Le 2 août dernier, seulement vingt-quatre heures après avoir prêté serment pour un second mandat, le président mauritanien Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani a nommé Moctar Ould Diay au poste de Premier ministre.
Figure influente et confirmée de la scène politique mauritanienne depuis plus d’une décennie, Ould Diay, pour de nombreux observateurs, incarne la continuité et la réforme. Mais qui est réellement ce nouveau Premier ministre ?
Né en 1973 à Moudjeria, petite ville nichée au cœur du Tagant, Moctar Ould Diay n’était pas destiné à devenir l’une des figures les plus influentes de la Mauritanie. Son parcours débute dans l’ombre des grands centres urbains, mais sa passion pour les mathématiques et son sens du travail bien fait le mènent à un diplôme d’ingénieur en statistique de l’Institut National de Statistique et d’Économie Appliquée (INSEA) au Maroc en 1997. Dès lors, il met son expertise au service de la gestion des données économiques et de la politique de l’emploi, notamment à travers des projets soutenus par le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD).
Homme de dossiers
C’est au sein du ministère de l’Économie et des Finances, qu’il rejoint en 2015 sous la présidence de Mohamed Ould Abdel Aziz, que Moctar Ould Diay se forge une réputation d’homme de dossiers. Face à la chute des prix du minerai de fer, il négocie des accords importants, notamment avec BCM International pour l’exploitation de la mine de F’dérick, visant à stabiliser l’économie nationale. Conscient des dangers liés à la dépendance aux ressources minières, il plaide pour une diversification économique axée sur l’agriculture, l’élevage et la pêche, en anticipation aux chocs économiques futurs. Son mandat est surtout marqué par une volonté ferme de moderniser l’économie mauritanienne et de stabiliser les finances publiques. Dans un contexte marqué par des défis économiques, Ould Diay réussit à mettre en œuvre des réformes budgétaires rigoureuses, visant à réduire le déficit budgétaire et à consolider la position économique du pays. Il joue un rôle clé dans les négociations avec les institutions financières internationales telles que le FMI et la Banque mondiale, en obtenant des soutiens financiers importants pour la mise en œuvre de ces réformes. À la tête de la Société Nationale Industrielle et Minière de Mauritanie (SNIM) en 2019, l’entreprise, autrefois en proie à des difficultés structurelles, retrouve la rentabilité. Il met en avant l’innovation et accorde une attention particulière à la durabilité.
Un poids politique indéniable
Si Moctar Ould Diay est souvent perçu comme un technocrate, il n’en demeure pas moins un acteur politique de premier plan. En 2023, il coordonne la campagne législative du parti El Insaf, le parti au pouvoir à Nouakchott, traditionnel bastion de l’opposition, et remporte une victoire inattendue. Son efficacité sur le terrain et sa capacité à fédérer les forces en présence renforcent sa position au sein du régime. Ould Diay s’impose également comme une figure dominante dans la région du Brakna, notamment dans la stratégique moughataa de Magtaa Lahjar, malgré ses origines dans le Tagant.
Pourtant, sa nomination à la tête du gouvernement soulève des interrogations. Si son expertise technique est incontestable, certains voient en lui un symbole du passé, proche du régime d’Aziz, ce qui, selon eux, pourrait être un obstacle dans un contexte où la population aspire à « un véritable changement ». « Il est reconnu pour son dynamisme et son audace, bien que certains le jugent parfois trop zélé, voire arrogant », commente un observateur politique, optimiste. « Ces traits peuvent être perçus comme des défauts ou des qualités, selon les perspectives, mais ils peuvent souvent être indispensables pour accomplir les missions qu’on attend d’un Premier ministre dans notre contexte ».
Les défis qui l’attendent
Il faut le dire, la nomination de Moctar Ould Diay intervient à un moment critique où la population mauritanienne réclame un renouveau, et surtout espère une rupture avec les « pratiques du passé », peut-on lire dans plusieurs médias locaux. « L’arrivée de Diay pourrait également signaler une continuité stratégique, celui-ci ayant déjà piloté d’importantes négociations sur les dossiers énergétiques du pays », espère cet analyste mauritanien. « Plus d’une décennie dans les arcanes du pouvoir avec des rôles de premier plan, l’a sans doute forgé en un stratège habile et un technocrate aguerri. »
Cependant, les défis qui l’attendent sont nombreux. La Mauritanie, qui aspire à devenir un acteur majeur dans le domaine de l’énergie grâce à l’exploitation du projet gazier Grand Tortue Ahmeyim, doit concilier développement économique, préservation de l’environnement et apaisement des tensions sociales. Dans un pays où près d’un quart de la jeunesse est au chômage, les attentes sont élevées.
Alors que le président Ghazouani promet une « révolution » dans la manière de gouverner, la tâche qui attend Ould Diay est herculéenne. Il devra impulser un renouveau économique et social tout en luttant contre la gabegie et la corruption, fléaux qui minent le développement du pays.
CP/ APA