Les séries télévisées sénégalaises ont connu, ces dernières années, un bond fulgurant qui leur a permis de reléguer au second plan les dramatiques et autres télénovelas, il y a peu très prisées des téléspectateurs. Surfant sur le succès de ces produits du cru, des maisons de production s’emploient à fournir constamment de nouveaux feuilletons à un public qui en redemande.
Au Sénégal, la production de séries télévisées est devenue une véritable industrie en moins d’une décennie seulement. « Un Café avec… », « Mbettel », « Wiri-Wiri » ou encore « Idoles », voilà autant de productions ayant su conquérir le cœur de bon nombre de téléspectateurs et d’internautes avides d’histoires à rebondissements.
« Nous avons produit beaucoup de séries dont +Pod et Marichou+. C’est actuellement la série la plus suivie au Sénégal. Nous avons également mis sur le marché +Nafi+, +Adja+, +Maîtresse d’un homme marié+ et +Golden+. Nous avons aussi réalisé des séries commerciales comme +Le rêve Akys+ et +Li Nu Bolé+ », énumère El Hadj Oumar Diop dit Pod, le Directeur artistique de la maison de production « Marodi ».
Fin connaisseur du septième art, Aboubacar Demba Cissokho a couvert huit éditions du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco), qui se tient tous les deux ans dans la capitale burkinabè. Pour ce journaliste culturel de l’Agence de Presse Sénégalaise (APS, publique), « il est plus facile de produire des séries composées d’épisodes. Par contre, la réalisation de fictions ou de documentaires prend du temps. Elle est soumise à des recherches de financement, à des repérages… Les séries intéressent les sponsors et il y a donc plus d’argent ».
« Marodi », l’un des précurseurs de cette activité au Sénégal, compte plus d’un million et demi d’abonnés sur sa chaîne YouTube créée le 21 août 2013. Les vidéos qu’elle a postées sur ce média social ont enregistré près de 700 millions de vues.
« Depuis 2010, il y a au Sénégal une prolifération des maisons de production de contenus multimédia. Celles-ci utilisent deux canaux de diffusion : Internet (YouTube principalement) mais aussi la méthode traditionnelle à savoir la télévision », explique Mountaga Cissé, Directeur de l’agence digitale SIMTECH.
Friande d’histoires à suspense, Seynabou Ngoma Seck suit très souvent les séries télévisées sénégalaises sur YouTube grâce à son téléphone dernier cri. « C’est plus commode et plus flexible. A la télé, ces programmes sont diffusés à des heures fixes qui peuvent ne pas me convenir. Je préfère de loin les séries sénégalaises. J’y trouve mon compte. D’ailleurs, depuis plusieurs années, je ne regarde plus de télénovelas sud-américaines », explique-t-elle.
D’après l’Autorité de Régulation des Télécommunications et des Postes (ARTP), le taux de pénétration d’Internet au Sénégal est actuellement de 68,49 %. Et plus de 98 % des internautes se connectent avec leur smartphone.
« L’accessibilité des séries sur Internet, à travers quelques plateformes numériques, est un avantage considérable. Les gens n’ont pas souvent le temps de regarder la télévision à l’heure de diffusion de leurs séries préférées. Ils peuvent donc choisir le moment opportun pour consommer ces productions avec différents types de supports : téléphone, tablette ou ordinateur. Il faut simplement qu’ils payent la connexion à Internet », dissèque M. Cissé, par ailleurs formateur en nouveaux médias.
Plus qu’un phénomène de mode, les séries télévisées alimentent les discussions dans les grand places et cours de récréation où naissent quelquefois des vocations de comédien. Cette révolution s’accompagne de la création de fortes communautés de fans sur la toile.
Selon Mountaga Cissé, « il y a des maisons de production qui sortent du lot en développant des stratégies digitales. Celles-ci ne se limitent pas à mettre en ligne les contenus. Certaines maisons de production ont aussi une page Facebook dans laquelle, les gens partagent leurs avis avant, pendant et après la diffusion d’un épisode. Il y a aussi les interviews avec des acteurs et les partages de photos ».
Ce mode opératoire peut rapporter gros d’après ce consultant et blogueur : « YouTube est la plateforme la mieux visitée au Sénégal. C’est un canal où l’on n’a pas besoin d’avoir un niveau intellectuel élevé. Il suffit juste de l’ouvrir et de savoir, en fonction des visuels proposés, quel contenu consommer. En activant la monétisation, les maisons de production qui y postent leurs contenus, peuvent gagner de l’argent afin de soutenir la production ».
La vitalité de ce secteur hyper concurrentiel montre que cela fonctionne bien. « YouTube nous aide à monétiser nos productions. On s’en sort vraiment grâce au nombre de vues sur cette plateforme. En moyenne, nous en avons plus d’un million par épisode. YouTube nous rémunère chaque mois et cela gonfle nos caisses », jubile Pod.
Au Sénégal, les analphabètes représentaient 54 % de la population globale en 2017. L’usage du wolof, l’une des principales langues nationales du pays dans les séries télévisées, a considérablement boosté l’audimat de quelques chaînes qui s’arrachent ces produits.
« Nous avons, révèle El Hadj Oumar Diop, collaboré avec trois télévisions sénégalaises : Sen TV, 2S TV et TFM. Nous travaillons sous forme de partenariat avec les télés qui ne participent pas à la production. Elles sont juste un support. Nous nous partageons ensuite les recettes publicitaires ».
« Marimar », « Luz Clarita », « La Tour de Babel » et plus récemment « Rubi » sont des feuilletons sud-américains qui faisaient fureur de la fin des années 90 jusqu’au début des années 2000. Désormais, ils ont été rangés aux oubliettes grâce aux séries télévisées sénégalaises.
« J’ai vécu au Brésil mais les séries que j’ai vues là-bas n’ont rien à voir avec celles qu’on nous balance. Au Sénégal, nous recevons des histoires à l’eau de rose aux antipodes de notre culture. Je suis vraiment contente que nos séries télévisées prennent le dessus. Elles sont écrites et produites par des Sénégalais, puis jouées par des acteurs locaux », se réjouit la comédienne Amélie Mbaye.
Pour occuper davantage le devant de la scène, les maisons de production sénégalaises peuvent notamment compter sur le Fonds de Promotion de l’Industrie Cinématographique et Audiovisuelle (Fopica) institué en 2002 par l’Etat du Sénégal. Alimenté pour la première fois en 2014, le Fopica a vu son budget de financement passer d’un à deux milliards F CFA.
ID/cat/APA