À 68 ans, l’ancien maire de Dakar propose à ses concitoyens un projet de société articulé autour de cinq orientations stratégiques.
Parmi les dix-neuf candidats en lice pour l’élection présidentielle du 24 mars 2024, Khalifa Ababacar Sall est l’un des plus âgés. Et pourtant, le chef de file de Taxawu Sénégal (Servir le Sénégal, en langue wolof), du haut de ses décennies d’engagement dans le champ politique, n’a jamais auparavant connu pareille expérience.
Formé à l’école du Parti Socialiste (PS) qu’il a rejoint dès l’âge de 12 ans, Khalifa a gravi les échelons du pouvoir en occupant les postes de conseiller municipal, député, ministre et maire de Dakar. Malgré la défaite du régime d’Abdou Diouf en 2000, il a été à deux reprises édile de la capitale grâce à ses victoires aux élections locales en 2009 et 2014.
En perspective au référendum constitutionnel du 20 mars 2016, le natif de Louga (Nord-Ouest) a ramé à contre-courant de la formation politique de Léopold Sédar Senghor, premier président de l’Histoire du Sénégal, en appelant à voter non. En 2017, Khalifa Sall est exclu du PS du fait de sa contestation de l’alliance avec la coalition présidentielle Benno Bokk Yakaar (BBY, Unis par le même espoir, en langue wolof).
La même année, en mars plus précisément, il est incarcéré à la prison de Rebeuss (Dakar) avant d’être condamné en août 2018 à cinq ans pour « escroquerie aux deniers publics », « faux et usage de faux dans des documents administratifs » et « complicité en faux en écriture de commerce ». Une peine assortie d’une amende pénale de 5 millions F CFA (environ 8300 euros).
C’était dans le cadre de l’affaire de la caisse d’avance de la mairie de Dakar dans laquelle Khalifa était accusé d’avoir détourné 1,8 milliard F CFA (2,7 millions d’euros). Gracié en 2019 par Macky Sall, l’ancien Secrétaire Général des jeunesses socialistes a raté le train de la Présidentielle de 2019 en raison de sa condamnation judiciaire.
À la faveur d’une modification du Code électoral, adoptée à l’Assemblée nationale en août 2023, le titulaire d’une double maîtrise en histoire-géographie et en droit constitutionnel a recouvré son éligibilité. Pour enfin accéder à la magistrature suprême, dont la limite d’âge au Sénégal est fixée à 75 ans, le candidat de la coalition « Khalifa Président », à travers notamment son slogan « Motaali Yéné » (poursuivre l’ambition, en langue wolof), a décliné un programme axé sur cinq orientations stratégiques.
Communauté de valeurs et de destins
Khalifa Ababacar Sall entend « restaurer le rôle central de la famille, de l’école et de la société afin de consolider les fondements de notre vie commune ». Ainsi, celui ayant grandi à Grand-Yoff, populeuse commune de Dakar, prévoit de « valoriser notre modèle social et religieux ancré sur la diversité », d’œuvrer en faveur de « l’ouverture et la tolérance afin de renforcer notre résilience et de faire face aux menaces extrémistes et identitaires. »
Toujours dans le cadre des propositions, il souhaite « concilier travail-famille en encourageant des politiques qui favorisent l’équilibre entre les vies professionnelle et familiale, permettant aux parents de consacrer plus de temps à l’éducation de leurs enfants », « introduire des programmes d’éveil et d’éducation dans les grilles des radios et télévisions » et « renforcer les programmes d’éducation aux valeurs morales, civiques et culturelles dans le curriculum scolaire afin d’établir la complémentarité entre les éducations formelle et familiale. »
Gouvernance autour de principes partagés pour la cohésion
Ici, Khalifa Sall a pour objectif général de « refonder le pacte républicain autour d’institutions indépendantes, des droits et libertés, d’un État démocratique et décentralisé, et de la bonne gouvernance. »
L’époux de l’éditrice franco-sénégalaise Gaëlle Samb ambitionne d’ « instituer une incompatibilité entre la fonction de président de la République et celle de chef de parti politique », de « doter le Premier ministre de pouvoirs pléniers de chef de gouvernement qui dirige et coordonne l’action gouvernementale, dispose d’un pouvoir règlementaire autonome et nomme aux emplois civils non expressément réservés au président de la République. »
Dans la même veine, le champion de Taxawu Sénégal désire « conférer de nouveaux pouvoirs à l’Assemblée nationale dans la procédure législative et dans l’initiative des lois », « instituer une Cour constitutionnelle avec un mode de saisine élargi, des pouvoirs étendus en matière de contrôle et d’interprétation de constitutionnalité et une composition plus ouverte qui garantit l’indépendance de ses membres » et « assurer l’effectivité de l’indépendance organique du pouvoir judiciaire par la redéfinition des rapports entre l’exécutif et le parquet, et la réforme du Conseil supérieur de la magistrature présidé par le premier président de la Cour suprême. »
Le socialisme en bandoulière, Khalifa aspire à « mettre à jour le Code pénal et le Code de procédure pénale en l’harmonisant avec les conventions internationales en matière de droits humains à l’exclusion des droits incompatibles avec nos valeurs morales, sociétales et culturelles », à « adopter des mécanismes de saisine de l’Assemblée nationale par les citoyens pour l’ouverture de Commissions d’enquête parlementaire. »
Ancien ministre délégué auprès du Premier ministre chargé des Relations avec les Assemblées et ministre du Commerce et de l’Artisanat, le mentor de Barthélémy Dias envisage d’ « adopter une loi d’orientation sécuritaire portant sur les missions et les moyens des forces de sécurité et leurs relations avec les citoyens », de « mettre en place un processus transparent et inclusif de préparation et d’exécution du budget à travers la mise en œuvre intégrale des réformes introduites par les nouvelles directives du cadre harmonisé de gestion des finances publiques au sein de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa). »
Khalifa Sall, citoyen d’honneur des villes de Montréal (Canada), Nouakchott (Mauritanie), Brazzaville (Congo) ou encore Kinshasa (République Démocratique du Congo), promet de « renforcer la décentralisation de l’exécution du budget consolidé d’investissement de l’État en allouant chaque année un milliard F CFA à chaque collectivité territoriale » et d’ « engager l’administration dans une gestion axée sur les résultats en réformant ses structures et procédures. »
Inverser les tendances économiques par un redressement productif
« Bâtir une économie conforme à notre option de développement et capable de générer des richesses durables, de créer un volume important d’emplois et de lutter contre les vulnérabilités », c’est l’engagement de Khalifa Ababacar Sall.
Dans cette perspective, l’ex-consultant pour la bonne gouvernance en Afrique dans le système des Nations Unies pense à « définir et mettre en place une politique dans le domaine énergétique pour que les ressources générées par le pétrole et le gaz puissent assurer l’avenir grâce à des investissements dans les énergies renouvelables », à « mécaniser le secteur agricole et le rendre moins dépendant de la pluviométrie » et à « aménager des espaces dédiés à l’élevage pastoral autour d’un dispositif intégré et doté de parcs de vaccination, d’infrastructures hydrauliques, de forages pastoraux et de zones de cultures fourragères. »
En outre, Khalifa planifie de « renégocier dans la transparence, en concertation avec les acteurs, les accords de pêche en vue de diminuer la pression de la pêche industrielle étrangère sur notre pêche artisanale » et de « définir en rapport avec les acteurs une nouvelle politique forestière. »
Pour créer des emplois, dans un pays de 18 millions d’habitants où les moins de 19 ans représentent la moitié de la population, la coalition « Khalifa Président » est porteuse d’« un ambitieux plan d’industrialisation par la mise en place de pôles industriels régionaux d’une part en s’appuyant sur l’artisanat et la petite manufacture et d’autre part en établissant une articulation fonctionnelle entre l’industrie et le secteur primaire pour favoriser la transformation des productions agricoles, pastorales, halieutiques, avicoles et forestières. »
Il est aussi prévu une réforme du Code des investissements pour « mettre en place un cadre juridique et fiscal adapté pour les Très Petites Entreprises (TPE), Petites et Moyennes Industries (PMI) et Petites et Moyennes Entreprises (PME) », « élaborer et mettre en œuvre le programme sectoriel artisanat » et « mettre en place un fonds de relance afin de financer et/ou garantir les investissements dans le secteur du tourisme. »
Le successeur de Pape Diop à la mairie de Dakar, toujours dans le souci de transformer le Sénégal, songe à « relancer et accroître les investissements dans des infrastructures innovantes de communication et télécommunication » et « accélérer le processus de mise à disposition du Gaz Naturel Liquéfié (GNL), comme combustible, pour réduire les coûts et atteindre l’accès universel et pour tous les usages à travers des investissements majeurs dans le transport et la distribution de l’énergie. »
Khalifa Ababacar Sall appelle de ses vœux l’accélération de « la mise en valeur des mines de fer de la Falémé (Sénégal oriental) pour une industrie métallurgique au service du développement », « la fixation de conditions de transparence absolue d’exploitation des ressources naturelles, la systématisation des procédures de cession avec une validation des contrats par l’Assemblée nationale » et « la mise en place d’un cadre juridique et fiscal allégé de promotion de l’économie informelle. »
Égalité des droits, justice sociale, solidarité et équité territoriale
Khalifa Ababacar Sall projette d’« orienter l’investissement public vers l’objectif de remettre l’humain au centre des politiques publiques dans le but de bâtir un citoyen éduqué, instruit et épanoui dans une nation prospère. »
Pour ce faire, le leader ayant raflé avec sa liste la mise dans 16 communes sur 19 à Dakar, en juin 2014, à l’occasion des élections locales, table sur « le renforcement des lois et mécanismes de protection de l’enfance », « la garantie de l’accès universel et le maintien des enfants à l’école, notamment des jeunes filles par l’achèvement de la carte scolaire, le recrutement d’un personnel enseignant suffisant, l’allocation d’une prime de scolarité aux parents », « l’évaluation de la réforme Licence – Master – Doctorat (LMD) en vue de corriger les contraintes et difficultés de sa mise en œuvre », « l’augmentation des ressources financières allouées au secteur de la santé » ainsi que « l’élargissement de la protection sociale à un plus grand nombre de travailleurs. »
L’ex-Secrétaire Général de l’Association Internationale des Maires Francophones (AIMF) estime aussi qu’il faut « développer des partenariats public-privé pour offrir des formations professionnelles axées sur les compétences recherchées par les employeurs », « promouvoir la création d’emplois par le soutien massif à l’entreprenariat », « assurer une meilleure protection des œuvres et auteurs, en réglant la question du statut des créateurs et de la couverture sociale de tous les acteurs culturels » et « investir dans la construction et la modernisation d’infrastructures sportives multidisciplinaires sur tout le territoire national, en mettant l’accent sur des installations accessibles. »
Dans un pays où les disparités sont prononcées entre villes et villages, Khalifa Sall annonce la « mise à jour du Programme National d’Aménagement du Territoire articulé autour des 7 régions naturelles érigées en pôles de développement économique et social », « la réhabilitation et l’extension des infrastructures hydrauliques afin d’assurer l’accès universel à l’eau potable » et « le développement et la modernisation des ouvrages d’assainissement pour étendre la couverture nationale. »
Le candidat de la coalition « Khalifa Président » prescrit de « lancer des projets d’infrastructures de transport routier et ferroviaire avec les États voisins pour en faire des voies d’intégration et de connexion sous-régionale », d’« élaborer un nouveau Plan Directeur d’Urbanisme de Dakar et de sa banlieue en vue de remédier aux occupations irrégulières et aux inondations », d’« assurer la protection des zones côtières et des aires marines » et d’« adapter les infrastructures publiques pour les rendre accessibles aux personnes vivant avec un handicap. »
Une nation engagée dans la construction de l’unité africaine
Mais également « ouverte aux apports fécondants des autres parties du monde ». Pour faire émerger ce Sénégal, Khalifa a l’intention de « promouvoir une politique extérieure au service de la paix, du développement économique, de l’intégration africaine et de la sécurité en vue d’accroître son influence en Afrique et dans le monde. »
Le dissident du Parti Socialiste indique qu’il va « évaluer et redéfinir les orientations stratégiques de notre politique extérieure axée sur les intérêts nationaux », « diversifier et rééquilibrer les partenariats politiques, diplomatiques et économiques dans le monde en renforçant la coopération Sud-Sud et avec les pays émergents », « élaborer et appliquer une politique migratoire nationale en partenariat avec les pays de départ et d’accueil », « conclure avec les pays d’accueil des accords de coopération visant à garantir les droits et intérêts des migrants et de leurs familles. »
Enfin, Khalifa Ababacar Sall souligne la nécessité de « poursuivre l’équipement et la modernisation de notre armée en vue de faire face aux menaces sécuritaires physiques et technologiques (terrorisme, cyberattaques, etc.) » et de « renforcer les dispositifs de contrôle dans les zones frontalières dans le respect des normes communautaires. »
ID/ac/APA