eux, nous avons eu des cas d’anomalies de malformation du système nerveux. Tous n’étaient pas des cas d’hydrocéphalie, dont nous en avons enregistré cinq.
Il s’agissait de grands enfants. Le besoin de dépistage existe à Korhogo. Nous avons fait de la sensibilisation et nous nous sommes rendus compte que les populations connaissaient vaguement ces maladies puisqu’elles se réfèrent généralement à la médecine traditionnelle pour les traiter. Nous avons pu opérer 17 enfants en trois jours.
En 2023, nous avons fait des journées éclatées qui se sont étendues sur 19 jours dans neuf villes de la Côte d’Ivoire, notamment à Jacqueville, Dabou, Grand-Lahou, Duékoué, San-Pedro, Bouna, Bouaké, Yamoussoukro et Bingerville.
Nous avons eu 36 cas. Cela veut dire que les cas sont présents et lorsque les campagnes sont faites cela permet de les sortir de leur cachette et d’effectuer les opérations chirurgicales. Même ici à Korhogo, nous avons vu un très grand engouement des populations.
Aujourd’hui, les enfants sont de plus en plus diagnostiqués à travers le pays, mais le problème qui se pose est celui de la prise en charge. Ces campagnes permettent alors aux populations de connaître ces maladies et de savoir comment les prévenir.
Quel message à l’endroit des géniteurs pour éviter ces maladies ?
Je voudrais demander à toutes les femmes en âge de procréer de préparer la grossesse. Car, les carences en acide folique ou en zinc peuvent être à la base du Spina Bifida et de l’hydrocéphalie.
Au moment de la grossesse, il ne faut pas qu’il y ait certaines conditions existantes chez la mère notamment l’alcoolisme, la drogue, le tabac, les toxiques (l’usage des pesticides pour les femmes travaillant au champ), les infections non soignées, l’hypertension artérielle ou le diabète non contrôlée.
C’est pourquoi, les grossesses doivent être suivies par les spécialistes en la matière. Nous voulons sortir ces enfants de l’ombre et pouvoir les prendre en charge. Il faut surtout que les populations comprennent qu’il faut les envoyer en consultation pour qu’on s’occupe d’eux.
Nos perspectives vont également être axées sur la prévention. Mais, pour le faire et savoir si cela a marché, il faut faire des études pour savoir en une année combien d’enfants vont naître avec ces malformations.
Cela nécessite des moyens et nous espérons être accompagnés. C’est à partir de là qu’il va falloir mettre en place une prévention individuelle et collective. La première, c’est la supplémentation en acide folique (vitamine B9) chez les femmes en âge de procréer.
La seconde, c’est la fortification des aliments en acide folique. C’est-à-dire que pour que quelqu’un puisse vendre sa farine par exemple, l’État l’oblige à insérer les nutriments nécessaires qui vont éviter l’apparition de ces malformations.
Nous voulons arriver à mettre en place un registre des malformations, à instaurer dans le carnet de l’enfant la mesure du périmètre crânien qui va permettre de détecter très tôt l’hydrocéphalie. Il faut pouvoir instituer un programme national de lutte contre les malformations à l’instar de celui du paludisme.
Ce programme aura pour mission d’assurer la sensibilisation des femmes en âge de procréer, d’élaborer des études pour rechercher l’incidence de ces malformations et de mettre en place un conseil génétique, afin de rechercher les causes héréditaires des malformations et donner des conseils aux parents avant même de prendre une grossesse.
Au niveau de la prise en charge, vous êtes en partenariat avec le Centre Don Orione. Dites-nous comment cela est organisé ?
A Don Orione, l’établissement médical reçoit les enfants qui ont des retards psychomoteurs. Ceux-ci peuvent être dus à plusieurs causes, notamment les malformations du système nerveux. C’est en cela que les personnes en charge de ces enfants ont décidé de nous rencontrer pour nous soumettre des suspicions d’hydrocéphalie ou de Spina Bifida et de là est née cette collaboration.
Nous pensons que la sensibilisation que nous faisons et l’information que nous donnons aux différentes autorités va permettre de relever les défis posés par ces maladies, notamment l’absence de données statistiques, de structures adéquates et de moyens financiers.
Il est aussi question d’un déficit de neurochirurgien. Nous sommes près de 25 neurochirurgiens en Côte d’Ivoire, répartis à Bouaké (centre ivoirien), à Abidjan et à Yamoussoukro. Donc, il faut noter qu’il y a un besoin de formation.
La neurochirurgie est réputée pour être une filière difficile, en plus d’être coûteuse et prend plus de temps concernant la formation. La solution pourrait venir de mesures incitatives de l’Etat, à travers des aides à la formation, avec l’octroi de bourses d’études.
Le ratio en ce moment est d’un neurochirurgien pour environ 1,2 million d’habitants. Cela veut dire que pour atteindre la norme d’un neurochirurgien pour 200.000 habitants, il faut selon les standards de l’OMS, multiplier notre nombre par six, et pour cela il faut former.
La formation dure cinq ans et en plus de cela il faut faire un stage d’un an à l’étranger. Ramener au coût annuel à débourser, cela fait beaucoup. Le ministère de la Santé ayant en projet d’ouvrir des services de neurochirurgie dans pratiquement toutes les régions de Côte d’Ivoire, il faut mettre l’accent sur la formation pour que lorsque ces centres seront fonctionnels, on ait des neurochirurgiens.
Dans un centre on ne peut pas avoir qu’un seul neurochirurgien, parce que pour opérer, il faut au minimum deux à trois neurochirurgiens.
AP/Sf/APA