Les griefs historiques non résolus et l’impunité pour les crimes graves ont continué de susciter des violations généralisées contre les civils dans la région, dénonce Human Rights Watch.
Dans La Corne de l’Afrique, les violences contre les populations civiles n’ont guère connu de répit en 2023. Dans son Rapport mondial 2024 rendu public ce jeudi, l’ONG Human Rights Watch (HRW) signale que les gouvernements de la région ont été aux prises avec des atrocités de guerre et des crises humanitaires généralisées tout au long de l’année écoulée, avec une maigre aide internationale.
Dans ce document, l’ONG note que les conflits au Soudan et en Éthiopie ont eu un impact considérable sur les civils, entraînant des pertes massives en vies humaines, des destructions de biens et des déplacements à grande échelle. « Au lieu de traiter ces crises comme des priorités, les gouvernements influents, les Nations Unies et les organismes régionaux ont recherché à plusieurs reprises des gains à court terme au détriment des solutions fondées sur les droits », dénonce HRW.
Selon Mausi Segun, directeur Afrique à Human Rights Watch, « le Soudan et l’Éthiopie fournissent des exemples effrayants de forces gouvernementales et de groupes armés bafouant le droit international, avec peu de conséquences pour leurs actions. » Partant de ce constat, il estime qu’« une action mondiale et régionale plus importante est nécessaire pour protéger les civils et mettre fin aux cycles d’abus et d’impunité qui mettent les civils en danger. »
Au Soudan, depuis avril, le conflit armé entre les Forces armées soudanaises et les Forces de soutien rapide, force armée indépendante, a eu des conséquences désastreuses pour les civils. Les parties belligérantes ont utilisé à plusieurs reprises des armes lourdes dans des zones densément peuplées et détruit des infrastructures essentielles, notamment des installations médicales.
Des milliers de civils ont été tués et blessés, tandis que des millions ont fui leurs foyers, déclenchant une crise humanitaire. Certains des pires abus ont eu lieu au Darfour occidental, où les Forces de soutien rapide et les milices alliées ont délibérément ciblé des civils non arabes, se livrant à des massacres, à des violences sexuelles et à des incendies criminels généralisés dans les villes.
Après que les parties au conflit dans le nord de l’Éthiopie ont signé un accord de cessation des hostilités en novembre 2022, les efforts internationaux limités visant à promouvoir une responsabilisation significative et à mettre fin aux abus se sont rapidement dissipés. Les partenaires de l’Éthiopie, notamment les États-Unis, l’Union européenne et ses États membres, ont commencé à normaliser leurs relations avec le gouvernement fédéral malgré les crimes contre l’humanité et d’autres graves abus, notamment à Amhara et au Tigré, et ailleurs, accuse HRW.
L’ONG relève par ailleurs que les conflits et les événements liés au climat ont déplacé des millions de personnes dans la région. Le conflit soudanais a contraint plus de 1,2 million de personnes à fuir vers les pays voisins. Parmi eux se trouvaient des réfugiés vivant au Soudan, qui accueille déjà plus de 2 millions de réfugiés sud-soudanais, ainsi que des centaines de milliers d’Érythréens, d’Éthiopiens et d’autres. Malgré des besoins omniprésents, les appels à l’aide dans la région restent largement sous-financés.
Dans toute la région, les actions délibérées des parties belligérantes ont exacerbé les crises humanitaires. En Éthiopie, les forces érythréennes ont empêché l’aide humanitaire d’atteindre les communautés situées dans les régions du Tigré sous leur contrôle, tandis que de violents combats, de fréquentes interruptions des télécommunications et des attaques contre des travailleurs humanitaires ont limité les opérations de secours à Amhara.
Human Rights Watch affirme en outre que la réponse du Conseil de sécurité de l’ONU aux dégâts civils généralisés et aux déplacements majeurs en Éthiopie et au Soudan a été minime. Ses trois membres africains n’ont pas encouragé de délibérations solides et significatives sur la protection des civils dans aucun des deux pays, ajoute-t-elle.
De manière plus positive, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a voté la création d’une mission internationale d’enquête indépendante chargée d’enquêter sur les abus commis au Soudan. Néanmoins, le Conseil de sécurité et les gouvernements concernés, ainsi que les acteurs régionaux, notamment l’Union africaine et son organisme des droits de l’homme, devraient donner la priorité à la responsabilisation dans tout règlement politique du conflit.
En revanche, relève HRW, les efforts visant à promouvoir la responsabilisation en Éthiopie ont connu des revers majeurs. L’UE, au cœur des précédentes résolutions du Conseil des droits de l’homme de l’ONU sur l’Éthiopie, a mis fin en septembre au contrôle de l’ONU sur la situation des droits de l’homme, malgré un rapport très critique de la Commission internationale d’experts des droits de l’homme sur l’Éthiopie (ICHREE) mandatée par le Conseil des droits de l’homme.
Les États membres n’ont pas fait pression pour le renouvellement de la commission, tandis que le mécanisme des droits de l’Union africaine a laissé sa propre enquête indépendante cesser complètement. Les gouvernements ont cédé face à la résistance du gouvernement éthiopien à une surveillance internationale continue pour soutenir ses efforts visant à établir un processus de justice transitionnelle national.
Les victimes de graves abus ont exprimé une profonde méfiance à l’égard des institutions éthiopiennes, qui n’ont pas réussi à établir les responsabilités pour les abus commis par les forces éthiopiennes et autres, notamment érythréennes.
« Dans toute la Corne de l’Afrique, les victimes de graves abus et leurs familles ainsi que les militants ont exigé à plusieurs reprises une protection des civils, des réparations pour les violations et la responsabilisation des responsables, y compris des personnes en position de pouvoir. Les organisations internationales et régionales et les gouvernements influents ont profondément déçu ceux qui en ont besoin avec leur approche terne des crises humanitaires et des droits de l’homme en cours », a fustigé Segun.
ARD/te/APA