Le matin du 23 août, les Zimbabwéens se rendront aux urnes pour voter dans ce qui est présenté comme un moment charnière de l’histoire du pays.
L’élection, la deuxième seulement depuis l’éviction du dirigeant de longue date Robert Mugabe en 2017, est considérée comme un test décisif pour l’avenir de ce pays d’Afrique australe. L’air est chargé d’un mélange d’excitation et d’appréhension.
Emmerson Mnangagwa contre Nelson Chamisa
D’une part, l’optimisme est palpable chez les partisans de Nelson Chamisa, leader de la Coalition des citoyens pour le changement (CCC), principal parti d’opposition.
Plus de 10.000 partisans de la CCC, dont beaucoup sont vêtus de jaune vif, ont rempli la place Robert Mugabe dans le centre de Harare lundi pour le dernier rassemblement de campagne de Chamisa, 45 ans, qui espère avoir de la chance cette fois-ci après avoir perdu de justesse face au président Emmerson Mnangagwa, 80 ans, lors des dernières élections contestées qui ont eu lieu en juillet 2018.
« Je voterai pour Chamisa parce qu’il est l’un de nous, les jeunes, et je pense qu’il est la bonne personne pour sortir le Zimbabwe de la situation actuelle où des millions de nos concitoyens sont partout dans la région (d’Afrique australe) pour faire toutes sortes de petits boulots », s’est enthousiasmé Ishmael Charema, 28 ans, qui dit être titulaire d’un diplôme en TIC, mais n’a pas réussi à trouver un emploi depuis l’obtention de son diplôme il y a plusieurs années.
Comme beaucoup d’autres sympathisants de la CCC, M. Charema considère M. Chamisa comme le proverbial Moïse envoyé pour les sauver des griffes de la ZANU PF de M. Mnangagwa, qui est au pouvoir depuis avril 1980.
« Nous ne pouvons pas continuer à être la cible de plaisanteries dans toute la région pendant que nos dirigeants jouent à la roulette russe, ou plutôt chinoise, avec notre avenir. L’heure du changement a sonné », ajoute-t-il.
Mnangagwa a été accusé d’avoir cédé de vastes étendues de terres agricoles ou minières à des entreprises chinoises. Au même moment, certains hommes d’affaires asiatiques auraient expulsé des familles locales de leurs terres agricoles dans leur quête de minerais.
D’autre part, la lassitude des électeurs se fait sentir, certains d’entre eux considérant le plébiscite comme un exercice futile.
« Je ne sais pas si j’irai voter demain, car rien ne changera. C’est un secret de polichinelle que ces élections sont déjà truquées, il n’est donc pas nécessaire de perdre mon temps en aidant le pouvoir en place à justifier son affirmation selon laquelle il a organisé un scrutin crédible », soutient Omega Nyangoni, un habitant de Harare.
Le défi de la transparence
Les précédentes élections zimbabwéennes ont été entachées d’allégations de fraude, les scrutins contestés de 2008 et de 2018 rappelant de mauvais souvenirs à de nombreux Zimbabwéens.
En 2008, la proclamation des résultats du scrutin présidentiel de mars a été retardée de plus de 30 jours. Ce long retard serait dû à des manœuvres visant à truquer les résultats après que Morgan Tsvangirai, alors principal dirigeant de l’opposition, eut battu Mugabe avec une large marge.
Les résultats définitifs, qui ont finalement été annoncés au début du mois de mai, ont montré que Tsvangirai avait remporté les élections de justesse et qu’il était donc nécessaire d’organiser un nouveau scrutin puisque ni le leader de l’opposition ni Mugabe n’avaient recueilli plus de 50% des voix.
Les électeurs ont été victimes de représailles sanglantes avant le nouveau scrutin, et des dizaines de personnes ont été tuées ou mutilées.
Les résultats de l’élection présidentielle de 2018 ont également été entachés d’allégations de truquage, Chamisa attaquant Mnangagwa et la Commission électorale du Zimbabwe en justice à ce sujet.
Le chef de l’opposition a affirmé que les résultats recueillis par son équipe dans les bureaux de vote ne correspondaient pas à ceux finalement annoncés par la ZEC. Le tribunal a toutefois rejeté le recours pour absence de preuves.
Les préoccupations des Zimbabwéens
L’état de l’économie sera probablement au cœur des préoccupations des électeurs qui décideront pour qui voter mercredi.
Le pays reste confronté à d’importants défis économiques, notamment des taux de chômage élevés, une forte inflation et une dévaluation de la monnaie.
Les chiffres publiés mardi par l’Agence nationale des statistiques du Zimbabwe montrent que l’inflation annuelle est passée de 101,3 % en juillet à 77,2%, bien qu’une monnaie instable continue de faire pression sur les prix.
Ces questions ont été au premier plan des promesses de campagne, Mnangagwa s’étant engagé à relancer l’économie et à améliorer le développement des infrastructures.
« Pour la première fois dans notre patrie, nous sommes en sécurité alimentaire. Nous avons mis en place des programmes agricoles mécanisés pour notre peuple. Nous mettons également en place des industries rurales dans chaque province. Nous continuons à construire notre pays », a déclaré M. Mnangagwa à ses partisans lors de son dernier meeting de campagne le week-end dernier.
La ZANU PF courtise les jeunes électeurs, Mnangagwa – qui a succédé à Mugabe lors d’un coup d’Etat militaire en novembre 2017 – promettant d’offrir des opportunités économiques aux jeunes dans des secteurs tels que l’agriculture et l’exploitation minière.
Chamisa, quant à lui, a promis de s’attaquer à la corruption et à la mauvaise gestion des ressources. Il a promis un changement de culture de gouvernance pour restaurer le Zimbabwe dans la famille des nations.
Alors que plus de 6,6 millions de Zimbabwéens s’apprêtent à voter pour un président, des membres de l’Assemblée nationale et des conseillers municipaux dans les 12.374 bureaux de vote disséminés dans le pays, le monde entier retient son souffle.
Cette élection apportera-t-elle le changement que beaucoup espèrent ? Ou s’agira-t-il d’un nouveau chapitre d’une saga en cours ? Seul l’avenir le dira. Mais une chose est sûre : le 23 août sera un jour décisif pour le Zimbabwe.
JN/fss/ac/APA