Le Sénégal, vainqueur de la Coupe d’Afrique des nations (Can) de football en 2022, a été éliminé lundi dernier en huitièmes de finale de l’édition suivante par la Côte d’Ivoire, hôte du tournoi biennal. Surnommé « El tactico » après le sacre inédit au Cameroun, le sélectionneur Aliou Cissé est une fois encore décrié pour sa gestion du match. De l’avis du consultant Mounir Issa Sonko, le technicien aux dreadlocks, n’ayant « plus rien à prouver » dans son pays, doit pouvoir tirer les conséquences de cette élimination précoce.
Le Sénégal s’est incliné (1-1, TAB 4-5) face à la Côte d’Ivoire en huitièmes de finale de la Coupe d’Afrique des nations (Can) de football. Comment analysez-vous la prestation d’ensemble des Lions ?
C’est une prestation mitigée dans la mesure où les Lions que l’on a vus face aux Éléphants étaient différents de ceux qui ont survolé la poule de la mort en battant la Gambie (3-0), le Cameroun (3-1) et la Guinée (2-0). Au premier tour, le Sénégal a fait un carton plein avec neuf points en trois matchs au cours desquels il a inscrit huit buts pour en encaisser un seul.
En huitièmes de finale, contre le pays organisateur, la pression était de mise. En fait, une nouvelle compétition démarrait. Si vous ne pouvez pas gérer les émotions, si vous ne faites pas fi de la pression, ça devient compliqué.
Le Sénégal a pris le match par le bon bout en marquant dès la quatrième minute par l’intermédiaire d’Habib Diallo sur un centre de Sadio Mané. À cet instant précis, on pensait que les Lions allaient dérouler et profiter des espaces laissés par l’équipe adverse.
Cela ne s’est pas passé comme prévu. Le Sénégal a trop défendu. Il a joué contre nature. Les Lions ont couru derrière le ballon à cause d’un milieu de terrain léger avec seulement Pape Matar Sarr et Lamine Camara là où la Côte d’Ivoire avait Ibrahim Sangaré, Séko Fofana et Jean-Michaël Séri. Des joueurs physiques et expérimentés.
Le match était difficile pour le Sénégal du fait de son infériorité numérique au milieu. Aliou Cissé, durant toute la partie, n’a jamais résolu ce problème. Beaucoup de personnes pensent qu’il a opté pour le système du 3-4-3. C’était plutôt un 5-2-3 parce que Krépin Diatta et Ismail Jakobs, censés être des pistons sur ce match, étaient davantage des latéraux cantonnés aux tâches défensives.
Ainsi, la Côte d’Ivoire a fini par revenir dans le match avant de l’emporter dans la séance des tirs au but. Certains parlent de loterie. Il s’agit plutôt d’un exercice technique dans lequel il faut avoir les nerfs solides. Les Éléphants, comparés à ceux de la phase de groupes, ont montré un tout autre visage avec Émerse Faé comme coach intérimaire.
La Côte d’Ivoire s’est qualifiée in extremis au second tour. Avez-vous été surpris par la métamorphose des Éléphants face aux Lions ?
La Côte d’Ivoire s’en est sortie miraculeusement au premier tour. Elle peut dire merci au Maroc. Car la victoire un à zéro des Lions de l’Atlas face aux Chipolopolos de la Zambie a permis aux Éléphants d’être parmi les meilleurs troisièmes de groupes.
Les Ivoiriens étaient morts. Ils ont été ressuscités. Face au Sénégal, ils se sont certainement dit qu’ils n’avaient rien à perdre. Serge Aurier et ses partenaires voulaient se racheter devant leur public. Et le Sénégal, champion d’Afrique en titre, était la proie parfaite pour montrer qu’ils valaient mieux que ce qu’ils ont montré lors de l’humiliation contre la Guinée équatoriale (0-4).
Pour être honnête, je ne m’attendais pas du tout à voir un visage aussi séduisant des Éléphants, un rendu aussi propre de la part des Ivoiriens. Osons le dire, en peu de temps, Émerse Faé a su remobiliser ses troupes. Il a fait des choix forts en sortant Franck Kessié du onze, en laissant Nicolas Pépé sur le banc, en titularisant Odilon Kossounou et Serge Aurier en défense. En fait, il a complètement redistribué les cartes à sa prise du pouvoir.
Max-Alain Gradel et Jean-Michaël Séri ont également démarré la rencontre en tant que titulaires alors que Jean-Louis Gasset ne leur faisait pas confiance. La Côte d’Ivoire était revancharde même si elle a timidement entamé le match. Au fur et à mesure que les minutes s’égrenaient, les Éléphants sont montés en puissance. C’est une équipe qui m’a agréablement surpris sur les plans tactique et physique.
C’est dommage pour le Sénégal d’avoir croisé un tel adversaire. On craignait cette confrontation à juste raison parce que les Ivoiriens avaient promis de saisir cette seconde chance en jouant le coup à fond. Les Lions sont tombés sur un os. Tout le crédit est à mettre à l’actif d’Émerse Faé qui n’a pas été épargné par les critiques en sa qualité d’adjoint du sélectionneur Jean-Louis Gasset, démis de ses fonctions après la déroute contre le Nzalang nacional de la Guinée équatoriale.
Hervé Renard, actuellement entraîneur de l’équipe nationale féminine de la France, a même été contacté par la Fédération Ivoirienne de Football (FIF) pour être sur le banc des Éléphants. Faé a tenu bon, a été droit dans ses bottes et a mis en place un plan de jeu efficace. Tout au long du match, il a posé des équations tactiques qui n’ont pu être résolues par Aliou Cissé. Cette Côte d’Ivoire peut maintenant prétendre au sacre final au soir du 11 février prochain.
Peut-on imputer le revers du Sénégal au sélectionneur Aliou Cissé si l’on sait que la bataille du milieu, généralement déterminante sur l’issue d’un match, a été perdue dès les premières minutes de la partie ?
La citation « Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé » s’applique au Sénégal. L’absence de Pape Guèye, en raison d’une blessure, s’est fait ressentir lors de ce duel. Les Ivoiriens avaient des boulevards.
Pape Guèye et Abdou Diallo, qui l’a suppléé sur ce match, n’ont pas les mêmes caractéristiques. Le premier nommé sait être un trait d’union entre le milieu et l’attaque en remontant les ballons et en ne collant pas trop à la défense. Sa qualité de frappe nous a manqué. Sa capacité à jouer long et court pour les sorties de balle aussi. Il aurait pu exercer un marquage individuel sur Séko Fofana pour libérer Lamine Camara. Ce dernier aurait été plus haut sur le terrain pour presser Jean-Michaël Séri qui, en position de sentinelle, était trop à l’aise.
Lamine Camara et Pape Matar Sarr étaient plus soucieux de défendre dans le dernier tiers. Le jeu s’étant installé dans notre moitié de terrain. Nos milieux étaient trop sollicités surtout avec les montées des deux latéraux que sont Serge Aurier et Ghislain Konan. Lamine Camara et Pape Matar Sarr ont beaucoup couru et souvent dans le vide.
De plus, l’utilisation de la balle par les Sénégalais était passable voire médiocre. Les Lions ont perdu énormément de ballons sur des passes a priori faciles. Ils voulaient trop jouer rapidement alors qu’il était important pour nous de garder la balle, de la faire circuler et de faire courir les Ivoiriens puisqu’on menait au score.
Cela dit, ce sont des jeunes joueurs. On ne leur en veut pas. Ils étaient esseulés simplement. Aliou Cissé a perdu la bataille tactique surtout dans l’entrejeu. Dans le football moderne, qui la gagne, contrôle le match. Au moment où Emerse Faé a injecté du sang neuf après l’heure de jeu avec l’entrée notamment de Franck Kessié, Aliou Cissé a opéré son premier changement au milieu après l’égalisation ivoirienne. C’est dire. Notre staff technique était en perdition. J’ai comme l’impression qu’il était dépassé par les évènements.
Aliou Cissé est en poste depuis 2015. Même s’il a mené le Sénégal sur le toit de l’Afrique, sa légitimité à diriger les Lions a encore été remise en cause après l’élimination précoce. L’heure de tourner la page est-elle venue ?
Il ne faut pas vite aller en besogne. Le principal intéressé en a parlé en conférence de presse d’après-match. Aliou Cissé a déclaré que sa situation personnelle n’est pas le plus important en ce moment. Il a dit vouloir prendre du recul par rapport à tout ce qui s’est passé avant de discuter avec la Fédération Sénégalaise de Football (FSF).
Force est de constater que neuf ans à la tête d’une sélection, c’est long. La question que je me pose est : qu’est-ce que Aliou Cissé peut apporter de plus à cette équipe ? Il a fait deux Coupes du monde et quatre Coupes d’Afrique des nations en atteignant deux fois de suite la finale en 2019 et 2022. Il a remporté l’unique Can de l’Histoire du Sénégal.
On peut penser qu’il a fait ce qu’il pouvait. On n’a rien à lui reprocher. Avec lui, les éliminatoires à la Can et même au Mondial sont devenues plus ou moins faciles pour le Sénégal. On passe sans trop de difficultés. Dans le passé, ce n’était pas le cas.
Quoi qu’on puisse dire, dans cette Can, il a pu insuffler une nouvelle dynamique en responsabilisant des jeunes comme Ismail Jakobs, Krépin Diatta, Pape Matar Sarr, Pape Guèye et Lamine Camara. Il est en train de réussir la transition générationnelle. J’estime que c’est le moment de quitter la sélection sénégalaise pour aller monnayer ses compétences ailleurs.
Ce sera très difficile pour lui de faire mieux en termes de résultats. Si au Maroc, en 2025, il gagne la Can, les gens diront qu’il l’a déjà fait. Mais si le Sénégal est éliminé au premier tour, en huitièmes ou en quarts, il va essuyer des critiques. S’il qualifie les Lions au Mondial 2026, on dira que ce n’est pas nouveau. Il n’a plus rien à prouver. Il est temps pour lui de partir.
Comment voyez-vous l’avenir de l’équipe nationale du Sénégal ?
C’est un avenir radieux. On peut s’en féliciter. Aliou Cissé a lancé des jeunes. Dans les sélections des moins de 23 ans, 20 ans et 17 ans, il y a de bonnes graines comme Pape Daouda Diong, Serigne Fallou Diouf, Amara Diouf, Idrissa Guèye, Pape Demba Diop, Yaya Diémé… Le talent ne manque pas. Mais il ne suffit pas pour faire un bon joueur. Il faut bien encadrer ces espoirs.
Dans l’actuelle sélection A, on note la présence de jeunes, de vieux et moins vieux. Édouard Mendy, Youssouf Sabaly, Sadio Mané, Boulaye Dia, Moussa Niakhaté… peuvent encore nous valoir des satisfactions pendant quatre à cinq ans. Le temps de permettre aux jeunes de s’installer pour prendre la relève. Nous avons Iliman Ndiaye, Pape Guèye, Pape Matar Sarr, Krépin Diatta, Lamine Camara, Ismail Jakobs, Abdoulaye Niakhaté Ndiaye, etc. Dion Lopy, le milieu de terrain évoluant à Almeria (Liga espagnole), Abdallah Sima, ayant quitté la sélection à cette Can à cause d’une blessure, sont aussi intéressants.
On ne se plaint pas du tout. Aliou Cissé ou un nouveau sélectionneur aura quand même une base sur laquelle il peut travailler. Que ça soit sur le court, moyen ou long terme, je suis persuadé que le Sénégal a de quoi faire partie des meilleures équipes africaines. Si on ne perd pas le fil, si on capitalise sur l’expérience engrangée, le Sénégal aura toujours son mot à dire en Afrique et dans le monde. On peut réaliser de grandes choses.
ID/te/APA