La fuite du rapport sur la loi de finances 2025 et l’absence de financement pour le projet de Conseil constitutionnel risquent de compromettre encore davantage la crédibilité du pouvoir actuel aux yeux des citoyens et des observateurs internationaux.
La fuite sur internet du rapport concernant le projet de loi de finances (PLF) 2025 a suscité une onde de choc dans le paysage politique et juridique tunisien. En plus de dévoiler des informations détaillées sur les budgets alloués aux ministères et institutions publiques, ce document met en lumière un aspect crucial : l’absence de financement pour la création de la cour constitutionnelle, une institution pourtant essentielle à la stabilité démocratique et prévue par la nouvelle Constitution adoptée après le référendum du 25 juillet 2022.
Il est frappant de constater que, parmi les différents postes budgétaires prévus dans le rapport, celui consacré à la cour constitutionnelle reste désespérément vide. Le tableau, que l’on retrouve à la page 72 du rapport, affiche des chiffres pour toutes les institutions et ministères, à l’exception de cette cour, qui devait pourtant incarner l’une des pierres angulaires de la transition démocratique en Tunisie. Ni le ministère des Finances ni la Présidence n’ont jusqu’à présent démenti l’authenticité du document, alimentant ainsi les interrogations et les critiques au sein de la société civile et parmi les opposants politiques.
La cour constitutionnelle avait été promise comme un gage de séparation des pouvoirs et de régulation des pratiques politiques dans le cadre d’une révision constitutionnelle controversée, entérinée après le coup de force de Kais Saied, en 2021, contre les institutions démocratiques du pays. L’absence de cette cour constitue donc un nouvel épisode dans le processus de consolidation du pouvoir autour du président Saied, un pouvoir qui fait de plus en plus l’objet de critiques virulentes.
Le président Saied, qui a concentré une grande partie de l’autorité exécutive et législative en ses mains depuis la mise en place de son régime autoritaire, s’expose à des accusations de dérive autoritaire. L’absence de financement pour une institution prévue par la Constitution semble s’inscrire dans cette logique de centralisation excessive du pouvoir, où les contre-pouvoirs démocratiques sont soit supprimés, soit ignorés. Ce faisant, Saied fragilise la cohésion du système institutionnel tunisien et fait un pied-de-nez à toutes celles et ceux qui défendent une séparation nette et effective des pouvoirs.
Les opposants politiques, en particulier ceux qui ont contesté la révision constitutionnelle de 2022, pointent du doigt l’attitude du président comme une volonté délibérée de maintenir un pouvoir absolu sans contrôle, et par extension, de priver la population tunisienne d’une instance chargée de veiller au respect des principes fondamentaux de la Constitution.
Plusieurs organisations non gouvernementales ont dénoncé l’absence d’une cour constitutionnelle fonctionnelle comme une atteinte à la stabilité politique du pays, et à la crédibilité de la démocratie tunisienne. Pour ces organisations, il est impératif que les engagements pris lors de la révision constitutionnelle soient respectés pour éviter que la Tunisie ne retombe dans des dérives autoritaires similaires à celles qui ont secoué la région après le Printemps arabe.
La question de la cour constitutionnelle se greffe sur un ensemble de préoccupations croissantes concernant la gouvernance du président Saied. Sa gestion des affaires publiques est de plus en plus critiquée, non seulement par l’opposition, mais aussi par des segments de la population qui se sentent délaissés par des réformes jugées inefficaces. L’instabilité économique, la crise sociale, et le mécontentement face à l’incapacité de Saied à mettre en place des réformes véritables pèsent lourdement sur son image.
Les partisans de Kais Saied, quant à eux, minimisent ces critiques, arguant que la création de la cour constitutionnelle n’est qu’une question technique et que la priorité doit être donnée à d’autres réformes urgentes, notamment dans le domaine économique. Cependant, cette défense ne parvient pas à masquer l’évidence : l’absence de cette institution centrale constitue un échec dans le processus de consolidation d’un État de droit en Tunisie.
MK/Sf/ac/AP