Dans le monde ultra-masculin de formateurs des élèves gardes du corps au Sénégal, la jeune banlieusarde est l’une des rares femmes à marquer de son empreinte.
Sous un climat ensoleillé, ce mercredi 6 mars à Yeumbeul-Nord, dans la banlieue dakaroise, Dieynabou Diallo, 28 ans, dirige une équipe réduite de jeunes hommes et femmes qui débutent une nouvelle séance d’entraînement dans leur formation en protection rapprochée. Casquette et t-shirt noirs bien ajustés au corps, la jeune dame s’avance au pas de course sur une piste goudronnée, dans un ample pantalon de la même couleur sur lequel est verticalement inscrit « KRAV MAGA », du nom d’un art martial originaire d’Israël.
C’est à travers cette discipline qu’elle forme depuis quelques mois au métier de garde du corps, dans une maison inachevée non couverte par un toit faisant office d’établissement de formation, une dizaine de personnes dévouées mixtes. C’est un fait rare au Sénégal, un pays où les femmes qui s’activent dans le secteur se comptent sur le bout des doigts.
Taekwondoïste de formation, elle n’a pas suivi le parcours classique d’instructeurs en garde rapprochée qui ont l’habitude de passer préalablement un service militaire à Bango, un institut de formation de l’armée nationale nichée dans le nord du pays. Mais après son passage entre de mains expertes, elle dispose de toutes les compétences pédagogiques pour pouvoir partager ce qu’elle a appris à ses voisins banlieusards.
« En tant que fille de la commune de Yeumbeul, j’ai été approchée par beaucoup de personnes qui souhaitaient être formées dans le métier de garde du corps. C’est ce qui m’a motivé à vouloir partager mes connaissances, précisément dans la spécialité du Krav-maga », explique Dieynabou dans un accent qui indique son origine Peul, un peuple établi dans plusieurs pays du continent africain particulièrement dans sa partie occidentale.
Volonté et respect
Créé au début des années 1960 en Israël, dans le contexte de la guerre israélo-arabe, le Krav-maga, qui veut dire littéralement « combat avec contact » en hébreu, dans le sens de combat rapproché, est une méthode de combat qui met l’accent sur les techniques d’autodéfense et de contre-attaque. Développé à partir de l’expérience militaire israélienne, il est étendu par la suite à des usages civils alors que son enseignement commence à se populariser au Sénégal.
Même si elle paraît « violente », cette méthode de combat n’a pour seul objectif que de protéger la personne des menaces physiques, d’après Dieynabou Diallo. Les élèves qu’elle forme doivent maîtriser le Krav-maga pour pouvoir prétendre être de bons agents de protection rapprochée. « La formation dure quatre mois et demande beaucoup de sacrifices », précise-t-elle avant d’assurer qu’elle privilégie beaucoup plus « la volonté » que l’aspect financier dans son approche pédagogique.
Iconoclaste de nature, cette spécialiste a fini par briser dans sa localité l’idée communément reçue que les coachs en arts martiaux ou en protection rapprochée ne doivent être que des hommes. Dieynaba conseille d’ailleurs « à tous les hommes et femmes de faire la formation de garde rapprochée même s’ils ne veulent pas en faire leur métier », assurant qu’elle « comporte de nombreux avantages dans la vie » de l’initié.
Malgré son âge, elle entretient une relation empreinte de « respect » avec ses élèves. Dans une société souvent misogyne, les hommes de ce groupe ne regardent pas « sa condition de femme », a-t-elle relevé. Mais ce respect, elle a réussi à le gagner grâce à son caractère irréprochable étant donné qu’elle « arrive la première au centre et est la dernière personne à le quitter ».
Garde rapprochée, mais pas « nervis »…
Alors qu’elle habite dans un quartier qui a été souvent troublé par les dernières manifestations politiques, au cours desquelles des personnes ont reproché à des acteurs politiques d’avoir eu recours à des « nervis » pour violenter les populations, Dieynabou Diallo estime qu’elle n’est pas d’accord avec l’usage de ce qualificatif qui tend dès fois à dénigrer les agents de protection rapprochée.
« Le garde du corps se reconnaît par son comportement avant la force physique. Il doit avoir un caractère remarquable », souligne la jeune fille qui ambitionne d’avoir ses « propres locaux pour pouvoir travailler dans de meilleures conditions » en vue de produire plus d’agents de protection rapprochée.
ODL/te/APA