Cela fait plus d’un an qu’un accord d’échange controversé avec la république autoproclamée du Somaliland a failli donner à l’Ethiopie l’accès à un port sur la côte de la mer Rouge.
En échange d’un accès à la mer Rouge, l’accord envisagé par Addis-Abeba aurait permis la reconnaissance du Somaliland comme république souveraine par l’Éthiopie, une perspective qui a exacerbé les tensions avec la Somalie. En effet, cette dernière considère l’enclave comme faisant partie de son territoire et désapprouve toute tentative de la traiter comme une entité indépendante, en violation de son intégrité territoriale.
15 mois plus tard, l’échange de port contre reconnaissance a quasiment avorté et les lignes de front se sont tracées. Au cœur des tensions se trouvait la mer Rouge et sa place sur l’échiquier géopolitique opposant plusieurs pays de la Corne de l’Afrique aux ambitions maritimes de l’Éthiopie.
L’enjeu était crucial, avec la formation d’un réseau d’alliances entre les États riverains de la mer Rouge pour contrer la quête désespérée de l’Éthiopie, un pays enclavé, qui cherche à dominer la région et à donner un coup de pouce à son commerce mondial. La mer Rouge, d’une superficie de 438 000 km², est stratégique pour le commerce, la sécurité et les connexions avec le monde extérieur. L’Éthiopie, qui la convoite, se heurte aux intérêts de ses voisins côtiers, qui considèrent cette mer comme leur chasse gardée.
Le Yémen et l’Arabie saoudite se trouvent sur ses rives orientales, tandis que l’Égypte, le Soudan, l’Érythrée et Djibouti chevauchent ses frontières maritimes occidentales. La Somalie, via son territoire du Somaliland, revendique également une partie du littoral de la mer Rouge et se débat pour trouver une réponse face à l’agression passive de l’Éthiopie, qui cherche à sécuriser un port pour son commerce florissant.
Un nouvel ouvrage publié en mars 2025, intitulé Ethiopian’s Red Sea Politics: Corridors, Ports and Security In The Horn of Africa, du Dr Biruk Terrefe, interroge la nature de l’économie du développement dans cette région instable, où la poursuite agressive d’intérêts géopolitiques dicte les politiques étrangères. Cet ouvrage, fruit d’une recherche approfondie, explore la relation entre infrastructures et construction de l’État, et notamment la manière dont les grands systèmes énergétiques, de transport et de logistique ont façonné et sont façonnés par les ordres politiques et les souverainetés qui se chevauchent, particulièrement dans la Corne de l’Afrique.
Le Dr Terrefe, maître de conférences en politique africaine à l’Université de Bayreuth et chercheur associé au Centre d’études africaines de l’Université d’Oxford, raconte dans son introduction comment, en octobre 2023, le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed a prononcé devant le Parlement son discours « D’une goutte d’eau à la mer », visant à démanteler une conception générique de l’économie politique de la région.
L’ouvrage cite la doctrine d’Abiy Ahmed, selon laquelle « le pays enclavé le plus peuplé du monde ne devrait plus dépendre des accords bilatéraux et de la bonne volonté de ses voisins pour importer et exporter des marchandises. L’Éthiopie souhaite explicitement obtenir un accès direct à la mer ». Ce discours brosse un tableau d’un modèle alternatif, susceptible d’engendrer de graves répercussions politiques pour la région et présentant une vision plus large de la place de l’Éthiopie dans le monde du XXIe siècle.
Les derniers mois ont vu une intensification des offensives diplomatiques dans la Corne de l’Afrique, avec pour objectif ultime un accès illimité à la mer Rouge. L’Érythrée, l’Égypte, le Soudan et Djibouti ont trouvé un terrain d’entente pour repousser l’Éthiopie, qui est en passe de devenir un paria régional, bien que certaines nations soient prêtes à accepter sa quête d’un débouché sur la mer.
Le ministre érythréen des Affaires étrangères, Osman Saleh, a récemment visité le Caire pour s’entretenir avec le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi, ce qui illustre bien la perception des voisins de l’Éthiopie et leurs efforts pour contrecarrer ses ambitions. L’Érythrée et l’Égypte ont affirmé leur engagement à soutenir la Somalie, non seulement dans la lutte contre Al-Shabaab, mais aussi pour préserver l’unité et l’intégrité territoriale du pays.
La conclusion était claire : l’entente entre l’Érythrée et l’Égypte protégerait la mer Rouge et rejetterait l’implication d’un pays non riverain comme l’Éthiopie, pour qui l’accès à la mer est un impératif existentiel.
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