Le gouvernement mauritanien entend défendre le projet de loi sur les partis politiques comme un moyen de moderniser le paysage politique et de renforcer la démocratie. Non, rétorque l’opposition qui dénonce une tentative de verrouiller le système politique en faveur du pouvoir en place.
Le mercredi 25 décembre 2024, le Conseil des ministres de la Mauritanie, présidé par Mohamed Ould Cheikh El-Ghazouani, a adopté une série de mesures législatives, dont le projet de loi modifiant certaines dispositions de l’ordonnance n° 91-024 du 25 juillet 1991, régissant les partis politiques. Si cette réforme vise à structurer davantage le paysage politique du pays, elle a déclenché des vagues de critiques au sein de l’opposition, des rédactions nationales et des réseaux sociaux, où le projet est qualifié de réforme « abattoir » par certains observateurs. Ce texte, qui entend moderniser et renforcer les partis politiques en Mauritanie, est loin de faire l’unanimité, tant en raison des conditions qu’il impose pour la création et le fonctionnement des partis politiques, que des sanctions qu’il prévoit en cas de non-respect de ses dispositions.
Le projet de loi modifie en profondeur la réglementation sur la création et le fonctionnement des partis politiques en Mauritanie. L’une des premières modifications notables concerne les conditions de création d’un parti. Le texte prévoit une augmentation du nombre de membres fondateurs d’un parti politique, qui passe de 20 à 150 adhérents minimum, représentant toutes les wilayas du pays. Cette mesure a pour objectif, selon le gouvernement, de garantir une représentativité plus large et une meilleure structuration des partis.
En outre, le projet impose qu’un programme de parti soit parrainé par 5 000 citoyens répartis sur la moitié des wilayas, avec un minimum de 10 % des signatures par wilaya, et une exigence de 20 % de femmes parmi les signataires. Ces nouvelles conditions, bien que visant à renforcer la démocratie et l’inclusion, sont perçues par certains comme une manière subtile de contrôler l’émergence de nouvelles forces politiques.
L’un des points les plus controversés de cette réforme est l’exigence pour les partis politiques d’ouvrir des sièges dans au moins la moitié des wilayas dans un délai de six mois après l’obtention de l’agrément. Cette mesure pourrait s’avérer problématique pour les partis issus de la société civile ou ceux qui n’ont pas les ressources nécessaires pour s’implanter rapidement sur l’ensemble du territoire.
Le financement public et la dissolution des partis
Le projet de loi modifie également les critères d’accès au financement public. Le seuil requis pour qu’un parti puisse prétendre à une aide publique passe de 1 % à 2 % des suffrages exprimés lors des élections municipales générales les plus récentes. Cette hausse du seuil est considérée par certains comme un obstacle majeur à la survie des partis politiques émergents, notamment ceux de l’opposition, qui peinent souvent à obtenir un pourcentage suffisant lors de ces élections locales.
En matière de dissolution des partis, le texte introduit des dispositions particulièrement sévères. Un parti qui ne respecte pas les conditions de fonctionnement, ou qui échoue à obtenir 2 % des voix lors de deux élections municipales générales successives, peut être dissous. De plus, un parti qui présente des candidats à ces élections et ne recueille pas ce seuil est également menacé de dissolution. Les partis dissous ne peuvent pas se reconstituer sous un autre nom avant cinq ans, une mesure qui soulève des inquiétudes sur la possibilité d’une répression politique.
Pour l’opposition, ce projet de loi ressemble à une manœuvre pour étouffer la diversité politique en Mauritanie. Selon plusieurs figures de l’opposition, les nouvelles conditions de création et de fonctionnement des partis sont conçues de manière à favoriser les partis proches du pouvoir, en particulier le parti INSAF, au détriment de formations politiques plus petites et souvent plus critiques à l’égard du gouvernement. Ces derniers accusent le pouvoir de vouloir réduire l’espace politique en Mauritanie en imposant des conditions d’obtention d’agrément qu’ils jugent excessivement restrictives.
Les médias nationaux, notamment sur les réseaux sociaux, se sont rapidement emparés de cette réforme pour alimenter les débats. Les hashtags dénonçant cette « réforme abattoir » ont envahi les plateformes en ligne, avec des publications appelant à la mobilisation contre un projet de loi jugé contraire aux principes démocratiques. Les partisans de la réforme, quant à eux, affirment qu’elle vise simplement à assainir la vie politique, à éviter les partis « fantômes » et à promouvoir un véritable pluralisme politique.
L’arme de la suspension des partis
L’un des aspects les plus polémiques de la réforme est la possibilité de suspension d’un parti en cas de menaces à l’ordre public. Si un parti est jugé responsable de troubles ou de violences, il peut être suspendu pour une période de 90 jours. Une mesure qui, selon certains observateurs, pourrait être utilisée de manière arbitraire pour étouffer les voix dissidentes. La possibilité d’une suspension prolongée et d’une dissolution en cas de non-respect des règles renforce encore cette perception d’un contrôle accru du gouvernement sur les partis politiques.
La réforme semble en effet particulièrement défavorable aux partis politiques d’opposition. De nombreux leaders de l’opposition s’inquiètent de l’impact de ces nouvelles dispositions sur la pluralité politique et sur la représentativité des voix dissidentes. Certains estiment que ces nouvelles règles visent avant tout à éliminer les partis qui pourraient représenter une véritable alternative au pouvoir en place, affaiblissant ainsi la démocratie en Mauritanie.
Cependant, les critiques soulignent que le projet de loi pourrait conduire à une concentration du pouvoir entre les mains du gouvernement et de ses alliés, rendant encore plus difficile pour les partis politiques d’opposition d’exister et de se développer. Les formations politiques qui n’ont pas les ressources nécessaires pour remplir les nouvelles exigences risquent en effet d’être exclues du jeu politique.
MK/te/Sf/APA