Dr Abdou Guèye, environnementaliste et spécialiste de la gouvernance des industries extractives (pétrole et gaz), analyse les risques environnementaux et sociaux potentiels de l’exploitation offshore de ces ressources.
Quels sont les risques de l’exploitation offshore du pétrole et du gaz sur l’écosystème marin ?
il n’existe pas de risque zéro, particulièrement, en ce qui concerne l’exploitation pétrolière et gazière. Cette dernière est un processus. Elle commence par des activités sismiques, suivie d’activités de forage, puis de développement à travers la mise en place des installations. Mais, nous pouvons retenir que dans la phase amont, la production constitue la phase la plus longue. Quant au démantèlement, sa durée varie de 2 à 5 ans pour revenir à l’état zéro. L’exploitation d’un gisement peut durer de 15 à 30 ans si le gisement est rentable
Chaque phase a des impacts spécifiques sur l’écosystème marin, notamment sur la biodiversité marine, caractérisée par la diversité des espèces, écosystémiques et génétiques. Ces impacts peuvent affecter également la pêche. Actuellement, l’espace maritime sénégalais héberge deux activités macroéconomiques à savoir la pêche et les hydrocarbures. L’enjeu est donc de trouver comment assurer la cohabitation entre ces deux activités pour éviter de compromettre les intérêts des communautés de pêche.
Des accidents de plateforme ont été observés, affectant non seulement la biodiversité marine, mais aussi les activités de pêche. Pour le Sénégal, aucun cas d’accident majeur n’a encore été enregistré ou noté, mais il faut s’y attendre, car, je le répète, il n’existe pas de risque zéro.
Il est donc possible qu’un cas de marée noire se produise au niveau du gisement de Sangomar, bien que cela ne puisse être confirmé. Une marée noire entraîne souvent une perte de ressources et de produits, ce qui n’est souhaitable ni pour l’entreprise ni pour l’État. Il est donc essentiel de tout mettre en œuvre pour garantir la sécurité des activités pétrolières et gazières.
Si le Sénégal fait des efforts en matière de réglementation, de contrôle et d’exigence, il est possible d’éviter de subir les mêmes conséquences que dans d’autres pays comme le Nigéria ou le Tchad. Il est donc crucial de travailler à la conservation des possibilités offertes par ces deux secteurs, à savoir la pêche et l’industrie pétrolière.
Quels peuvent être ces impacts environnementaux ?
Les impacts environnementaux peuvent être liés à la pollution marine et à la disparition des ressources stratégiques pour le bien-être des populations. En effet, les déversements accidentels peuvent contaminer l’écosystème marin et côtier, qui comprend la flore et la faune. Cela est particulièrement important pour l’industrie de la pêche, car une pollution peut faciliter la migration de certaines espèces commerciales, notamment les poissons. Il est donc essentiel de tout mettre en œuvre pour éviter les dégâts environnementaux.
L’industrie pétrolière peut entrainer moins de dégâts si des mesures préventives sont prises pour minimiser les impacts environnementaux. Les plateformes pétrolières, qui sont des équipements essentiels dans cette industrie, n’ont pas d’impact significatif en raison de leur taille contrôlée. Dans le cadre réglementaire, ces installations doivent être protégées, avec une distance de sécurité variant entre 500 mètres à 1 kilomètre. Par rapport à l’étendue de l’environnement marin, cette distance est insignifiante.
Cependant, ce ne sont pas les plateformes elles-mêmes qui causent des dommages, mais plutôt les pratiques industrielles. Lors de l’extraction du produit, le premier traitement sur la plateforme sépare le produit (pétrole brut ou gaz naturel) des impuretés. Ces impuretés peuvent générer des déchets qui, s’ils ne sont pas correctement contrôlés et sont rejetés en mer, peuvent contaminer l’eau et les espèces marines.
Il existe un cadre réglementaire qui interdit le rejet de ces déchets toxiques et potentiellement dangereux dans l’environnement marin. Le défi est donc d’assurer le contrôle de ces pratiques tout en respectant le cadre réglementaire, afin de ne pas permettre aux opérateurs de rejeter ces déchets à bord comme ils veulent.
Les pêcheurs se plaignent déjà de la rareté de la ressource. Comment l’exploitation offshore du pétrole et du gaz peut-t-elle affecter les activités de pêche et les moyens de subsistance des communautés côtières ?
Il a été constaté que les poissons deviennent de plus en plus rares. Cette rareté peut être liée à divers facteurs tels que le changement climatique, la surexploitation ou la pêche non réglementée et non déclarée (INN, sigle anglais). L’industrie du pétrole et du gaz, vient accentuer cette situation en ce sens qu’elle occupe de l’espace dans le milieu marin, et réduit par conséquent les aires potentielles de pêche.
Les installations sous-marines situées à environ 150 km de la côte et à des profondeurs de 2800 mètres, comme c’est le cas à Saint-Louis, n’ont pas un impact significatif sur les activités de pêche, en particulier la pêche artisanale.
Cependant, il existe des lignes de conduite ou de raccordement et des points de stationnement à 40 km de la côte où sont installés les Unités flottantes de production, de stockage et de déchargement (FPSO, sigle anglais). Ces FPSO doivent être protégés par des périmètres de sécurité. Il existe également une installation située à 10 km de la côte, qui est une zone de pêche potentielle appelée ‘Diatara’. Cette zone est en convergence avec l’installation de l’Unité flottante de gaz naturel liquéfié (FLNG, sigle anglais) ce qui peut réduire les périmètres de pêche pour cette communauté. Même en l’absence de rejets ou de pollution, les équipements installés peuvent réduire les zones de pêche, ce qui peut affecter les pêcheurs par rapport à leurs activités.
En comparaison, le projet de Sangomar est situé à 90 km de la côte par rapport à Fatick et à 100 km de Dakar. Les installations se situent entre 700 et 1400 mètres de profondeur. Il est bien connu que les activités de pêche artisanales qui sont autorisées ne dépassent généralement pas les 200 mètres de profondeur, mais en cas de marée noire, cela peut affecter les écosystèmes du littoral à savoir les mangroves et les zones de nurseries etc.
Les installations situées à 700 mètres de profondeur peuvent affecter la pêche industrielle et semi-industrielle.
Dans ce cas, peut-on dire que les pêcheurs du Delta du Saloum peuvent être de potentielles victimes en cas de problème ?
Les impacts les plus importants surviennent en cas d’éruption de puits ou d’explosion de plateforme, ces types d’accident entraînent souvent un déversement incontrôlé au niveau de l’espace maritime. Ces déversements peuvent atteindre le littoral, où se trouvent généralement les zones de nurseries et les zones potentielles de pêche. Il est donc essentiel d’éviter les explosions de plateformes, les éruptions de puits et les chavirements de bateaux ou de citernes. Car, ils peuvent entraîner des marées noires.
Il est aussi important de distinguer deux choses : le rejet opérationnel et le déversement accidentel. Le rejet opérationnel concerne les eaux de production, les débris de forage et les boues de forage au niveau de la plateforme. Si ces déchets sont correctement gérés, les complications liées à la pollution peuvent être réduites. Cependant, les accidents et les déversements accidentels, souvent liés à des erreurs humaines, peuvent avoir un impact significatif sur l’écosystème et la pêche.
Quelles sont les mesures prises par le gouvernement et les compagnies pétrolières pour prévenir et réduire les risques de pollution marine, de dégradation des habitats et de perturbation des espèces ?
Pour tout projet, une étude d’impact environnemental et social doit être réalisée. Ces études sont effectuées à la fois en phase d’exploration et en phase d’exploitation. Avec la révision du nouveau code de l’environnement, ces études prennent désormais en compte la phase sismique et le démantèlement, car chaque phase a des impacts spécifiques.
Avec les connaissances déjà obtenues en Mauritanie, nous avons jugé pertinent que nous pourrions retrouver les mêmes sensibilités écologiques au Sénégal. Car, rien ne nous sépare, à part la délimitation des frontières qui distingue ces deux pays. Mais nous pouvons dire que nous pouvons faire mieux. N’oublions pas que les opérateurs ne sont pas des philanthropes. Ils sont là pour se faire de l’argent. Ils vont également essayer d’agir en fonction de leur stratégie.
Il revient donc à l’État de déterminer quels sont ses intérêts et à quel niveau il peut renforcer ses connaissances et ses mesures pour mieux défendre ses intérêts dans le contexte de l’exploitation des hydrocarbures offshore.
L’État ne devrait plus attendre les résultats des opérateurs pour élaborer sa stratégie de planification. Il doit avant tout protéger ses intérêts, en trouvant les moyens de mener des recherches supplémentaires et d’avoir un modèle type pour pouvoir exiger des opérateurs quel modèle ou quel plan adopter par rapport à l’écosystème.
Quel est le niveau de connaissance scientifique et technique du milieu marin sénégalais et comment le renforcer pour mieux préserver la biodiversité et le potentiel économique de la zone ?
Depuis les découvertes d’hydrocarbures de 2014, l’État a fait des efforts sur le plan institutionnel, politique et réglementaire. Cela a conduit la révision de la constitution en 2016, à la révision du nouveau code pétrolier en 2019 et du nouveau code de l’environnement en 2023. Cependant, malgré les nombreuses études réalisées par l’État, il existe des limites, notamment le manque d’informations sur les zones de découverte et les autres blocs situés en haute mer.
Des études d’impact sont actuellement menées, mais une grande partie de l’information est principalement maîtrisée par les opérateurs. Ces études sont réalisées dans le cadre de l’évaluation environnementale et sociale. L’État a également mis en place un autre outil important, l’évaluation environnementale stratégique, et peut élaborer un atlas environnemental pour cartographier les zones sensibles.
Cependant, il existe des limites, notamment en ce qui concerne la maîtrise des informations scientifiques sur les zones de plus de 1000 mètres de profondeur. Pour obtenir ces informations, il ne suffit pas de se concentrer uniquement sur les projets. Il est nécessaire de comprendre l’ensemble de l’écosystème, y compris les autres blocs situés dans ces zones.
L’État pourrait fournir des efforts supplémentaires avec des institutions de recherche comme le Centre de recherche océanographique de Dakar-Thiaroye (CRODT) pour obtenir des informations scientifiques sur ces blocs. Sur la base de ces informations, l’État pourrait accompagner les opérateurs dans leur développement et faciliter la prise en compte de la gestion durable des ressources, en particulier de la pêche, qu’elle soit industrielle ou artisanale.
Actuellement, le secteur extractif génère environ plus de 200 milliards, tandis que le secteur pétrolier ne produit pas encore plus de 30 milliards. Le secteur minier est donc celui qui apporte le plus de revenus à l’État. Par conséquent, il est important de prendre des mesures pour utiliser les ressources de ces deux secteurs afin de favoriser la durabilité car les exportations des ressources halieutiques apportent plus de 200 milliards aussi à l’Etat du Sénégal.
Aujourd’hui, l’Afrique compte 54 États, dont 19 pays producteurs de pétrole et de gaz. Le Sénégal pourrait être le 20e. Les politiques mises en place depuis l’ère des découvertes sont à saluer. Tout n’est pas parfait, mais nous avons une longueur d’avance par rapport aux autres pays africains. L’État est sur la bonne dynamique. Il suffit de renforcer la politique et de mettre plus l’accent sur le contrôle et les efforts de recherche scientifique pour mieux connaître le milieu marin. Ce qui permet de faciliter davantage la gestion durable des ressources offshore.
ARD/ac/APA