Ce mardi 5 novembre, les Américains votent pour désigner leur prochain président après quatre ans de mandat de Joe Biden, et les enjeux pour l’Afrique varient considérablement selon le futur élu. Dans un entretien, le Dr Alioune Aboutalib Lô, chercheur au Centre AKEM d’Istanbul, décrypte les impacts potentiels d’une victoire de Kamala Harris ou de Donald Trump sur les relations entre les États-Unis et le continent africain. Entre continuité diplomatique, perspectives économiques et défis sécuritaires, les orientations possibles diffèrent profondément selon l’issue de cette élection.
Comment l’élection de Kamala Harris ou Donald Trump pourrait-elle influencer les relations diplomatiques entre les États-Unis et les pays africains ?
De façon générale, l’intérêt des États-Unis pour l’Afrique reste minime par rapport aux enjeux et aux attentes. Peu importe le choix des Américains, il ne devrait pas y avoir de grosse révolution dans la politique africaine des États-Unis, qui situent leurs priorités ailleurs depuis la fin de la guerre froide.
Cependant, on peut s’attendre à plus d’engagement de la part de la démocrate Kamala Harris, qui devrait rester dans la même lignée que Joe Biden. Lors de sa tournée en Afrique en mars 2023, notamment au Ghana, en Zambie et en Tanzanie, la vice-présidente américaine s’était dite « enthousiaste » concernant le futur de l’Afrique et la coopération américano-africaine.
Cela contraste avec Donald Trump, si l’on considère son premier mandat, durant lequel son intérêt politique pour l’Afrique était quasi inexistant, même s’il avait lancé en 2018 son initiative économique Prosper Africa pour renforcer les échanges avec le continent.
Quelles conséquences les résultats des élections américaines, qu’il s’agisse de Kamala Harris ou de Donald Trump, pourraient-ils avoir sur les politiques commerciales et d’investissement des États-Unis en Afrique ?
Le plus important sera l’AGOA dont le renouvellement devra être décidé en 2025. Il faudrait préciser que l’AGOA reste d’abord un outil de diplomatie économique coercitive (Economic Statecraft) puisque les pays africains qui ne s’alignent pas sur la vision américaine des droits de l’homme et de la démocratie peuvent en être retirés, comme ça a été le cas du Rwanda en 2018 (sous Trump) ou encore du Niger et de l’Ouganda en 2023. Cette politique devrait continuer.
S’agissant des investissements, le Sommet US-Africa de 2022 avait permis de restaurer la volonté américaine d’investir davantage en Afrique, avec notamment la promesse d’une manne financière de 55 milliards de dollars. Kamala Harris, qui avait annoncé aussi l’accompagnement de la digitalisation et de l’innovation en Afrique lors de sa tournée, devrait donc s’inscrire dans ce même registre.
Les Etats-Unis gardent un œil aussi sur l’expansion chinoise en Afrique et veulent notamment concurrencer Pékin dans ce secteur, avec des investissements dans des infrastructures stratégiques. On peut citer déjà le soutien américain au projet du Corridor de Lobito de l’Angola qui sera essentiel aussi pour le commerce des matières premières en Afrique australe.
Cependant, on peut s’attendre à la même stratégie d’endiguement de la Chine par les Etats-Unis en Afrique, avec Donald Trump. La concurrence avec la Chine sur le terrain économique étant une obsession chez le républicain, son initiative Prosper Africa, lancée pour promouvoir les investissements et le commerce avec l’Afrique, était notamment à mettre dans le cadre de cette concurrence avec la Chine et une réponse à son projet « des nouvelles routes de Soie (Belt and Road Initiative) ».
Comment Kamala Harris et Donald Trump abordent-ils les questions de sécurité en Afrique, et quel impact cela pourrait-il avoir sur la coopération américaine dans la lutte contre le terrorisme et la criminalité transnationale ?
Pour le moment, ce volet sécuritaire de la politique américaine en Afrique reste bien relégué au second plan dans la campagne américaine. Comme précisé plus haut, l’Afrique n’est pas forcément la question prioritaire actuellement dans cette phase électorale américaine.
Mais la lutte contre le terrorisme reste toujours d’une certaine importance pour Washington. Et dans cette perspective, les Etats-Unis ont spécialement des soucis à se faire notamment par rapport à leur présence militaire au Sahel et la concurrence de la Russie. Les troupes américaines ont été forcées de quitter le Niger où elles disposaient d’importantes bases militaires entre Niamey et Agadez. Aujourd’hui, l’enjeu est de rester dans la région. La Côte d’Ivoire et le Bénin pourraient accueillir ces troupes, mais dans un climat ouest-africain de plus en plus hostile à la présence militaire occidentale.
La Russie a surtout gagné en légitimité dans cette région avec désormais sa présence au Mali, au Niger et au Burkina Faso, via ses forces de l’African Corps qui est destiné à mettre les forces de Wagner sous l’aile du Kremlin. La nouvelle administration, qu’elle soit sous Trump ou Harris, devrait avoir des réponses géopolitiques face à cette nouvelle donne.
En quoi les priorités diplomatiques et économiques de Kamala Harris ou Donald Trump pourraient-elles façonner la coopération des États-Unis avec les pays africains en matière de développement, d’aide humanitaire et de gouvernance ?
De façon générale, Trump qui porte moins d’attention sur l’Afrique, devrait probablement être moins regardant sur certaines choses, notamment la gouvernance ou les droits de l’homme. Les républicains sont moins critiques sur ces questions aussi, même si Bush avait bouleversé cela.
Sur la question de l’aide humanitaire en revanche, Trump qui a une perception mercantiliste des relations internationales, avait souhaité couper plusieurs financements y étant destinés lors de son premier mandat. Un sujet qui pourrait revenir sur la table du Congrès et remettre en question certains projets en Afrique. Les investissements annoncés aussi lors du dernier Sommet US-Afrique pour accompagner le développement du continent, pourraient être revus par l’administration Trump s’il revient au pouvoir.
Cependant, là où certains africains pourraient préférer le républicain à Kamala Harris malgré tout, est sur la question des LGBTQ contraires à nos valeurs traditionnelles et religieuses. Kamala Harris qui se dit être une grande défenseuse de cette communauté, pourrait arrimer davantage l’aide et les investissements américains à la promotion ou décriminalisation de l’homosexualité dans les pays africains. Sur cette question, il y a une divergence civilisationnelle fondamentale entre Harris et plusieurs pays africains, qui n’existera pas avec Trump qui est plutôt conservateur et même anti-LGBTQ. Comme dans la tradition plus critique ou plus « paternaliste » des démocrates, Kamala Harris devrait être plus regardante sur les questions de démocratie et sur le respect des droits humains.
AC/Sf/APA