Le massacre de Thiaroye, longtemps ignoré ou minimisé, est reconnu comme symbole de l’injustice coloniale, 80 ans plus tard.
Le Premier ministre sénégalais, Ousmane Sonko, a vigoureusement interpellé dimanche 28 juillet le gouvernement français, l’invitant à « revoir ses méthodes » de reconnaissance historique. « Les temps ont changé », a-t-il déclaré dans un message posté sur sa page Facebook sous sa bannière de chef des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef), critiquant la récente décision de Paris de reconnaître, à titre posthume, six soldats africains abattus en 1944 au camp de Thiaroye comme étant « morts pour la France ».
Cette « étiquette » curieuse pour Sonko, une initiative bien que saluée par certains comme une avancée significative, suscite des interrogations alors que le Sénégal s’apprête à célébrer le 80e anniversaire de cet événement tragique, rappelle l’homme politique, leader du parti souverainiste et panafricaniste Pastef, au pouvoir depuis quatre mois. « Je tiens à rappeler à la France qu’elle ne pourra plus ni faire ni conter seule ce bout d’histoire tragique », a-t-il affirmé.
« Ce n’est pas à elle de fixer unilatéralement le nombre d’Africains trahis et assassinés après avoir contribué à la sauver, ni le type et la portée de la reconnaissance et des réparations qu’ils méritent. Thiaroye 44, comme tout le reste, sera remémoré autrement désormais », a ajouté Sonko un mois après avoir annoncé, en Conseil des ministres, la mise en place d’un comité ad hoc pour préparer la commémoration du 80ème anniversaire du massacre des tirailleurs sénégalais en 1944, au camp de Thiaroye, une localité située aujourd’hui dans la banlieue dakaroise.
Le Monde a indiqué samedi que l’Office national français des combattants et des victimes de guerre (ONaCVG) a attribué la mention « mort pour la France » par une décision datée du 18 juin 2024, soit deux jours avant la première rencontre entre le nouveau président sénégalais, Bassirou Diomaye Faye, et son homologue Emmanuel Macron à Paris. Selon le journal français, cette décision concerne quatre tirailleurs originaires du Sénégal, un de Côte d’Ivoire et un de Haute-Volta (actuel Burkina Faso).
Le secrétariat d’Etat français chargé des Anciens combattants et de la Mémoire a précisé que cette première décision pourrait être complétée dès lors que l’identité exacte d’autres victimes sera établie.
Le massacre de Thiaroye, survenu le 1er décembre 1944, a marqué une sombre page de l’histoire coloniale française. Des troupes, agissant sur ordre d’officiers français, avaient ouvert le feu sur des tirailleurs rapatriés à la fin de la Seconde Guerre mondiale alors qu’ils ne faisaient que réclamer leurs arriérés de solde. Selon le bilan officiel des autorités françaises de l’époque, au moins 35 tirailleurs avaient trouvé la mort, soit sur place, soit des suites de leurs blessures. Cependant, ce chiffre est sujet à controverse, certains historiens estimant qu’il pourrait être bien plus élevé.
Le lieu d’inhumation des soldats tués, qu’il s’agisse de tombes individuelles ou de fosses communes à Thiaroye ou ailleurs, demeure également une question débattue. Ce carnage, longtemps ignoré ou minimisé, est aujourd’hui reconnu comme un symbole de l’injustice coloniale et continue de susciter des appels à la justice et à la mémoire, tant au Sénégal qu’en France.
ODL/ac/APA