La Casamance est isolée en grande partie du nord du Sénégal par le territoire gambien.
Environ 200 voyageurs ont repris avec allégresse le bateau de nuit entre Dakar et la Casamance (sud), après des mois d’arrêt durement ressenti par la population à la suite de troubles dans le territoire enclavé.
Pour la première fois depuis juin 2023, 233 passagers montés à bord du ferry Aline Sitoé Diatta la veille dans la capitale ont débarqué tranquillement mercredi en milieu de journée sous le soleil et dans les effluences portuaires à Ziguinchor, à quelques centaines de kilomètres au sud, après une nuit de traversée paisible le long des côtes atlantiques et des mangroves, puis des rives du fleuve Casamance sous l’escorte d’un bâtiment militaire.
«On avait vraiment été privé de notre liberté, et voilà que nous avons repris notre liberté», se réjouit Louis Bakourine, un chauffeur de 52 ans sur le quai tandis que des chariots de manutention déchargent du ferry une cinquantaine de tonnes de fret. Pour Aliou Badara Touré aussi «ça représente beaucoup de choses»: ce commerçant de 41 ans avait du mal à écouler ses marchandises par la route.
«On est très très content parce qu’on a beaucoup souffert durant neuf mois», disait mardi soir Astou Sané, infirmière. «On voyageait par la route, avec (tous) les travaux. Quand tu arrives, tu es grippée, tu es fatiguée», se rappelait-elle à l’embarcadère de Dakar avant que l’Aline Sitoé Diatta ne lève l’ancre après la tombée de la nuit en faisant retentir sa corne de brume.
Le navire n’a pas fait le plein de ses 484 passagers parce que le préavis de reprise a été court, dit le chef de la gare maritime Oumar Samb. Mais un certain nombre de personnes ont sauté sur l’aubaine pour rentrer en Casamance célébrer, après une nuit sur un simple siège ou en cabine, la grande fête de la Korité, nom local donné à l’Aïd al-Fitr marquant la fin du mois saint musulman du ramadan. Les passagers ont rompu le jeûne à bord mardi soir.
Avec des billets à partir de 5.000 francs CFA (7,6 euros), «c’est moins coûteux», se réjouit Alain Théophile Sané, chercheur en biologie médicale. Lui a pris une cabine. «On peut dormir pendant le voyage, on arrive reposé, tout frais», alors qu’avec la route, «on arrive épuisé».
Les autorités avaient suspendu en juin 2023 la liaison assurée par les trois bateaux de la compagnie Cosama (Consortium sénégalais d’activités maritimes) qui transportent chaque semaine depuis des années des centaines de voyageurs dans les deux sens.
Elles n’ont fourni aucune véritable explication. La mesure a été prise dans un contexte d’agitation meurtrière à laquelle Ziguinchor était en proie comme Dakar et d’autres villes après la condamnation de l’opposant politique Ousmane Sonko dans une affaire de mœurs.
L’arrêt de la desserte a été sévèrement éprouvé en Casamance, région fertile mais enclavée où un fort particularisme ainsi que la popularité de M. Sonko à Ziguinchor ont nourri le soupçon quant aux motivations de l’arrêt de la desserte.
Les navires du Cosama assurent au nom du service public et de la continuité territoriale un lien humain et économique important en transbordant des commerçants, des touristes ou des étudiants, ainsi que du fret, de fruits ou de poissons de Ziguinchor vers Dakar, d’électronique par exemple en sens inverse.
Mangue et noix de cajou
La Casamance est isolée en grande partie du nord du Sénégal par le territoire gambien. L’avion est hors de prix pour beaucoup. La route est longue et pénible.
Le chef d’une entreprise de transformation de produits agricoles, Xavier Diatta, avait lancé en octobre une pétition qui a reçu plus de 5.000 signatures.
Elle dénonçait l’impact de l’arrêt de la ligne sur l’emploi et les revenus de milliers de familles et sur le prix des produits acheminés vers la Casamance.
M. Diatta expliquait qu’une grande partie de la production de mangues avait pourri sur place et que les producteurs avaient du mal à écouler le poisson et la noix de cajou.
Le secteur, qui fait vivre beaucoup de monde, a sévèrement accusé le coup, a souligné auprès de l’AFP un professionnel du tourisme sous couvert de l’anonymat.
«On est resté très longtemps complètement coupé d’une autre partie du pays. On nous a mis sous embargo», disait mardi sur l’embarcardère Pape Samba Cissé, un enseignant. «Vraiment, c’est un ouf de soulagement pour tous les habitants de la Casamance».
Le Sénégal garde en mémoire le souvenir du terrible naufrage du ferry Le Joola qui a sombré la nuit du 26 septembre 2002 après son départ de Ziguinchor. Il y avait eu 1.863 morts et disparus selon un bilan officiel, alors que la capacité du navire était en principe limitée à 536 passagers.
AFP