Homme d’affaires congolais, investisseur et Président du Groupe Forrest International (GFI), George Forrest est l’une des figures les plus emblématiques du pays. Il répond aujourd’hui à nos questions et esquisse le futur du groupe Forrest, du Congo et de son avenir dans le pays.
Vous avez abandonné le secteur minier depuis déjà quelques années. Quels sont aujourd’hui vos objectifs pour l’avenir du Groupe Forrest ?
La poursuite de la diversification de nos activités reste notre principal objectif. Nous investissons dans des partenariats public-privé pour stimuler le développement d’infrastructures durables. Nous cherchons aussi à développer nos autres secteurs d’expertise, comme l’électricité ou encore l’industrie. Je pense pouvoir dire, non sans fierté, que nous sommes l’un des premiers contributeurs à la modernisation du Congo. Nous restons engagés à soutenir le développement économique et social de la RDC dans l’ensemble de nos activités et contribuer à l’amélioration des conditions de vie des Congolais par les infrastructures, les routes, l’énergie et l’accès à l’électricité. À titre personnel, les investissements dans l’agroindustrie à travers ma holding GoCongo- secteur qui est, je pense, l’avenir de la RDC- me tiennent tout particulièrement à cœur. J’ai, dans ce domaine, des ambitions inchangées.
Comment votre entreprise s’assure-t-elle que ses activités sont durables et bénéfiques pour les communautés locales ?
Nous avons déployé une approche RSE volontariste, fondée sur des investissements durables directement orientés vers le développement économique et social des populations. Je pense par exemple au soutien appuyé du groupe au programme L-Impact. C’est un programme d’incubation collectif et intensif de 6 mois, entièrement gratuit, car nous en finançons la totalité avec la Fondation Roi Baudouin. Il permet à de jeunes entrepreneurs d’être accompagnés dans leur développement. Nous avons ainsi, et entre autres, permis l’émergence d’Uzazi Bora, une startup spécialisée dans le soutien à la santé des femmes ou encore Makala Vert, des transformateurs écologiques qui se sont positionnés sur le charbon bio.
Notre Fondation « Rachel Forrest » déploie aussi cette stratégie de manière opérationnelle en accompagnant des initiatives sociales, économiques et culturelles sur le territoire congolais Nous investissons concrètement dans des projets éducatifs et médicaux pour améliorer les conditions de vie des communautés au sein desquelles nous sommes implantés.
Le tournant du Groupe vers certains secteurs, comme l’investissement dans les énergies renouvelables sont également des engagements forts pour le développement durable du pays, en faveur des populations.
Vous avez mentionné vos investissements personnels dans le domaine agroalimentaire. Pourriez-vous nous en dire plus ?
GoCongo est le fer-de-lance de mes investissements dans le secteur agroalimentaire. Elle prend la forme d’une holding présente sur tout un panel de filières stratégiques pour le Congo. Avec GRELKA d’abord, qui produit une viande de qualité supérieure et biologique destinée aux consommateurs locaux du Grand Katanga et du Lualaba. Nos méthodes d’élevage traditionnelles et notre régime alimentaire sain pour les animaux garantissent la bonne qualité de la viande. Nous contribuons à l’économie locale en employant près de 800 personnes et en offrant des produits de haute qualité. GRELKA est une très grande fierté et un atout majeur du secteur agroalimentaire congolais. Mais je n’oublie pas les autres secteurs, qui portent aussi la viabilité de la holding : nous aurons à terme plus de 10 000 hectares de maïs en exploitation, nous visons 10 000 hectares de blé, nous sommes présents dans le soja et la papaye également. Et, point très important, car nous répondons ainsi à l’une des principales difficultés de l’Afrique en termes alimentaires : nous disposons de capacités industrielles de transformation sur place. Parmi elles, une minoterie ou encore une usine de biscuits, qui est la plus importante du pays. Bref, nous avons une vision complète qui vise à maîtriser toute la chaîne de production agricole : depuis la terre, jusqu’au produit fini, tout doit être fait au Congo. En bref, nous produisons pour les Congolais, par des Congolais afin de fournir les populations en denrées alimentaires de bonne qualité et nous préserver, à notre échelle, d’importations de produits de qualité inférieure. Je rappelle que notre pays importe annuellement pour 2 milliards de dollars par an de produits de première nécessité. Nous avons les moyens de changer cela.
L’agriculture pourrait bientôt dépasser le secteur minier en RDC selon vous. Quels sont les principaux atouts de la RDC pour atteindre cet objectif ?
La RDC possède 80 millions d’hectares de terres arables, ce qui pourrait théoriquement nourrir 2 milliards de personnes. Ce potentiel agricole immense, combiné à des investissements adéquats et à une politique de diversification économique, peut faire de l’agriculture un secteur dominant. Notre pays est un « trésor vert ». Nous avons, sur place, l’ensemble des ressources naturelles et humaines pour l’exploiter de la manière la plus efficace et durable possible. Charge aux pouvoirs publics d’encadrer ce mouvement et aux investisseurs congolais, africains et internationaux de saisir l’ensemble des opportunités qui se présentent à eux.
Quels sont les principaux obstacles à la diversification de l’économie congolaise vers l’agriculture ?
J’avais affirmé, en octobre dernier, en marge d’un forum sur les questions agricoles que « le secteur minier n’est pas éternel, notre perspective dans l’agriculture, si ». Cette affirmation est, à mon sens, toujours autant valable.
Parmi les freins actuels, j’identifierais la dépendance excessive au secteur minier — dont le groupe Forrest est d’ailleurs entièrement sorti —, mais encore le manque d’infrastructures agricoles, la part encore trop faible d’investissements étrangers. Ce sont les symptômes d’une économique encore trop concentrée sur ses richesses géologiques qui, aussi abondantes soient-elles, restent périssables. Nous devons être visibles dans le monde entier, non uniquement pour nos sous-sols, mais plus largement pour la qualité de nos entreprises et de notre climat des affaires. C’est un impératif. Si nous avons fait en sorte d’aligner le Groupe Forrest sur les meilleures règles de compliance internationales, notamment en termes de gouvernance, d’éthique ou de sécurité, c’est aussi pour envoyer un signal aux investisseurs qui chercheraient à investir en RDC auprès de partenaires fiables. J’en profite pour préciser que nous avons, depuis plusieurs années, entamé une démarche de certifications de certaines de nos activités. J’encourage les entreprises congolaises à faire de même.
Mais je reste pleinement convaincu que nous sommes dans une période de transition. Les prises de position du président Tshishekedi en faveur de la diversification économique et de l’amélioration du climat des affaires vont dans le bon sens et les feuilles de route qui se dessinent pour y arriver aussi.
Quel impact espérez-vous que le Programme de transformation de l’agriculture (PTA) puisse avoir sur l’économie congolaise ?
Le PTA engage notre pays sur des investissements de 6,6 milliards de dollars sur dix ans, notamment via le soutien de la Banque africaine de développement et des bailleurs internationaux. Il porte une puissante promesse qui, comme je l’ai déjà évoqué, me tient particulièrement à cœur : accompagner « la revanche du sol sur le sous-sol », selon les mots du président Tshisekedi, et faire du pays l’un des greniers africains. Plusieurs leviers d’action seront déployés : stimuler l’investissement privé dans les chaînes de valeur agricoles, renforcer nos infrastructures et la formation, créer des emplois dans le secteur et, surtout, réduire la dépendance aux importations extérieures en contribuant durablement à la sécurité alimentaire et à la croissance économique de la RDC. En bref : améliorer la part de l’agriculture dans notre PIB global.
Toutes les initiatives gouvernementales et les investissements d’ampleur fléchés vers ce secteur stratégique doivent être salués, soutenus et faire l’objet d’une mobilisation de toutes les filières du secteur agroalimentaire. D’un point de vue plus macroéconomique, je vois aussi deux autres enjeux : d’abord, poursuivre les efforts en faveur d’une bonne gouvernance qui contribue durablement à l’amélioration du climat des affaires et à permettre d’attirer des investisseurs étrangers ; ensuite la création d’une culture de l’entrepreneuriat au Congo pour encourager les jeunes générations à placer leurs talents au service de la filière agroalimentaire. Je continuerai, à travers GoCongo, à accompagner cette transition d’une manière volontariste.
CP/ac/APA