Un expert indépendant des Nations Unies s’est dit, jeudi à Genève, « profondément préoccupé » par la dissolution d’organisations de la société civile au Mali, et plus largement par des « restrictions croissantes » aux droits humains et aux libertés fondamentales.
Devant le Conseil des droits de l’homme de l’Onu, Alioune Tine, expert indépendant sur la situation des droits de l’homme au Mali s’est inquiété du « verrouillage sévère de l’espace civique et de la répression systématique des libertés d’expression et d’opinion, de presse, de réunion pacifique et d’association, ainsi que du développement préoccupant de l’autocensure », rapporte un communiqué reçu ce vendredi à APA.
« Je note, entre autres, avec préoccupation la dissolution depuis décembre 2023 de plusieurs organisations de la société civile par le Gouvernement du Mali », a affirmé M. Tine, qui présentait son dernier rapport en sa qualité d’Expert indépendant.
Augmentation des abus
Depuis décembre 2023, au moins quatre organisations ont été dissoutes, dont la Coordination des mouvements, associations et sympathisants de l’imam Mahmoud Dicko (CMAS) et l’Observatoire pour les élections et la bonne gouvernance au Mali.
Face à ces restrictions, l’expert exhorte les autorités maliennes à garantir le plein respect et la protection de la liberté d’expression et d’opinion, de presse, la liberté de réunion pacifique et la liberté d’association, conformément à la Constitution et aux lois du Mali.
D’une manière générale, Alioune Tine fait état d’une « détérioration continue » de la situation des droits humains et de la protection des civils. Selon des informations récentes, entre 2022 et 2023, les violations et atteintes aux droits humains ont augmenté de 85%. Dans le même temps, les abus et atteintes au droit à la vie ont augmenté de 27% ; et les cas de violences basées sur le genre documentés ont augmenté de 12%.
Par ailleurs, entre novembre et décembre 2023, le nombre d’écoles fermées pour cause d’insécurité/de crise humanitaire a augmenté de 2,59%. Cette situation prive près de 495.000 enfants de leur droit à l’éducation, « une véritable bombe sociale à l’horizon ».
La sécurité se dégrade
Au sujet de la situation sécuritaire, M. Tine a réitéré ses sérieuses préoccupations devant la « dégradation rapide et continue de la sécurité dans presque toutes les régions du Mali ». Ces zones « semblent échapper au contrôle des autorités maliennes ».
Les régions « deviennent de plus en plus des objets et espaces de confrontation des groupes extrémistes violents, qui luttent pour leur contrôle au grand dam des populations civiles, qui en sont les principales victimes, coincées entre le marteau et l’enclume », a dit M. Tine.
Bien que les groupes extrémistes violents aient continué d’être les auteurs présumés de la majorité des violations rapportées au Mali, l’expert s’est inquiété du « nombre élevé » et la « gravité des violations attribuées » aux Forces de défense et de sécurité maliennes.
« En plus violations mentionnées dans mon rapport, j’ai continué à recevoir des allégations concernant des violations des droits humains attribuées aux forces armées maliennes parfois accompagnées de personnel militaire étranger », a fait valoir M. Tine, regrettant l’impunité sur ces faits.
Les exactions des groupes djihadistes
Plus largement et en dépit des « efforts réels fournis par les autorités maliennes », la situation reste très préoccupante, avec des attaques contre les civils et contre les forces de défense et de sécurité malienne par les groupes extrémistes violents tels que le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM), l’État islamique au Sahel (EIS) et d’autres groupes similaires, ainsi que des individus armés non identifiés dont le mode opératoire s’apparente à celui des groupes extrémistes violents.
Depuis le mois de décembre 2023, plusieurs cas de meurtres, de blessures, y compris par engin explosif improvisé, et d’enlèvement à l’encontre de civils, ainsi que des pillages, des braquages, des extorsions ou destructions des biens, ont été rapportés lors des attaques menées par ces groupes dans plusieurs localités du nord, du centre et du sud du pays.
« Les attaques armées, y compris contre les Forces de défense et de sécurité maliennes, ont été rapportées récemment par les autorités maliennes, dans plusieurs régions du nord, du centre et du sud du pays notamment Ségou (le 6 mars 2024), Koulikoro (le 7 et 16 mars 2024), ainsi que Gao, Koutiala et Sikasso (le 16 mars 2024) », a souligné M. Tine.
Face à cette situation, il invite Bamako à prendre toutes les mesures appropriées dans les meilleurs délais pour prévenir les attaques contre les populations civiles et renforcer leur protection. Alioune Tine exhorte aussi la communauté internationale à renforcer de façon concrète son soutien au Mali dans ce domaine.
Bamako rétorque
Face à ce sombre décrit par l’expert indépendant onusien, Bamako a fustigé un « rapport essentiellement à charge sur la base d’informations non recoupées et exagérément alarmantes ».
Outre les avancées et succès enregistrés par les forces de défense sur les groupes armés, le ministre de la Justice, Mamoudou Kassogué estime que cette réalité tranche avec la situation sécuritaire préoccupante décrite dans le rapport.
Sur le fond, le rapport fait état d’un défi persistant de la lutte contre l’impunité. A ce sujet, M. Kassogué a rappelé la volonté de Bamako à y mettre fin, avec notamment « l’ouverture systématique d’enquête pour chaque abus grave rapporté aux autorités compétentes ».
S’agissant des réformes politiques et institutionnelles, le Garde des sceaux malien est revenu sur « l’organisation réussie » du référendum constitutionnel du 18 juin 2023 et de la promulgation de la nouvelle constitution 22 juillet 2023. « Toute chose qui participe de la volonté des plus hautes autorités pour un retour à l’ordre constitutionnel », a conclu le ministre de la Justice du Mali.
TE/ac/APA