Jusqu’ici apanage des femmes au Tchad, la tontine a fait irruption dans le milieu masculin, notamment au sein des fonctionnaires et des agents du privé qui usent de plus en plus de cette formule de cotisation tournante pour satisfaire leurs besoins. Lesquels portent généralement sur l’acquisition d’un terrain à usage d’habitation, l’achèvement d’une maison ou l’achat d’un véhicule.
Satisfaire de tels besoins renvoie à des tontines grandeur nature où les petites sommes que cotisent généralement les femmes sont allégrement dépassées. Leur salaire aidant, les agents de l’administration ou du privé qui se lancent dans les tontines peuvent miser pour des sommes allant jusqu’à 100.000 FCFA par mois.
Pour ce faire, les fonctionnaires désignent parmi eux un chef de groupe chargé de collecter les cotisations. C’est le cas de Moussa. Enseignant de son état, il est à la tête d’une tontine réunissant dix autres collègues.
« Nous avons décidé de cotiser 100. 000 FCFA par personne. A la fin du mois, on remet 1 million FCFA à un membre du groupe et cela se répète chaque fin du mois jusqu’à dix mois », explique Moussa.
Ahmat, membre du groupe de Moussa, estime que le fait d’adhérer à la tontine est mieux que de contracter un crédit bancaire. « Ici, on a aucun intérêt qui nous pèse. C’est comme si tu épargnes un montant donné, échelonné sur quelques mois ».
Employé d’un hôtel à N’Djaména, Allaïssem, dans l’attente de recevoir l’argent de sa tontine, marchande déjà le prix d’un terrain, situé au quartier Farcha dans le premier arrondissement de la capitale. Une fois tombé d’accord avec le propriétaire, le jeune hôtelier lui a promis de payer en début de semaine, moment où ce sera son tour de recevoir le jackpot de la tontine.
Un cadre d’une banque, s’exprimant sous le couvert de l’anonymat, reconnait, certes, la possibilité pour certains travailleurs de faire de l’épargne via la tontine, mais émet quelques réserves sur la fiabilité du procédé. « Ces personnes trouvent en la tontine un moyen de réaliser certains projets personnels. Mais, j’ai des réserves vis-à-vis de cette pratique d’autant qu’il manque un aspect important du mécanisme : la sécurité et la confiance », souligne le banquier.
Pour sa part, l’économiste Hassan Idriss, décrit la tontine en milieu masculin comme un phénomène nouveau, accéléré par la cherté de la vie et la stagnation des salaires dans les secteurs public et privé.
« C’est, explique-t-il, un mécanisme financier qui permet à ses utilisateurs de mutualiser leurs épargnes pour accéder à tour de rôle à un capital conséquent pour réaliser leurs projets. Le mécanisme est surtout basé sur la confiance et le réseau ».
Revenant à la charge, le banquier soutient que tout ne se passe comme sur des roulettes côté cotisations dans la mesure où beaucoup de ceux qui on perçu trainent les pieds pour continuer à cotiser, s’ils ne cessent carrément pas de le faire.
Moussa, chef d’une tontine de fonctionnaires, donne presque raison au banquier en révélant qu’il est obligé de « faire la police » auprès de certains de ses collègues qui, une fois le jackpot en poche, tardent à cotiser.
Pour faire moderne et, surtout, désireuse de corriger ces mauvais comportements, une société de téléphonie mobile avait jugé bon de créer des comptes de transfert d’argent pour les adhérents aux tontines, mais l’initiative ne dura guère à cause de la persistance de l’indélicatesse de certaines personnes.
Fustigeant le refus de cotiser des adhérents de tontine, une fois perçu leur argent, Hamadou martèle qu’il n’est pas question pour lui ni pour son épouse de se lancer dans une tontine. « J’ai interdit même à ma femme cette pratique. Je n’aime pas cette histoire qui, souvent, finit en queue de poisson entre les membres d’un groupe » de tontine.
Malgré les réticences de certaines personnes comme Hamadou, les tontines continuent de proliférer au Tchad, au grand bonheur de nombreux travailleurs.
AHD/cat/APA