Le foncier, pierre angulaire de l’agriculture en Afrique de l’Ouest, reste au cœur des défis liés à la sécurité alimentaire et à l’autonomisation des populations vulnérables. Dans cet entretien avec APA en marge de la 16e réunion de l’équipe pluridisciplinaire de la FAO à Praia, au Cabo Verde, Adin Bloukounon Goubalan, chargé de l’agriculture au bureau sous-régional de la FAO, revient sur la pluralité des régimes fonciers, les difficultés d’accès pour les femmes et les initiatives nécessaires pour garantir une gestion durable et inclusive des terres dans un contexte marqué par l’insécurité et les inégalités sociales.
Quand on parle d’agriculture en Afrique de l’Ouest, on ne peut pas faire abstraction du foncier. Quel état des lieux pouvez-vous dresser concernant les liens entre agriculture et foncier dans la région ?
Tout d’abord, permettez-moi de rappeler que le mandat de la FAO est de lutter contre la faim et de garantir à tous l’accès à une alimentation suffisante, à tout moment et partout. Or, en Afrique, l’agriculture repose essentiellement sur la terre. Contrairement aux approches modernes comme l’agriculture verticale ou hors-sol, notre agriculture est largement pratiquée par de petits exploitants utilisant directement le sol.
La terre est le facteur de production primordial. Vous pouvez disposer de main-d’œuvre, de capital financier ou d’intrants agricoles comme les semences et engrais, mais sans terre, il est impossible de produire. C’est pourquoi la question du foncier est centrale dans le débat sur la sécurité alimentaire et les systèmes alimentaires.
En Afrique de l’Ouest, le régime foncier est caractérisé par une pluralité de normes. On distingue principalement trois types de droits fonciers.
Le premier est le droit foncier coutumier, qui concerne les communautés installées historiquement sur des terres rurales et dont les droits sont désormais reconnus par les codes fonciers de plusieurs pays.
Ensuite, le droit foncier public consacre la propriété de l’État sur certaines terres, permettant à ce dernier de les déclarer d’utilité publique si nécessaire.
Tertio, le droit foncier individuel ou privé s’applique aux individus ayant acheté des terres, qu’elles soient rurales ou urbaines, pour des activités agricoles.
Cependant, malgré des réformes en faveur d’un accès élargi à la terre, des défis persistent, notamment pour les femmes. Dans la plupart des communautés, leur droit à la terre est reconnu sur le papier, mais son applicabilité reste limitée.
Pourquoi ces réformes peinent-elles à garantir un accès effectif des femmes et des groupes vulnérables à la terre ?
Plusieurs raisons expliquent cette situation. D’une part, les collectivités territoriales manquent souvent de ressources humaines et techniques pour mettre en œuvre ces réformes. D’autre part, les mentalités et pratiques coutumières continuent d’exclure les femmes. Par exemple, dans de nombreux cas d’héritage, les femmes sont écartées.
Cette exclusion a des répercussions graves. Les femmes rurales, souvent chefs de famille de facto, dépendent majoritairement de l’agriculture pour subvenir aux besoins de leurs enfants. Sans droit de propriété, elles ne peuvent pas adopter des pratiques agricoles durables, comme planter des arbres, investir dans la fertilisation organique ou préserver la fertilité des sols. Elles restent donc dans une agriculture de subsistance précaire.
Que peut faire la FAO pour appuyer les États et promouvoir des initiatives comme celle de la Guinée-Bissau, où des femmes ont été autonomisées pour ce qui concerne l’accès au foncier ?
La FAO travaille avec les États et la société civile pour renforcer les droits fonciers des femmes et des groupes vulnérables. Nous soutenons également les collectivités territoriales dans leurs efforts d’application des réformes. En Guinée-Bissau, par exemple, la mise en place de projets permettant aux femmes d’accéder à la propriété foncière collective est un modèle inspirant. Ce type d’approche, qui repose sur des groupements, garantit une meilleure sécurité foncière et favorise une agriculture durable.
Aller au-delà des transferts monétaires ou des subventions agricoles est crucial. L’acquisition et l’attribution de terres aux groupements de femmes pourraient transformer l’accès à la terre et améliorer leur résilience.
Dans un contexte d’insécurité, notamment au Sahel, comment garantir l’accès à la terre pour les populations déplacées tout en évitant les conflits liés à son usage ?
L’insécurité aggrave la pression sur le foncier. Les populations déplacées internes sont souvent réinstallées sur des terres pouvant déjà être revendiquées par d’autres communautés vulnérables. Cela nécessite une coordination étroite entre les gouvernements, les agences des Nations Unies et les collectivités territoriales pour éviter les conflits. Les terres attribuées doivent être libres de tout litige, et les besoins de toutes les parties, y compris les communautés hôtes, doivent être pris en compte.
La gestion foncière en situation de crise est délicate. C’est pourquoi il est indispensable de sensibiliser les acteurs locaux et de renforcer leur capacité à gérer ces questions de manière équitable et inclusive.
AC/Sf/APA