Maître incontestable de la discipline en Afrique, le pays de la Téranga (hospitalité, en langue wolof) toise le monde en s’appuyant sur un solide savoir-faire.
18 heures passées. Plage de Tonghor, à l’extrémité Sud de Yoff. Un village de Lébous, communauté de pêcheurs, qui aurait été créé en 1432. Près de l’île inhabitée par les Hommes, des pirogues imposantes sont amarrées. À l’heure où le soleil entame sa descente vers le coucher, des marins déchargent leurs prises du jour. Avec des seaux et bassines, plusieurs femmes entrent dans l’eau, qui dépasse leurs genoux, pour s’approvisionner.
Le quai de pêche est bondé, les étals bien fournis. Thons, sardines, dorades, mérous, poulpes, crevettes… se marchandent dans un désordre charmant. Une dizaine de charretiers, pour la plupart la main sur les rênes de leurs chevaux, attendent des mareyeurs à transporter avec leurs marchandises.
Quelques mômes, sans doute nés dans cet environnement, se baignent allégrement. Les vendeurs de sachets plastiques et les écaillers, eux, ne sont pas là pour se détendre. Ils font des va-et-vient pour trouver des clients. Attirés par les abats de poissons, des oiseaux charognards volent bas. De temps à autre, malgré les vrombissements d’une usine de glace tournant à plein régime, ça atterrit pour saisir par le bec de la chair à ingurgiter.
Partant de là, et sur des kilomètres, des ballons de football roulent. Les parties rythmées se déclinent en petit ou grand camp jusqu’au crépuscule. « Ici, c’est Mbenguène. Nous sommes là tous les jours à partir de 17 heures. Jouer au foot sur la plage nous procure beaucoup de plaisir. Nous avons appris ce jeu sur le sable fin. La majeure partie d’entre nous travaillent. Mais personne ne veut, pour rien au monde, rater ces moments. Nous renonçons souvent à des matchs classiques et nous jouons même durant les marées hautes. On cotise pour acheter des balles, des chasubles… », raconte Djibril Niang, debout sur une ligne de touche imaginaire.
Non loin, Papa Samba Ndoye dit Elvis, 70 ans, assis sur une chaise en plastique, hume l’air marin dont les vertus sur le corps humain sont scientifiquement prouvées. « Le foot sur la plage, c’est dans notre ADN. Quand j’étais petit, après le déjeuner, nous jouions jusqu’à la tombée de la nuit », se souvient cet ex-gardien de but à l’Association Sportive et Culturelle de Ndénatte, et entraîneur de la Renaissance Sportive de Yoff, le club local.
Yoff, le berceau du beach soccer sénégalais
Dans le monde, selon la Fédération internationale de football association (Fifa), les premières compétitions officielles de beach soccer ont eu lieu en 1957. Cependant, il aura fallu attendre près de 50 ans pour assister à la première Coupe du monde officieuse de la discipline. C’était en 1995. Au Sénégal, la paternité de ce sport est unanimement attribuée à Ibrahima Ndiaye alias Chita.
« J’étais affecté à Kolda (Sud) comme policier. Un jour, j’ai lu dans le magazine France Football un papier sur des tournois de beach soccer organisés par l’ancien international français Éric Cantona. Dans son staff, il y avait un Sénégalais, Mamadou Faye, qui fut joueur professionnel à Bastia. J’ai eu l’idée de faire de même puisque nous avons aussi plus de 700 kilomètres de côtes », explique l’actuel manager général de l’équipe nationale de beach soccer du Sénégal.
À son retour à Dakar, Chita en discute avec des amis autour du thé. « Tout le monde a apprécié. Comme la plage de Ouakam où j’habite n’est pas très large, j’ai préféré qu’on aille à Yoff pour la tenue du tout premier tournoi. Mais je suis tombé malade le jour de la compétition et ma femme m’a prié de ne pas y aller. Ainsi est né le beach soccer au Sénégal. C’était en 2002 sur la plage de Yoff Ndénatte », rembobine l’ancien capitaine de l’équipe nationale de football (45 sélections entre 1976 et 1980).
« Je pouvais rester dans l’écosystème du foot à onze, mais j’ai préféré amener autre chose », indique Ibrahima Ndiaye qui, parce que tout début étant difficile, s’est armé de patience dans sa volonté de faire reconnaître le beach soccer. « Durant les tournois, je remplissais des feuilles de matchs. Un jour, la Fédération Sénégalaise de Football (FSF) m’a informé de la participation de notre pays à la Coupe d’Afrique des nations (Can) de beach soccer en 2006. Finalement, alors que je préparais la liste des joueurs sélectionnés, la Confédération africaine de football (Caf) nous a dit qu’on ne pourra pas prendre part au tournoi. Malgré la déception, j’ai continué à organiser des joutes sur les plages », précise l’ex-capitaine de l’Association Sportive de la Police.
Un an plus tard, le rêve devient enfin réalité. « Feu Mbaye Ndoye, alors président de la FSF, en voyage, passe un coup de fil pour annoncer notre participation à la Can. Nous avons fait un bon tournoi en atteignant la finale. Nous nous sommes inclinés devant le Nigeria. Les deux équipes ont ensuite représenté l’Afrique au Mondial en 2007 au Brésil. Nous nous sommes arrêtés en quarts de finale après notre défaite face à la France », développe Chita.
Une domination sans partage en Afrique
Apprenant vite, le Sénégal compte à ce jour sept titres de champion d’Afrique en beach soccer. Les Lions sont montés sur la plus haute marche du podium en 2008, 2011, 2013, 2016, 2018, 2021 et 2022. Quel est le secret de cette insolente réussite ? « Si nous dominons tant le beach soccer en Afrique, c’est parce qu’on travaille bien. Mais ce n’était pas évident au début. C’est moi qui ai acquis les buts avec lesquels on s’entrainait. On les utilisait également lors de nos tournois. J’ai dû contracter un prêt pour les acheter. Les choses ont considérablement bougé à partir de 2015 », affirme Ibrahima Ndiaye.
En effet, cette année-là, Me Augustin Senghor, l’actuel patron du foot sénégalais, s’est engagé pour le lancement d’un championnat de beach soccer. « La cérémonie d’ouverture s’est déroulée à la plage de Yoff Ngaparou. Le championnat a un impact sur la progression de l’équipe nationale. Si un joueur n’y participe pas, il ne peut pas être en sélection. Les dirigeants ont pris leurs responsabilités en dégageant des moyens pour le développement de la discipline. Ce qui justifie nos performances. Et nous n’avons pas dormi sur nos lauriers », fait savoir M. Ndiaye, responsable du beach soccer au sein de la Direction Technique Nationale.
Entre la première génération de joueurs et celle qui défend maintenant les couleurs du Sénégal, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. « Les joueurs ont élevé le niveau. Ils sont maintenant respectés. Nous avons été reçus par le président Abdoulaye Wade en 2011 et plusieurs fois par son successeur Macky Sall. Nous avons été élevés au rang de chevalier dans l’Ordre national du Lion. Les primes payées ont permis aux joueurs de mener une vie décente. Ceux qui pensaient que le beach soccer était uniquement un jeu se sont rendus compte que les pratiquants peuvent bien gagner leur vie même si ce n’est pas encore comparable aux gains du foot à onze dans les pays développés », avance Chita.
Mamadou Sylla, athlétique défenseur, est de ceux qui ont très tôt cru aux potentialités du beach soccer. « J’ai arrêté les études pour me consacrer au football. Je m’entrainais matin et soir. J’ai consenti à d’énormes sacrifices. Les résultats ont naturellement suivi », confie le joueur de l’Union Sportive de Ouakam (USO) passé entre autres par le Jaraaf de Dakar.
Le natif de Yoff doit notamment sa présence en équipe nationale de beach soccer à un coup de chance : « J’ai été initié à ce sport par mon grand-frère Ngalla Sylla. Je l’accompagnais aux séances d’entraînement de la sélection. J’y ramassais les ballons. De retour des compétitions, il m’offrait des maillots. C’est comme ça que j’ai commencé à m’intéresser au beach soccer. Un jour, un joueur s’est absenté. Chita m’a alors demandé de compléter le groupe. »
Quelque temps après, les Lions devaient effectuer un voyage. « Ayant déjà un passeport à l’époque, j’ai remplacé, au pied levé, un joueur qui n’en disposait pas. C’était en 2013. Et nous avons gagné la Can au Maroc. J’ai quasiment disputé l’intégralité des matchs. Plus jeune joueur de l’effectif, j’ai beaucoup appris auprès des aînés comme Mamadou Diallo (actuel sélectionneur) ou encore Victor Diagne. Le beach soccer est un sport qui nécessite de l’endurance. C’est plus dur de jouer sur le sable qui est lourd. La surface de jeu n’est pas plate. Il y a énormément de rebonds du ballon. De ce fait, il faut aussi être technique et avoir une force de frappe », argumente Mamadou Sylla.
La Coupe du monde en ligne de mire
« En Afrique, nous n’avons plus rien à prouver. Nous faisons partie des cinq meilleures équipes de la planète. Il faut sanctionner cela par un sacre mondial », déclare Ibrahima Ndiaye, le manager général de l’équipe nationale du Sénégal de beach soccer. Rois sur le continent noir, les Lions ne sont pas aussi conquérants au Mondial. En huit participations, leur meilleure performance est une demi-finale contre le Japon (1-5) en 2021.
« Nous avons perdu, au sortir du quart de finale face au Brésil (5-4), deux éléments majeurs à cause de cartons. Il s’agit du joueur de champ Mamour Diagne et du gardien Alsény Ndiaye. Les buts encaissés contre le Japon étaient évitables. Ces absences nous ont beaucoup pénalisés. Avec tout le respect que j’ai pour cette nation asiatique, elle ne devait pas nous battre. Je suis convaincu qu’on allait gagner ce match si l’équipe était au complet », regrette Chita.
Cet échec est certes resté en travers de la gorge, mais il forge l’expérience. « Il y a, ajoute-t-il, des choses à rectifier. Nous devons arriver au sommet de cette discipline. Nous y travaillons. À la prochaine Coupe du monde, vous verrez une autre équipe du Sénégal. À deux joueurs près, l’équipe sera la même. Pour gagner, nous avons besoin de nous appuyer sur des joueurs expérimentés. On ne peut pas tout chambouler. »
Du 27 au 30 juin dernier, les Lions ont disputé les Jeux africains de la plage à Tunis, en Tunisie. Après des succès nets face au Kenya (12-1), à la Tanzanie (7-1) et à la Libye (11-5), ils ont été accrochés en finale par le Maroc (3-3), avant de courber l’échine aux tirs au but (3-4). Une invincibilité de 8 ans en Afrique a ainsi pris fin.
Les deux finalistes devaient aller, en août 2023, aux Jeux mondiaux de la plage. Finalement, l’Indonésie, le pays hôte, s’est désistée. Un tournoi, prévu à Saint-Pétersbourg (Russie), du 19 au 24 juillet prochain, servira alors de préparation de la Coupe du monde que vont abriter les Émirats arabes unis du 15 au 25 février 2024.
« Nous allons bien nous préparer. Le président de la FSF aime particulièrement notre discipline. Il ne lésine pas sur les moyens pour que nous soyons dans de très bonnes conditions. Nous sommes en regroupement depuis plus de trois mois. Au Centre de développement technique Jules François Bocandé de Toubab Dialaw, à la périphérie de Dakar, il y a toutes les installations dont nous avons besoin : un terrain de beach soccer qui porte mon nom, deux terrains de foot à onze, une salle de musculation… », se félicite le manager général de l’équipe nationale qui « espère que cette année-ci sera la bonne. »
« Notre groupe est capable de jouer la finale de la Coupe du monde. C’est ma conviction. Je crois qu’on n’est pas loin. On a pu déceler certaines erreurs que nous sommes parvenus à gommer avec l’appui de la FSF. Auparavant, la préparation laissait à désirer. Nous n’avions pas de matchs amicaux avant la phase finale. À partir de 2015, le président de la FSF a fait l’option de nous faire voyager une semaine avant les compétitions pour qu’on puisse s’acclimater, jouer des matchs amicaux et mettre le plus tôt possible l’équipe au vert. C’est le prix pour atteindre les cimes au plan mondial », assure Ibrahima Ndiaye.
Ce dernier, du 29 mars au 20 avril 2023, a séjourné à Nouakchott sur invitation de la Fédération de Football de la République islamique de Mauritanie (FRRIM) afin de l’aider à mettre en place une équipe nationale de beach soccer. « Le président de la Commission de beach soccer et son manager sont auparavant venus me rencontrer à Dakar », détaille Chita, content de voir la sélection ainsi constituée se comporter honorablement au Tournoi arabe de beach soccer et battre par la suite, en match amical, le Maroc. Le Royaume chérifien a aussi jeté son dévolu sur un Sénégalais pour le poste de sélectionneur. Ngalla Sylla, précédemment coach du Sénégal, a récemment joué un mauvais tour à son pays. Le début, peut-être, de la contestation de l’hégémonie des Lions.
ID/ac/APA