Comme d’habitude, la fin du carême rime au Sénégal avec la préparation par les chrétiens du «ngalax», une bouillie de mil mélangée à une sauce d’arachide et de pain de singe, dont une bonne partie est distribuée aux parents et voisins musulmans.
Fruit d’une longue tradition, ce bel exemple de civilité entre fidèles chrétiens et musulmans s’est renforcé au fil des ans, jusqu’à avoir les allures d’une règle de bon voisinage à laquelle on ne saurait se dérober. Ainsi, les musulmans qui salivent à l’idée de recevoir des quantités de «ngalax» rendront obligatoirement la pareille à leurs voisins chrétiens en les régalant de viande de mouton et de poulet, à l’occasion de la Korité et de la Tabaski.
Durant ce long week-end pascal, c’est au tour des chrétiens de se lancer dans « ces restos du cœur » version sénégalaise. Et c’est avec beaucoup de joie que tous ceux rencontrés par APA s’en acquittent, à l’image d’Emma Gomis.
Pour régaler sa famille et ses amis et voisins musulmans, cette mère de famille a acheté un sac de sucre de cinquante kilogrammes, un sac de pain de singe de cinquante kilogrammes, vingt-sept kilogrammes de mil et cinquante kilogrammes de patte d’arachide. Avec de telles provisions, Emma va obtenir six bassines de «ngalax», une quantité légèrement inférieure aux sept à neuf bassines qu’elle avait l’habitude de confectionner.
Le renchérissement des coûts des ingrédients est passé par là, confie la mère de famille, somme toute consciente que l’essentiel est dans l’élan de partage.
S’inscrivant dans la même philosophie, Micheline Thiam, rencontrée à la sortie de la messe du jeudi à la paroisse Saint-Paul de Grand-Yoff, ne compte pour rien au monde rater « ces moments de grâces et de partage entre les communautés religieuses » que constituent la préparation et la distribution du «ngalax»
Plus chanceuse qu’Emma, Micheline dit compter sur des voisins musulmans dont la solidarité va jusqu’à contribuer aux coûteuses dépenses de son « ngalax». « Pour cette année, confie-t-elle dans un sourire, je n’ai pas acheté de pâte d’arachide, encore moins de pain de singe, des amis musulmans me les ont offerts ».
Chez la famille Tendeng à la Sicap Liberté 4, les quatre bassines de «ngalax» sont de rigueur à chaque fin de carême, révèle Jean-Philippe, ajoutant qu’il s’agit là d’une tradition héritée des grands-parents.
Ces derniers ont aussi légué à leurs descendants le partage avec « nos frères musulmans », affirme Jean-Philippe. Agé de 36 ans, cet homme a la particularité de s’occuper lui-même de la préparation du «ngalax», au motif que les femmes ont la mauvaise manie d’y mettre « des ingrédients qui ne facilitent pas la digestion et empêchent une longue conservation» du mets.
Très à cheval sur la préparation du «ngalax » familial, Jean-Philippe dit ne faire appel aux femmes que durant la distribution du mets aux « frères musulmans ».
Appréciant largement cet esprit de partage, le Frère Simon Emmanuel Mar Séne de la Paroisse de Saint Paul de Grand-Yoff, n’hésite pas à parler d’«une pratique exclusive » au Sénégal.
Tout en louant la multiplication des civilités entre les deux communautés chrétiennes et musulmanes, il n’invite pas moins ses coreligionnaires à se rendre à la messe pour le chemin de croix du vendredi avant de se lancer à fond dans la distribution du « ngalax ». Celle-ci doit se faire «bien après le temps de la passion », a-t-il précisé.
Souhaitons que cet appel soit entendu par les acteurs de l’incessant ballet de récipients dégoulinants de «ngalax», convoyés d’une maison à une autre, voire d’un quartier à un autre.
OKF/cat/APA