Benjamin des 19 candidats à la présidentielle du 24 mars prochain, le journaliste Papa Djibril Fall propose des solutions de gouvernance basées sur sept objectifs stratégiques.
Diplômé en journalisme à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad), Papa Djibril Fall, 38 ans, obtient une ascension politique rapide après quelques années de pratique journalistique. Presque deux ans après le lancement de son mouvement « Les Serviteurs », l’ancien reporter de la télévision nationale, devenu député en juillet 2022, ambitionne d’être le cinquième président de la République du Sénégal avec la ferme volonté de « servir », à l’image de la dénomination de son programme.
Ancien chroniqueur dans une émission de grande audience à la Télévision Futurs Médias (TFM, privée), M. Fall, fort de la pertinence de ses analyses sur l’actualité sociopolitique, a réussi à se faire adopter par un large public, surtout par des jeunes de sa génération qui aspirent à un nouveau mode de gestion des affaires publiques. D’ailleurs, dans le projet de société où le président de la coalition PDF Président 2024 propose de s’attaquer à « sept grands domaines de notre vie commune », le bloc compris entre « jeunesse, éducation, emploi et entreprenariat » constitue le premier axe.
Le député de la quatorzième législature, qui a réussi après quelques difficultés à passer les épreuves du parrainage citoyen pour être candidat à la présidentielle, promet de réviser les curricula scolaires à partir du cycle primaire. Le but est de « redonner une fierté nationale aux élèves » en accordant une place de choix à un récit national autour des grandes figures historiques du Sénégal. Il veillera ainsi « au respect scrupuleux du quantum horaire » des 900 heures de cours dans les écoles primaires, 1500 heures au cycle moyen et 2000 heures au cycle secondaire.
Formation professionnelle dès le collège
Alors que plusieurs diplômés de l’université ne sont souvent qualifiés à aucun emploi, Papa Djibril Fall promet de remédier à cette faiblesse du système éducatif en mettant en place un choix de formation professionnelle dès la classe de quatrième pour tous les collégiens avec un focus sur les métiers du pétrole et du gaz, sachant que le pays s’apprête à devenir un producteur d’hydrocarbures.
Dans les domaines de la santé, du social, du genre et de l’environnement, M. Fall s’engage à « réduire la fracture sanitaire » entre la capitale Dakar et les autres régions à travers le programme « une région – un hôpital de niveau 3 ». Il procédera dans cet ordre au « recrutement massif » de jeunes médecins et personnels de santé pour lutter contre les déserts médicaux. Face aux maladies cardiovasculaires (diabète, insuffisance rénale et hypertension artérielle) qui éprouvent une bonne partie de la population, il promet, entre autres solutions, de soutenir la recherche en « finançant des thèses de doctorat d’Etat » alors qu’il « privilégiera » la prise en charge de la santé de la mère et de l’enfant.
Sous le magistère du président sortant Macky Sall, qui ne se représente pas pour ce scrutin après douze ans à la tête du pays, le fonctionnement de la justice a été fortement critiqué. Pour éviter ces reproches s’il est élu, Papa Djibril Fall mettra fin à la présence du Président de la République au sein du Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Il s’engage à « limiter les pouvoirs du Procureur » par la mise en place d’un Juge des Libertés et de la Détention (JLD) chargé d’étudier l’opportunité du placement sous mandat de dépôt et des incarcérations. Et pour raccourcir le délai des traitements des dossiers judiciaires, il recrutera « massivement des magistrats et des auxiliaires de la justice ».
Réformes institutionnelles
Pour une bonne exécution de l’Etat de droit, le leader des Serviteurs indique qu’il permettra la « saisine directe » du Parquet National Financier par les Présidents des juridictions de lutte contre la corruption (OFNAC, Cour des comptes). L’application « rigoureuse » des dispositions pertinentes de la réforme du budget programme dans l’administration centrale et les ministères et la mise en pratique des principes de la gestion axée sur les résultats à l’administration seront une priorité pour lui.
Pape D. Fall s’engage à organiser un appel à candidatures « pour les 50 postes sensibles de la haute administration » ouvert à tous les talents sénégalais d’ici et de la diaspora tout en signant des contrats de performance sur cinq ans avec les 100 plus grandes entreprises du secteur parapublic, avec un tableau de bord chiffré d’indicateurs de résultats. Dans la même veine, il appliquera « une nouvelle doctrine de gouvernance du secteur parapublic » en privilégiant la détention optimale des parts sociales détenues par l’Etat (SONATEL, SEN’EAU).
Sur l’économie, il promet de « renégocier de manière optimale » les contrats sur les ressources extractives (pétrole, gaz et mines) et « généraliser l’esprit de la loi sur le contenu local à l’exploitation des ressources ». Alors que la relance du chemin de fer est engagée par le chef de l’Etat sortant, Papa Djibril Fall promet de la situer « à travers les deux axes prioritaires sur cinq ans : Dakar-Bamako Dakar-Saint Louis ». Il fera ainsi de la région de Tambacounda (est) « un hub ferroviaire et logistique » en construisant les lignes Tamba- Kédougou, Tamba-Ziguinchor et Tamba-Matam, sans omettre de « désenclaver les terroirs de l’intérieur » en construisant des routes radiales à côté des autoroutes pour relier les zones de productions aux zones de consommation.
La souveraineté alimentaire d’ici 5 ans
Pour atteindre la souveraineté alimentaire, il entend « réduire de 50% la facture d’importations du riz dans un délai de cinq ans ». A la place, il organisera la chaîne de valeurs des produits horticoles pour une disponibilité à prix constant partout au Sénégal des légumes de base sur toute l’année. Après la définition d’une stratégie nationale sur le lait local, il s’engage à « développer le consommer local adossé à un LABEL MADE IN SENEGAL » et « renégocier et limiter drastiquement » l’octroi des licences de pêche aux navires étrangers dans le « respect strict » du repos biologique.
S’agissant de la souveraineté énergétique, le candidat promet d’affecter au moins 50% des ressources du pétrole et du gaz à la réduction du coût de l’électricité au niveau national. Dans la même logique, il accélérera de manière approfondie les projets de Gaz To Power pour utiliser le gaz à l’échelle nationale comme source d’énergie prioritaire. Son objectif est d’accélérer et achever l’électrification intégrale du Sénégal en cinq ans, soit la durée du mandat présidentiel.
Dans la vision politique de Papa Djibril Fall, la souveraineté numérique occupe une importance importante également. S’il est élu, il entend finaliser et livrer le Parc des Technologies Nouvelles (PTN) de Diamniadio et « porter la contribution du secteur numérique à 10% du PIB » en cinq ans. Outre ses mécanismes pour opérationnaliser les dispositifs de la loi sur les start-ups et digitaliser intégralement l’état civil au Sénégal, il promet de définir une stratégie nationale sur l’Intelligence Artificielle (IA), les cryptomonnaies et leurs applications.
Sport, sécurité, diplomatie…
Tout en s’engageant à développer la pratique du sport sur toute l’étendue du territoire national en privilégiant les disciplines olympiques pour les prochains Jeux olympiques de la jeunesse (JOJ) de 2026 au Sénégal, il promet de « replacer le culte et le sacré au cœur des politiques publiques ». Dans ce cadre, il amorcera une « réflexion stratégique sur le statut des villes religieuses, spécifiquement Touba (centre) », bastion de la communauté soufie mouride.
Sur les forces de défense et de sécurité, il promet de « changer la doctrine » de maintien de l’ordre de la Police Nationale et de la Gendarmerie en s’inspirant des techniques anglo-saxonnes et allemandes qui consistent à « contenir les manifestations et non les réprimer violemment ». Son objectif est de compter « 0 mort et 0 blessé lors des manifestations » alors que près de 90 personnes ont perdu la vie dans le cadre de manifestations politiques entre 2021 et 2024 dans le pays.
Face aux nouvelles menaces sur les frontières sénégalaises, Papa Djibril Fall propose de « quadriller et contrôler militairement toute l’étendue du territoire sénégalais, notamment la Casamance et en finir avec la rébellion du MFDC », dans une logique de « continuer la montée en puissance d’une Armée professionnelle et aguerrie ».
Dans le cadre des relations internationales, M. Fall impulsera une « orientation diplomatique autour de l’économie bleue (focus sur l’eau, notamment sa maîtrise et sa disponibilité) ». Il s’engage à « diversifier » également les partenaires du Sénégal en vue d’un « rapprochement avec les BRICS », un groupe de pays émergents (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) qui s’est élargi récemment avec l’adhésion de l’Arabie saoudite, l’Égypte, les Émirats arabes unis, l’Éthiopie et l’Iran.
Renforcer les institutions communautaires
Lorsque le Burkina Faso, le Mali et le Niger, trois pays de la région dirigés par des juntes militaires, décident de quitter la CEDEAO, Pape Djibril Fall s’engage lui, s’il est élu, à « renforcer » cette institution communautaire de même que l’UEMOA, bras économique de cette union régionale. Il en profitera pour « réaffirmer l’opposition radicale du Sénégal » à la prolifération des coups d’Etat militaires et engager la lutte contre ce fléau.
Outre la participation active au processus de création de la monnaie commune ECO de la CEDEAO, la promotion de la navigabilité du fleuve Sénégal (Sénégal/Mauritanie) et la réaffirmation de la position de neutralité pragmatique du pays dans la géopolitique mondiale (ni avec l’hégémonie occidentale ni avec l’impérialisme russe ou chinois) dans une logique de « penser global en agissant localement » constitueront également des pans essentiels de la gouvernance diplomatique du plus jeune des dix-neuf candidats au scrutin de dimanche prochain.
ODL/ac/APA