Nichée au cœur de cette région naturelle, dans le Centre-Ouest du pays, la réserve communautaire de Palmarin se veut une solution durable contre l’avancée fulgurante des eaux de l’océan.
Après la pluie, le beau temps. Cette métaphore météorologique sied bien au Saloum. En cette fin d’octobre 2022, l’hivernage tire à sa fin. Le soleil est au rendez-vous. Çà et là, des cultures d’arachide, de mil ou de sorgho mûres s’étendent sur des parcelles modestes.
Tout le long du chemin menant à la réserve communautaire de Palmarin, située à un peu plus de 175 kilomètres au Sud-Ouest de la capitale sénégalaise, Dakar, une luxuriante végétation se déploie sous des rôniers qui toisent le ciel. Un paysage pittoresque !
Il est midi passé quand nous entrons dans la commune de Palmarin. Un vent sec titille les narines. Les arbres bordant la route ont fière allure. Face à ce tableau féérique, nous sommes loin d’imaginer qu’à quelques encablures de là se déroule l’une des pires manifestations du changement climatique : l’avancée de la mer. Dans ce coin, les habitants observent, impuissants, la furie des vagues qui grappillent chaque jour des portions de terre et envahissent les demeures.
« Quand j’étais plus petit, il y avait au moins 200 mètres entre l’endroit où nous sommes actuellement et la mer. Mes parents me racontaient qu’il y avait même des champs presque partout ici et ils y faisaient paître leurs vaches. Mais la mer a tout englouti. Et toutes ces maisons sont réduites en débris. Leurs propriétaires ont dû déménager », explique, nostalgique, Père Seck, le chef de village de Palmarin-Sessène, l’une des trois bourgades de la commune.
Cette situation est loin d’être une exception sur le littoral sénégalais. De Saint-Louis (Nord) à Ziguinchor (Sud) en passant par Dakar (Ouest), la mer gagne du terrain sur le continent. Dans leur repli, les vagues font énormément de dégâts. Plus inquiétant encore, les eaux marines défigurent l’hinterland. Une véritable menace sur l’agriculture et la disponibilité de l’eau potable.
Pour y faire face, l’État ainsi que plusieurs entreprises et organisations ont lancé des initiatives afin de restaurer l’environnement dégradé. La campagne de reboisement des mangroves dans la réserve communautaire de Palmarin en est un exemple. Ce projet, porté par la Société nationale des télécommunications (Sonatel) en partenariat avec l’ONG Nébéday Sénégal, vise à repeupler de palétuviers des zones conquises par l’eau salée.
Les propagules de l’espoir
Après les salutations d’usage à l’hôtel de ville, un cortège de charrettes s’engage dans les sentiers de la réserve. Une ambiance bon enfant règne dans la foule. Les questions des jeunes qui, pour la plupart, sortent pour la première fois de Dakar, fusent de partout. Ils interrogent les charretiers sur la présence de serpents et d’autres animaux dans la broussaille. Soudain, nous apercevons au loin un chacal. Ici, la nature, encore sauvage, sert de refuge à plusieurs espèces fauniques.
Au bout d’une trentaine de minutes, nous sortons enfin de cette végétation touffue. Nous entamons alors un périple sur des terres boueuses et de vastes étendues trop salées pour être cultivées. « Après l’évaporation de l’eau, les propriétaires viennent récolter le sel », explique le jeune charretier, Modou Diouf, pointant du doigt un des nombreux bassins artificiels de rétention de l’eau de mer de la zone.
Encore quelques minutes et nous voilà enfin arrivés à destination. D’énormes sacs remplis de propagules de mangroves et de petits seaux noirs ont déjà été acheminés. « Qui peut me dire comment est-ce qu’il faut faire pour reboiser », demande Ndong Achille Corréa de l’ONG Nébéday Sénégal. Face au mutisme des visiteurs, il explique : « J’enlève le capuchon de la propagule, je prends un tiers et je plante. Dès que mes doigts touchent le sol, je lâche. Je fais ensuite un, deux pas et je reprends le même procédé jusqu’au bout de la ligne ».
Par petits groupes, les hôtes séparent les propagules de leurs capuchons et en mettent soixante-dix dans chaque seau. Une fois effectué, le reboisement peut commencer. Enthousiaste, la foule s’éparpille sur les tannes boueuses. Les explications de Ndong Achille Corréa sont suivies à la lettre au grand bonheur de ses collègues qui continuent, sous un soleil de plomb, de tracer les lignes au fur et à mesure que le reboisement avance.
Pour l’activiste environnemental, Abdou Touré, l’édition de cette année est exceptionnelle. « Dans nos précédentes campagnes, nous avions l’habitude de planter entre 20 et 30 mille propagules. Mais, cette année, nous voulons atteindre les 50 mille », déclare-t-il.
Une activité aux multiples bénéfices
Si au fil des ans les promoteurs de cette initiative veulent battre des records, c’est parce que les palétuviers jouent un rôle important dans l’adaptation au réchauffement climatique. « Les mangroves, une fois matures, permettent de fixer les sols et empêchent l’inondation des villages environnants. Ces plantes procèdent aussi à la captation du carbone rejeté dans l’atmosphère et le stockent dans le sol », affirme Abdou Touré.
En outre, ils contribuent à la sécurité économique et alimentaire : « Toutes les populations autour de ces mangroves vivent des ressources qui émanent de cet écosystème. Il y a les femmes qui s’activent dans la cueillette des huîtres et d’autres crustacés. Il y a aussi la culture du miel très prisé sur le marché international », poursuit-il.
Selon M. Touré, promoteur de Quartier Vert Challenge, c’est une économie circulaire « parce que les femmes qui exploitent ces ressources arrivent à amener leurs enfants à l’école, à les soigner, à satisfaire d’autres besoins et même à épargner ou investir dans d’autres activités comme le maraîchage ».
Conscient de l’importance du reboisement, plusieurs habitants de la localité accompagnent le projet. C’est le cas de Médoune pour qui cette activité est salutaire. « Ces mangroves produisent des fruits de mer. Nos grands-mères s’en servaient pour préparer des sauces pour le couscous. Les racines aussi étaient coupées et offertes aux visiteurs comme cadeau. Des poissons également s’y reproduisent. C’est dire combien préserver cet écosystème est crucial pour les populations », souligne-t-il.
Forte implication des enfants
La menace climatique nécessite la mobilisation de tous. Pour cette édition, beaucoup sont venus en famille. « Les enfants sont les futurs leaders de ce monde. C’est pourquoi il est normal de les associer à de telles initiatives. L’objectif est de leur faire comprendre l’importance de l’environnement », estime Abdou Touré.
L’ingénieur à la Sonatel, Ada Koundoul, pense, quant à lui, qu’il faut « inculquer la culture environnementale dès le bas âge aux enfants. Cela va les motiver à continuer ce que nous sommes en train de faire aujourd’hui ».
« Planter des arbres est une obligation. Mais nous devons le faire chaque année. Les enfants ont vu que c’est facile. S’ils plantent des arbres maintenant, ils le feront durant l’adolescence et à l’âge adulte », ajoute M. Corréa.
En une demi-journée, plus de 30 mille propagules ont été plantées. Ainsi, la Sonatel et ses partenaires apportent leur contribution à la restauration de l’un des sites les plus sensibles de la réserve biosphère du Delta du Saloum et inscrite comme zone humide d’importance internationale.
ARD/id/ac/APA