Les deux pays se sont rapprochés depuis l’arrivée au pouvoir de Bola Tinubu.
L’homme le plus riche de l’Afrique était à Cotonou mercredi dernier. Aliko Dangote a rencontré Patrice Talon pour un entretien qui a duré des heures mais rien n’a filtré de ces échanges. Le lendemain, les services de la présidence béninoise n’ont publié qu’un communiqué laconique de deux phrases pour annoncer le passage du richissime homme d’affaires nigérian à Cotonou.
Cette visite a beaucoup fait parler au Bénin parce que depuis son arrivée au pouvoir en 2016, le président béninois n’a pas eu la tâche facile avec les autorités de l’administration Buhari. Plusieurs estiment que c’est la phase d’apaisement qui s’amorce désormais entre Abuja et Cotonou.
Tinubu, le principal artisan du réchauffement des relations entre Abuja et Cotonou
Pour Marcel Zoumenou, directeur de publication du quotidien « La Nouvelle Tribune », la venue de Dangote à Cotonou est le signe que le nouveau président nigérian Bola Tinubu veut normaliser les relations entre son pays et le petit voisin béninois. Personne ne sait exactement de quoi Patrice Talon et Aliko Dangote ont discuté lors de leurs échanges pour le journaliste qui estime qu’il a certainement été question de voir comment l’homme d’affaires nigérian peut mener des activités au Bénin. M. Zoumenou rappelle que Dangote reprochait aux autorités béninoises de l’empêcher de développer ses affaires dans le pays. Le journaliste note qu’il voulait notamment étendre les activités de ses cimenteries au Bénin, il voulait également se servir des routes béninoises pour faire transiter ses produits vers le Togo et le Ghana. Il s’est fâché avec le gouvernement de Patrice Talon parce qu’il n’était pas d’accord avec les conditions de Cotonou.
Marcel Zounmenou rappelle qu’en plus de Dangote, Mike Adénouga, un autre milliardaire nigérian, promoteur de l’opérateur de téléphonie mobile Globacom a eu des problèmes avec le gouvernement de Talon, ce qui a conduit à la cessation de ses activités au Bénin. L’analyste estime que ces ennuis des hommes d’affaires nigérians avec les autorités béninoises ont conduit l’administration Buhari à décider de la fermeture des frontières nigérianes avec le Bénin en août 2019. En décembre 2020, il y a eu une réouverture partielle de ces voies terrestres entre les deux pays, mais les activités n’ont pas vraiment repris. Toutefois, après l’arrivée au pouvoir de Bola Tinubu en fin mai 2023, un vent de normalisation des relations semble souffler sur les deux pays.
Les deux présidents se sont rencontrés à plusieurs reprises pour tenter d’aplanir les divergences. D’abord, Patrice Talon était à l’investiture du nouveau président nigérian. Les deux personnalités se sont ensuite rencontrées à Paris en fin juin 2023 en marge du Sommet sur le Nouveau Pacte Mondial de Financement à Paris. Le 07 juillet, Talon a effectué une visite dite de courtoisie à Tinubu à Abuja. Deux jours plus tard, les deux chefs d’Etat ont encore eu l’occasion de se rencontrer lors du sommet de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) à Bissau. Pour Marcel Zoumenou, le président Bola Tinubu est le principal artisan du retour progressif à la normale qui s’observe entre Cotonou et Abuja. Il estime que c’est une bonne chose pour les économies des deux pays qui sont très liées.
L’un des signes concrets du rétablissement des relations entre les deux pays, la réouverture totale des frontières terrestres béninoises aux importations de véhicules et d’autres types de marchandises en provenance du Bénin et d’autres États de l’Afrique de l’ouest. C’est une décision du président Tinubu le 21 juin 2023. Cette mesure était en vigueur depuis la fermeture des frontières en août 2019.
Les ports du Nigéria étant très congestionnés, plusieurs opérateurs économiques nigérians utilisaient le port de Cotonou pour faire transiter leurs marchandises. Pour les importateurs de véhicules d’occasion au Bénin, le Nigéria était le principal marché d’écoulement avant la fermeture des frontières en 2019. L’administration Buhari reprochait aux autorités béninoises de laisser les produits de contrebande, envahir le marché nigérian.
Un retour à la normale qui va certainement soulager les économies des deux pays
Depuis des décennies, l’économie béninoise est liée au Nigéria. Pour l’illustrer, l’économiste Olivier Allochémé rappelle un adage très populaire à Cotonou qui dit que « lorsque le Nigéria tousse, le Bénin éternue ». Cependant, pour l’analyste Allochémé, le Bénin ne tire pas plus de profit de cette relation que son grand voisin. Il indique par exemple que l’économie de réexportation que Cotonou a développée pour profiter du marché nigérian est contrôlée par des opérateurs économiques nigérians. « On dira que le Bénin est dans la réexportation mais ceux qui font la réexportation, c’est en réalité des nigérians », développe Dr Allochémé. Il soutient que les opérateurs économiques nigérians ont beaucoup souffert de la fermeture des frontières parce qu’ils avaient beaucoup à gagner en faisant débarquer leurs marchandises dans le port de Cotonou pour les envoyer par la route au Nigéria. « Au lieu de perdre plusieurs semaines dans les ports du Nigéria souvent encombrés, ils préfèrent passer par le port de Cotonou et les acheminer par les frontières terrestres, ce qui est plus rentables pour eux parce que, compte tenu des accords de la Cédéao, ils ne payent pas de droits de douane », explique-t-il.
Le Dr Olivier Allochémé note aussi que lorsque les commerçants nigérians viennent au Bénin, c’est dans l’espoir d’acheter des devises, ce qui n’est pas facile chez eux. « Ils arrivent à échanger leurs Nairas contre le dollar et contre les Euros ce qui n’est pas facile chez eux parce que la circulation des devises est très contrôlée par la Banque Centrale du Nigéria. Par conséquent, sur ce volet des devises, le Bénin rend un énorme service aux opérateurs économiques nigérians », justifie-t-il. Pour l’économiste, les deux pays ont intérêt à renforcer leur coopération pour le bien de leurs économies.
RK/ac/APA
