Au fil des décennies écoulées, l’OCI a jonglé avec habileté sur la question du terrorisme, une question qui divise la communauté internationale et suscite la controverse quant à sa définition, avec d’un côté les pays musulmans et de l’autre ceux ayant une perspective plus occidentale.
L’Organisation de la Coopération Islamique (OCI), qui compte 57 membres, a parcouru un long chemin depuis ses débuts simples jusqu’à devenir un acteur mondial majeur avec un PIB total de 27.949 milliards de dollars.
Alors que la plus petite nation d’Afrique continentale se prépare à accueillir ce week-end le 15ème sommet des chefs d’Etat et de Gouvernement de l’Organisation de la coopération islamique (OCI), l’attention du monde se portera une fois de plus sur le rôle de chef de file de l’organisme intergouvernemental dans les affaires mondiales contemporaines, notamment les conflits qui ravagent le Moyen-Orient, l’Afrique et d’autres régions du monde.
Les 4 et 5 mai, les yeux de la communauté internationale sont rivés sur la Gambie pour les bonnes raisons : le sommet y accueille des rois, des sultans, des présidents, des Premiers ministres et des gouverneurs qui se réunissent pour discuter des questions religieuses, géopolitiques, commerciales et de changement climatique qui touchent près de 2 milliards d’habitants du monde islamique.
Ce sommet représente la première grande avancée pour la Gambie depuis qu’elle a accueilli une réunion des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union africaine en 2006. Les pays à majorité musulmane entretiennent une relation longue et fructueuse avec l’OCI, depuis sa première conférence au Maroc, et représentent moins de la moitié de ses membres actuels. La venue de l’OCI à Banjul s’inscrit dans la continuité de cette tradition. Les hôtes africains les plus récents du sommet de l’OCI sont le Sénégal, pays voisin, en 2008, et l’Égypte, en 2013. Les participants voteront pour déterminer le prochain pays hôte du prochain sommet.
Naissance d’une nécessité historique
Ce qui a commencé comme une réaction impulsive d’une poignée de pays musulmans du Moyen-Orient, d’Asie et d’Afrique à un incendie criminel attribué aux sionistes, qui a partiellement détruit la mosquée Al-Aqsa de Jérusalem en 1969, s’est rapidement transformé en un groupe hétéroclite d’Etats dont l’identité commune est définie par l’islam et dont le message est la coexistence pacifique avec le reste du monde.
Après des réunions préparatoires en Arabie saoudite, le premier sommet des pays à majorité musulmane, au nombre de 24, s’est tenu à Rabat, au Maroc. C’est ainsi qu’est née, en 1972, l’Organisation de la Conférence Islamique (OCI), qui sera connue depuis sous le nom d’Organisation de la Coopération Islamique (OCI).
L’avènement de l’OCI est venu combler le vide politico-religieux laissé par la chute et la désintégration, au 19ème siècle, de l’Empire ottoman qui gouvernait un cinquième du monde musulman et offrait un leadership et des conseils en matière d’écritures, ainsi que des orientations de politique étrangère aux autres nations relevant de sa compétence. Le démantèlement de l’Empire ottoman par un traité en 1922 a laissé dans son sillage un vide énorme pour le monde musulman, ce qui a suscité des appels à la création d’une organisation faîtière qui regrouperait tous les pays islamiques sous son aile. La raison d’être d’une telle organisation est de protéger les intérêts de bonne foi de ses membres, ce qui s’inscrit parfaitement dans un système mondial régi par les principes de la paix et de la justice dans le monde.
Aujourd’hui, l’OCI a l’allure d’une grande figure spectrale – frappée par une croissance illimitée et un potentiel inexploité, mais étendant toujours ses tentacules à 57 pays, dont 27 en Afrique.
Une plateforme galvanisante unifiant des voix disparates
L’OCI a permis aux pays membres d’adopter une position commune sur de nombreuses questions mondiales, notamment à l’Assemblée générale des Nations unies, où ils se sont unis pour voter contre de nombreuses résolutions allant à l’encontre des intérêts individuels ou collectifs de la oumma, qui compte 1,81 milliards d’adeptes de l’une des trois grandes religions du monde, fondée par le prophète Mahomet au VIIème siècle en Arabie. Même si une véritable synergie diplomatique continue de faire défaut en raison de la disparité des politiques étrangères des pays membres, qui s’expliquent par leurs particularités géographiques et démographiques, l’OCI est considérée comme l’institution mondiale la plus proche, représentant l’espoir et les aspirations de l’autre moitié du monde, encore largement exclue du cœur du système économique mondial truqué en faveur des intérêts des capitaux occidentaux. Un diplomate l’a qualifiée de principale voix du sud de la planète, ce qui prouve que le nombre a du poids dans la diplomatie internationale.
Une portée mondiale irrépressible
Collectivement, l’OCI a un poids considérable à l’échelle mondiale et les principales puissances de la planète en ont pris bonne note. Avec une superficie de 31,66 millions de km² peuplée de 1,81 milliard de personnes et un Pib total de 27.949 milliards de dollars selon une estimation de 2019, l’organisation intergouvernementale peut s’enorgueillir de posséder certains des blocs commerciaux les plus importants au monde. Avec des membres comme l’Arabie saoudite, la Turquie, les Emirats arabes unis, le Qatar et le Nigeria, qui exercent une forme ou une autre de pouvoir économique dans leurs régions respectives, même les économies les plus puissantes ont trouvé en l’OCI un pivot du système commercial mondial. Neuf des douze membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) appartiennent à l’OCI, un fait dont les ramifications n’ont pas échappé aux récentes administrations américaines qui ont adopté une politique d’inclusion à son égard. Depuis 2007, à commencer par George W. Bush, un envoyé a été nommé par chaque président américain pour évaluer la dynamique de la politique étrangère de l’OCI en tant que monolithe mondial qu’elle est devenue, même au sein des Nations unies et de l’Union européenne où elle est représentée en permanence.
Petits membres, grands rôles
Le choix de la Gambie pour accueillir le 15ème sommet de l’OCI en dit long sur l’équilibre des pouvoirs au sein de l’organisation, où un ensemble de petites nations membres constitue un contrepoids nécessaire face à des membres plus importants. Contrairement au modus operandi d’autres organisations mondiales qui s’appuient sur la disponibilité des infrastructures pour déterminer quels pays peuvent accueillir leurs réunions, l’OCI suit la logique inverse, à savoir préparer un pays pauvre et sous-développé comme la Gambie à accueillir le plus grand rassemblement de dirigeants mondiaux après l’Assemblée générale des Nations unies. Les petites nations constituent un tiers des membres de l’OCI et pourraient bien faire pencher la balance en tant que bloc de vote au sein de l’organisation. D’ordinaire, la Gambie, compte tenu de ses infrastructures très modestes ou clairsemées, aurait eu du mal à accueillir un événement d’une telle ampleur, qui s’accompagne de ses propres défis en matière d’hébergement de milliers de délégués venus de très loin. En tant que centre d’attraction naturel pour le monde entier pendant la durée du sommet, la Gambie doit se montrer prête. Les membres de l’OCI ont fourni à la nation ouest-africaine les moyens financiers nécessaires pour construire les infrastructures requises pour accueillir les chefs d’Etat et leurs délégations. Depuis 2019, les fonctionnaires de l’OCI ont effectué d’innombrables voyages à Banjul pour évaluer l’état de préparation du pays alors que les projets relatifs à l’accueil du sommet étaient en cours d’exécution.
Bien que le sommet de Banjul ait été reporté à deux reprises par crainte qu’il ne soit déplacé dans un autre pays en raison de retards dans les travaux d’infrastructure, tout semble prêt pour que le pays accueille le plus grand événement de ses 59 ans d’histoire en tant que nation indépendante.
Les travaux concernant un somptueux salon de l’aéroport présidentiel, une autoroute de 22 km avec des viaducs, une nouveauté en Gambie, et un amphithéâtre national construit par des Chinois et essentiel à la conférence, ont été achevés avant le sommet.
Le conflit palestinien à l’ordre du jour du sommet
Avec le conflit qui fait actuellement rage au Moyen-Orient entre Israël et les Palestiniens, il est inconcevable que le sommet de Banjul passe sous silence cette crise, qui s’est implantée comme une cicatrice dans la conscience mondiale depuis de nombreuses années, défiant toutes les tentatives de résolution viable. C’est le cas notamment dans les pays musulmans dont les citoyens ont été indignés par le carnage dont ont été victimes leurs coreligionnaires en Palestine qui, bien qu’elle ne soit pas encore un État partie au sens propre du terme, est néanmoins un membre à part entière de l’OCI. Le bloc s’est donc indigné lorsque les États-Unis ont opposé leur veto à une résolution du Conseil de sécurité de New York demandant l’adhésion de la Palestine aux Nations unies. Cela a ouvert un débat timide sur le statu quo du droit de veto au sein du Conseil de sécurité de l’ONU, sur son impact négatif sur l’équilibre des pouvoirs à l’ONU et sur les raisons pour lesquelles il devrait être supprimé. Le sommet de l’OCI à Banjul ne manquera pas de militants pour briser ce cycle dominant des cinq grandes puissances du monde, à savoir les États-Unis, le Royaume-Uni, la France, la Russie et la Chine, en place depuis la fondation de l’ONU en 1945.
La plupart des membres de l’OCI considèrent Israël comme un occupant à Gaza et continueront à condamner le meurtre de civils palestiniens par les troupes israéliennes à la poursuite de militants du Hamas accusés d’être à l’origine de l’incursion meurtrière du 7 octobre dans l’État juif. Les précédents sommets de l’OCI ont été marqués par la question israélo-palestinienne et le sommet de Banjul ne fait pas exception à la règle. Les pays membres se sont mobilisés pour faire pression sur la Cour pénale internationale (CPI) afin qu’elle qualifie ce qui se passe à Gaza de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre nécessitant des sanctions à l’encontre de l’auteur présumé, Israël.
L’instabilité dans un certain nombre d’autres pays musulmans tels que le Yémen et le Soudan où deux généraux se retrouvent à la tête de deux forces diamétralement opposées qui se battent pour le contrôle du pays depuis avril 2023. Alors que les membres de l’OCI au Moyen-Orient ont soutenu un camp contre l’autre, les dirigeants musulmans présents au sommet devront encourager un dialogue plus constructif entre les protagonistes afin de mettre un terme au conflit qui a fait des milliers de morts et plus de deux millions de déplacés à l’intérieur et à l’extérieur du Soudan.
Maximiser la prospérité pour réduire la pauvreté
Bien que l’OCI compte certains des pays les plus riches, en grande partie grâce à l’exploitation du pétrole, le niveau de pauvreté dans le monde musulman, en particulier en Afrique subsaharienne, s’est aggravé par rapport à d’autres régions du monde. De nombreux membres de l’OCI, dont la Gambie, hôte du sommet de 2024, se situent dans la partie inférieure de l’indice de développement humain. Selon une liste établie en 2023, 13 des 24 pays les plus pauvres du monde sont membres de l’OCI. La charte d’ouverture de l’OCI préconise le maintien des traditions socio-économiques dans le cadre de la solidarité islamique entre les membres. Il existe une série d’accords bilatéraux entre les États de l’OCI visant à favoriser le commerce, l’aide et la collaboration dans les domaines de l’éducation, de la science et de la technologie. L’un des avantages de ces sommets est de fournir aux pays membres un bazar ouvert d’opportunités pour conclure des accords financiers et autres visant à établir des relations commerciales là où il n’y en a pas et à les renforcer là où elles existent déjà.
Avec un Pin collectif d’une valeur nette de 27.949 milliards de dollars en 2019, la viabilité commerciale au sein de l’espace de l’OCI pourrait permettre aux pays moins prospères de tirer profit du commerce et d’autres activités économiques avec des membres plus illustres. Ainsi, un pays comme la Gambie, dont le Pib n’est que de 1,27 milliard de dollars, pourrait tirer profit de l’accueil du sommet.
Pas de rendez-vous avec le terrorisme
Au fil des décennies écoulées, l’OCI a jonglé avec habileté sur la question du terrorisme, une question qui divise la communauté internationale et suscite la controverse quant à sa définition, avec d’un côté les pays musulmans et de l’autre ceux ayant une perspective plus occidentale. Par exemple, bien que la convention de l’OCI sur la lutte contre le terrorisme international, adoptée en 1999, définisse le terrorisme comme un acte ou une menace mettant en danger des personnes, des organisations occidentales telles que Human Rights Watch ont rejeté cette définition, la jugeant incorrecte. Cette divergence d’opinions parmi les membres de l’OCI quant à ce qui constitue un acte terroriste a conduit l’organisation à naviguer avec précaution entre ceux qui partagent sa vision et ceux qui adoptent une position opposée sur cette question terminologique.
Cela n’a pas empêché l’OCI d’inventer un angle inverse au débat, en qualifiant de terrorisme à son paroxysme les discours alarmistes sur l’islam et les musulmans ou l’islamophobie. Les parties non membres de l’OCI devraient tendre l’oreille sur cette question, mais il ne semble pas que ce thème soit susceptible d’occuper l’esprit des délégués au sommet, ce qui signifie qu’un consensus sur ce qui constitue le terrorisme ne sera pas atteint avant un certain temps.
Equilibrer la charia islamique et les droits de l’homme
L’OCI doit également trouver un équilibre entre la pratique de la charia par ses membres et la reconnaissance des aspects des droits de l’homme compatibles avec la loi islamique, qui s’inspire des écritures du Coran. Le contenu révisé de la charte de l’OCI sur ce thème enjoint ses membres à promouvoir les droits de l’homme, les libertés fondamentales et la bonne gouvernance.
Toutefois, bien qu’elle adhère à la charte des droits de l’homme des Nations unies, l’organisation reste manifestement silencieuse sur la déclaration universelle des droits de l’homme.
Le Nigeria est un exemple de membre de l’OCI où la loi islamique s’applique dans le nord du pays, tandis que la Common Law héritée du colonialisme britannique s’applique. Le sommet de Banjul risque de ne pas vouloir aborder ce thème en priorité, compte tenu des problèmes urgents comme la Palestine, le Yémen et le Soudan, qui requièrent une attention plus
urgente de la part des dirigeants musulmans.
L’énigme des réfugiés
Selon Islamic Relief Worldwide, la Syrie, la Somalie et l’Afghanistan, tous membres de l’OCI, comptent parmi les cinq pays du monde qui accueillent le plus grand nombre de réfugiés. Ces pays abritent des millions de réfugiés, dont certains sont déplacés à l’intérieur de leur pays en raison de troubles qui durent depuis des décennies.
L’Ouganda, relativement stable, est un autre pays de l’OCI qui compte une énorme population de réfugiés en provenance de pays voisins d’Afrique de l’Est où les troubles civils sont la règle plutôt que l’exception.
Selon un rapport du HCR datant de 2012, la population de réfugiés dans les pays de l’OCI a atteint 18 millions en 2010. Afin de relever les défis posés par les réfugiés dans ses pays membres, l’organisation a organisé une conférence au Turkménistan en 2012,
intitulée « Les réfugiés dans le monde musulman ».
Douze ans plus tard, l’énigme des réfugiés est toujours d’actualité, les pays musulmans étant les plus touchés par les conflits. Avec l’augmentation du nombre de réfugiés causée par le conflit au Soudan, le sommet de l’OCI à Banjul ne peut se permettre d’ignorer ses implications pour le pays et ses voisins immédiats, notamment l’Égypte, un membre important.
Les LGBT, une question qui divise
L’une des questions qui divise le plus l’OCI reste sans doute celle des LGBT qui, au fil des ans, a creusé un fossé entre les pays membres. Une poignée de pays africains, dont la Sierra Leone, la Guinée-Bissau et le Gabon, se sont joints à d’autres membres de l’OCI, comme l’Albanie et le Suriname, pour voter en faveur des droits des homosexuels à l’Assemblée générale des Nations unies.
Dans le même temps, des nations musulmanes comme la Turquie, la Jordanie, Bahreïn et l’Irak sont allées plus loin en légalisant cette orientation sexuelle.
Toutefois, à l’autre bout du spectre, l’Arabie saoudite, l’Egypte et l’Iran ont mené une campagne pour l’expulsion d’une réunion sur le VIH/sida des intérêts de la communauté LGBT. L’Ouganda et le Ghana (qui n’est pas membre de l’OCI) ont suscité l’émoi du lobby international des droits des homosexuels après que les députés de ces pays ont adopté des lois criminalisant l’homosexualité et prévoyant des peines sévères pour les contrevenants.
Ces deux lois doivent encore être approuvées par les présidents de leurs pays respectifs. L’Islam m est généralement opposé aux orientations homosexuelles et cela continuera à influencer les principes directeurs des sommets de l’OCI qui pourraient ignorer la pression des puissants m lobbies LGBT.
L’OCI n’a pas hésité à dénoncer l’homosexualité comme un comportement pervers qui va à l’encontre des enseignements de la morale m islamique. Les communautés LGBT sont considérées comme des minorités dans les pays musulmans où leurs droits à déclarer ouvertement leur orientation sexuelle sont contrecarrés par des préceptes islamiques rigides.
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