Aussitôt après l’annonce de sa réélection pour un troisième mandat, Ali Bongo, 64 ans, a été déposé par le chef de la Garde républicaine.
Le mercredi 30 août 2023, des Gabonais se sont sans doute réveillés avec le sourire. Et pour cause, la dynastie qui dirigeait le pays d’une main de fer depuis 55 ans a chuté. « Le coup de force a été accueilli par une liesse partout au Gabon, mais particulièrement à Libreville, la capitale. Les gens chantaient à la gloire des militaires qui ont libéré le pays des mains des Bongo et du Parti Démocratique Gabonais (PDG, au pouvoir) », a fait savoir à APA un journaliste local.
Ali Bongo, donné vainqueur de l’élection présidentielle du 26 août dernier avec 64,27 % des voix contre 30,77 % pour Albert Ondo Ossa, son principal challenger, n’a pas vraiment eu le temps de profiter de cette victoire contestée par l’opposition ayant auparavant dénoncé des fraudes massives. Le général Brice Clotaire Oligui Nguema, le patron de la Garde républicaine, unité d’élite chargée de la sécurité de la Présidence gabonaise, en avait décidé autrement.
En son nom, un groupe de militaires et de policiers a justifié, dans une allocution télévisée, le putsch par le caractère « tronqué » du vote dont les résultats ont été « annulés » parce que « les conditions d’un scrutin transparent, crédible et inclusif tant espéré par les Gabonaises et les Gabonais » n’ont pas été remplies.
Un mandat de trop
L’occasion pour un commando dirigé par le lieutenant Ondo Obiang Kelly, âgé de seulement 26 ans, de tenter, le 7 janvier 2019, de renverser le président fantôme. Mais les mutins, n’ayant pas su rallier à leur cause la majorité de l’armée, sont tués ou arrêtés par un groupe d’intervention de la gendarmerie dans les heures suivant leur déclaration de prise du pouvoir à la télévision nationale
À son retour au pays, Ali Bongo reprend la main. Son fils, Noureddine Bongo Valentin est nommé coordinateur général des Affaires présidentielles en décembre 2019. L’opposition dénonce une « monarchisation du pouvoir ». Deux années plus tard, le président gabonais le démet de ses fonctions. Mais il ne perd pas pour autant son influence. Frank Ping, fils de l’opposant Jean Ping le voit comme le futur candidat du PDG à la présidentielle de 2023. Finalement, c’est le père qui va briguer un troisième mandat dans ce pays de l’Afrique centrale aux 2,3 millions d’habitants sur une superficie de 257.670 km2. En passant par une révision de la Constitution, incluant notamment la réduction du mandat présidentiel de sept à cinq ans et la restauration du scrutin à un tour unique.
Biberonné par Omar Bongo
Bongo fils sort même en 1977, année d’obtention du baccalauréat, un album funk dénommé A Brand New Man produit par Charles Bobbit, le manager de la légende James Brown. Passé l’âge de l’insouciance, il doit se préparer, en tant que fils aîné, à la succession de son père.
Ce dernier lui confie le ministère régalien de la Défense pendant 10 ans. Bien avant cela, Ali occupe le poste de ministre des Affaires étrangères, de la Coopération et de la Francophonie jusqu’en 1989. Un changement constitutionnel, exigeant des ministres qu’ils aient plus de 35 ans, l’oblige alors à quitter le gouvernement.
La succession du père
En 2009, le 8 juin plus précisément, Omar Bongo décède dans une clinique privée de Barcelone, en Espagne. Prénommé Albert-Bernard avant sa conversion à l’Islam dans les années 70, le défunt présidait aux destinées du Gabon depuis 2 décembre 1967. Omar, vice-président de Léon Mba, a pris la succession du père de l’indépendance à sa mort, conformément aux dispositions de la charte fondamentale en vigueur à l’époque.
Après ces 42 ans de règne, Rose Francine Rogombé, présidente du Sénat, assure l’intérim du chef de l’État. Juste le temps pour elle d’organiser, le 30 août 2009, une élection présidentielle anticipée sans y prendre part. Malgré un faible taux de participation (45 %), Ali Bongo en sort victorieux avec 41,73 % des suffrages exprimés devant entre autres André Mba Obame (25,9 %) et Pierre Mamboundou (25,2 %).
L’opposition crie au hold-up. Plusieurs candidats réclament le recomptage des voix. Des pillages et violences causant des morts sont notamment notés à Port-Gentil, la deuxième ville du pays. La Cour constitutionnelle se plie à leur exigence. Mais la tendance ne change pas. Ali Bongo est toujours en tête d’après les résultats définitifs qu’elle publie le 12 octobre 2009.
Rebelote en 2016
Né Alain-Bernard, Ali Bongo remporte, officiellement, d’une courte tête le scrutin à un tour du 27 août. Il est crédité de 49,80 % des voix contre 48,23 % pour Jean Ping. Une fois encore, le recomptage des votes est demandé surtout dans la province du Haut-Ogooué où le taux de participation est proche des 100 %.
Les partisans de Jean Ping investissent les rues et s’attaquent notamment à l’Assemblée nationale. Son quartier général est bombardé par le ciel et attaqué au sol par la Garde républicaine. Un assaut expliqué, d’après le porte-parole du gouvernement, par la nécessité d’arrêter les « criminels » qui ont incendié l’hémicycle.
Dans l’histoire politique du Gabon, huitième colonie française d’Afrique à accéder à l’indépendance le 17 août 1960, ces violences post-électorales sont inédites. L’opposition avance une trentaine de morts. Qu’importe, le gouvernement se félicite de la « bonne tenue » de l’élection et Ali Bongo prête serment en septembre pour un second septennat.
Une gouvernance décriée
Le Gabon est riche en pétrole. Le pays est le quatrième producteur d’or noir en Afrique subsaharienne. Et le deuxième producteur mondial de manganèse. Mais le taux de pauvreté a sensiblement augmenté ces cinq dernières années. Il est passé de 33,4 % en 2017 à 33,9 % en 2022. Un tiers des Gabonais vit avec moins de 5,50 dollars (3386 francs CFA) par jour. Le taux de chômage culmine à 28 % de la population active.
La classe dirigeante n’a pas mené des politiques efficaces de diversification de l’économie dépendante du pétrole pour créer assez d’emplois dans un pays qui ne manque pas de potentialités. Au Gabon, le secteur pétrolier a représenté 80 % des exportations, 45 % du Produit Intérieur Brut (PIB) et 60 % des recettes fiscales au cours des cinq dernières années, d’après les données de la Banque Mondiale.
Mais chaque année, selon la Commission économique pour l’Afrique des Nations Unies, le pays perd entre 400 et 500 milliards de francs CFA à cause de la corruption. Ce fléau, ajoute cette structure, « nuit aux efforts de croissance du pays en ralentissant l’émergence d’une classe moyenne à travers la redistribution des profits générés par l’État ». Preuve de la mal gouvernance, érigée en mode de gestion des affaires publiques, le Gabon pointait en 2021 à la 124e place sur 180 du classement de Transparency International sur l’Indice de perception de la corruption.
ID/ac/APA