Me Jacques Migan, ancien bâtonnier et cadre du parti Bloc Républicain de la coalition au pouvoir, crée le débat après avoir invité le président béninois à continuer sa mission à la tête du pays alors même que la constitution fixe une limite de deux mandats.
Au Bénin, depuis plusieurs jours, l’actualité politique est fortement marquée par une vive polémique provoquée par un avocat. L’ancien président du l’ordre des avocats, Jacques Migan a soutenu que des populations voudraient que l’actuel chef de L’Etat se présente une troisième fois à la présidentielle de 2026. Cette déclaration faite sur une télévision en ligne le 12 mars 2023 suscite une levée de boucliers chez ceux qui sont opposés à une telle tentative.
Joint par APA à Cotonou, Me Migan a tenté de repréciser sa pensée. « Je n’ai jamais appelé Patrice Talon à faire un troisième mandat mais lorsque nous visitons les villages, lorsque nous visitons les quartiers, on entend une partie du peuple dire, nous voulons que Talon continue sa mission. C’est ce que j’ai dit. Ces gens voient se réaliser sur le territoire béninois des actes positifs en ce qui concerne les infrastructures ainsi que les actions sociales et ils veulent que cela se poursuive, » défend Jacques Migan.
Il assure qu’il ne fait que transmettre fidèlement le message de certaines populations. L’avocat qui se dit légaliste jure qu’il ne peut appeler le Président Talon à tenter un troisième mandat alors que la constitution béninoise ne le permet pas.
La loi fondamentale béninoise modifiée en novembre 2019 dispose clairement en son article 42 que « le Président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans, renouvelable une seule fois. En aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels ».
L’avocat à l’origine de la polémique soutient aussi que la constitution peut bel et bien être révisée pour revoir cette disposition et modifier au besoin, l’âge limite fixé à 70 ans. Il reconnaît toutefois que la configuration actuelle de l’Assemblée nationale ne permet pas de le faire. Les 28 députés du parti Les Démocrates forment une minorité de blocage et peuvent empêcher toute réforme constitutionnelle. La loi fondamentale béninoise prévoit qu’il faut au moins les trois-quarts (3/4) des 109 députés pour recevoir à l’Assemblée nationale et soumettre à référendum tout projet de modification de la constitution. Pour que le parlement procède directement à la réforme constitutionnelle, il est imperarif de recueillir au moins les voix des quatre-cinquième (4/5) des députés.
Cette sortie de Me Migan a été vivement dénoncée dans une bonne partie de l’opinion publique béninoise. L’ex président de la Cour Constitutionnelle, le Pr Théodore Holo ne partage pas l’ »activisme » de Jacques Migan, cadre du parti Bloc Républicain sur cette question.
Le constitutionnaliste s’est vivement opposé aux déclarations de l’ancien bâtonnier invitant même la justice béninoise à se saisir de la question. Dans un message largement repris par la presse béninoise, le Pr Holo a rappelé qu’en juin 2018 au Niger voisin, deux acteurs de la société civile ont été condamnés à des peines de prison pour avoir appelé l’ancien président Mahamadou Issoufou à faire un troisième mandat. Pour Théodore Holo, la sortie de Jacques Migan peut être considérée comme une incitation au coup d’Etat contre la loi fondamentale. « Il est indécent de penser qu’un président doit demeurer au pouvoir pour continuer l’œuvre commencée, » s’indigne l’ancien président de la Cour constitutionnelle.
Comme le Pr Holo, de nombreux béninois ont réagi pour fustiger les déclarations de l’ancien bâtonnier. Karim Goundi, un cadre du parti d’opposition Les Démocrates appelle l’avocat à apporter des précisions sur les populations qui lui disent qu’elles veulent que Patrice Talon reste au pouvoir. « Où a-t-il fait le sondage ? Il parle d’une certaine population, il doit préciser dans quelle circonscription électorale, dans quelle commune, dans quel arrondissement, il y a eu ces déclarations, » exige M. Goundi. Il estime que Me Jacques Migan ne devait pas évoquer un tel sujet sur la place publique au risque de tenter le Président béninois. Pour Karim Goundi, c’est de la « plaisanterie de mauvais goût » qui peut conduire à des troubles et même coûter des vies humaines.
L’opposant membre du parti Les Démocrates rappelle qu’au Bénin, les anciens présidents vivent tranquillement dans le pays après leur règne. « Lorsqu’il y a des évènements on voit des anciens présidents, donc nous attirons l’attention sur ce genre d’initiatives qui ne sont pas bien pour la paix et quiétude sociale, » souligne Karim Koundi.
Depuis le début de la polémique, il n’y a encore aucune réaction officielle. Le Président Patrice Talon n’a cessé de répéter, à chaque fois qu’il en a l’occasion, qu’il n’est pas candidat à un troisième mandat.
RK/ac/APA