En plus de la menace qu’elle constitue pour la sécurité d’un pays, la criminalité organisée limite les ressources d’un Etat à financer les systèmes de protection sociale et favoriser le développement économique.
La région du Sahel en Afrique est maintenue dans une crise « systémique » de plusieurs décennies, exacerbée par les groupes criminels organisés. Sur la paix, la sécurité, les droits de l’homme, la gouvernance, l’Etat de droit et le développement durable, les Etats ne parviennent pas encore à offrir totalement la stabilité et le développement à leurs populations, selon un nouveau rapport du Service de recherche et d’analyse des tendances (RAB) de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC).
« Globalement, la criminalité organisée transnationale a un impact négatif sur la stabilité et le développement au Sahel à un niveau systémique et constitue un obstacle majeur à la réalisation des Objectifs de développement durable (ODD). Les groupes criminels trouvent une attraction dans les communautés car ils exploitent les vulnérabilités structurelles de la région et les besoins non satisfaits de la population », indiquent les rapporteurs dans leur document de 44 pages transmis jeudi à APA, rappelant que les pays de la région ont connu une recrudescence de la criminalité organisée depuis les années 1990, avec une diversification et une augmentation des types, volumes et valeurs des produits illicites trafiqués.
La Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée définit le « groupe criminel organisé » comme une structure de trois personnes ou plus existant depuis un certain temps et agissant de concert dans le but de commettre un ou plusieurs crimes ou délits graves afin d’obtenir, directement ou indirectement, un avantage financier ou d’autres avantages matériels.
Le rapport, qui fait partie d’une évaluation de la menace de la criminalité transnationale organisée (TOCTA) sur le Sahel, est financé par la République allemande. Il vise à fournir une compréhension fondée sur des données probantes de ces impacts « afin d’éclairer les réponses possibles » des décideurs. Pour ce faire, il examine l’impact multiforme de six marchés illicites associés au crime organisé – à savoir le trafic de drogues, de carburant, d’or, d’armes à feu, de produits médicaux et le trafic de migrants – sur la stabilité.
Instrumentalisation des tensions
Les auteurs notent que le trafic d’armes à feu « soutient une proportion significative de la violence meurtrière dans la région » où des pays comme le Mali et le Burkina Faso continuent de lutter contre les groupes djihadistes encore présents sur leurs territoires. A un autre niveau, la concurrence pour le contrôle des sites miniers d’or a créé « de nombreux morts et beaucoup plus de personnes déplacées » au Tchad. Elle a également produit des « tensions intercommunautaires de longue date » au nord du Mali, notamment entre et parmi les groupes touaregs et arabes » qui veulent chacun exercer un contrôle sur les marchés illicites.
La précarisation des populations du Sahel est donc une aubaine pour les groupes criminels organisés. Leur modus operandi consiste au « maintien d’un climat de violence et de peur au détriment des efforts visant à réduire significativement les conflits, perturbant ainsi la cohésion sociale et la stabilité à long terme », précisent les chercheurs de l’ONUDC.
La criminalité organisée conduit à une violation permanente des droits humains parce qu’elle « exploite et exacerbe les vulnérabilités des individus au Sahel ». Ils peinent à accéder aux services de base et recourent à la justice par les individus et les communautés. Différentes formes de traite des personnes, telles que l’esclavage, l’exploitation sexuelle, le travail des enfants ou le travail forcé, y sont notées alors que les pratiques de contrebande peuvent « conduire les migrants à des contextes d’exploitation constituant de la traite », insistent-ils.
« On estime que les enfants constituent un tiers des travailleurs de l’extraction artisanale et à petite échelle de l’or (ASGM) à Kidal et Gao », deux villes du nord du Mali où les actions des groupes armés sont très élevées depuis plusieurs années, poursuivent les auteurs du rapport, soupçonnant une ingérence du crime organisé jusqu’au niveau des sphères étatiques, ce qui « érode la confiance dans les institutions étatiques et sape la légitimité de l’État ».
La corruption, un des modes d’emploi
« Les groupes criminels organisés opérant à travers le Sahel semblent avoir utilisé les revenus générés par les activités économiques illicites pour tenter de s’infiltrer dans les structures de l’État. Les rentes criminelles peuvent être tentantes pour certains individus au sein des institutions étatiques, favorisant l’expansion de mécanismes de protection étendus de la criminalité organisée transnationale », ont-ils soutenu, donnant en guise d’exemple « les pots-de-vin versés aux agents des forces de l’ordre à la frontière entre le Burkina Faso et le Bénin pour faciliter le trafic de carburant ».
Le montant illicite tourne autour de 350.000 à 700.000 francs CFA par camion, « ce qui est plus qu’un salaire mensuel pour les agents des forces de l’ordre de haut rang au Sahel », ont-ils analysé sur cette situation qui a des conséquences sérieuses sur les efforts des autorités à sortir leurs pays du sous-développement.
La criminalité organisée « réduit directement les ressources de l’État » alors que la contrebande de biens « prive les pays sahéliens de revenus fiscaux importants », limitant les ressources disponibles pour financer les systèmes de protection sociale et favoriser le développement économique.
« Au Burkina Faso, par exemple, une commission parlementaire a estimé que la fraude liée au trafic d’or représentait une perte fiscale de plus de 490 millions de dollars par an, ce qui représente plus que le budget alloué au secteur de la santé publique burkinabé en 2023 (294,5 milliards de francs CFA, soit environ 479 millions de dollars). Au Niger, la Haute Autorité de Lutte contre la Corruption et les Infractions Assimilées (HALCIA) a calculé que les allers-retours de carburant entre 2017 et 2018 représentaient une perte fiscale de plus de 15,8 millions de dollars », ont-ils illustré sans manquer de mesurer, malgré la tâche « difficile » en raison du manque de données, l’impact de la criminalité organisée sur l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes et des filles dans les pays sahéliens.
ODL/fs/ac/APA