Dr Mamadou Bodian, chercheur sénégalais et chargé de projet au Centre de recherche ouest-africain (Warc) de Dakar, explique dans cet entretien avec APA que le nouveau président des États-Unis va s’inspirer de son prédécesseur démocrate pour mener sa politique étrangère en Afrique.
Avec la victoire de Joe Biden sur Donald Trump, peut-on s’attendre à une nouvelle politique étrangère des États-Unis vis-à-vis de l’Afrique ?
Oui ! Je crois que Joe Biden va, dans une certaine mesure, s’inscrire dans la continuation de ses prédécesseurs, à l’exception bien évidemment de Trump qui n’avait pas de programme spécial pour l’Afrique, encore moins une politique orientée vers ce continent.
Comme vous le savez très bien, la priorité de Trump quand il est arrivé au pouvoir était de recentrer les choses autour de l’Amérique : « America first » (l’Amérique d’abord) comme il le dit ! Son objectif était de « rendre sa grandeur à l’Amérique ». Du coup, si vous regardez l’orientation diplomatique de Trump, il s’est plus ou moins retiré de toutes les grandes organisations internationales.
Il s’est retiré de l’Unesco qui cherche à instaurer la paix par la coopération internationale en matière d’éducation, de science et de culture. Trump avait menacé de réduire la contribution des Etats-Unis à l’Otan (Organisation du traité Atlantique-nord). Il s’est retiré de l’Accord de Paris (sur le climat) qui a été signé en 2015. En Afrique, du point de vue de la sécurité, il a retiré les troupes américaines qui étaient impliquées dans la recherche de la paix et la sécurité au Sahel. Par rapport à certains programmes qui étaient précédemment mis en place, nous avons vu que Trump ne leur a pas accordés beaucoup d’importance. Nombre d’entre eux ont été coupés parce que, pour lui, ils n’avaient aucune valeur ajoutée.
Nous pensons que l’arrivée de Biden au pouvoir va remettre en selle la diplomatie américaine, et raviver les relations entre l’Amérique et l’Afrique. Il y a des programmes qui étaient là et qui ont toujours continué, indépendamment du régime en place. L’Agoa (Loi sur la croissance et les opportunités en Afrique) par exemple qui est un accord commercial entre les Etats-Unis et l’Afrique. Malgré les restrictions de Trump, l’Agoa a toujours existé, même si beaucoup de pays africains n’ont pas pris avantage de cette politique qui leur permet d’exporter 6500 produits vers le marché américain. Mais ce sont des choses qu’il faudrait redynamiser et les pays africains doivent prendre avantage de cette opportunité.
L’autre élément, c’est surtout les instruments de la coopération entre les Etats-Unis et le reste du monde. L’USAID, qui est le bras de la coopération américaine, a toujours continué à fonctionner même si certains programmes phares pour l’Afrique ne l’ont pas été de manière optimale. Mais l’USAID a continué de renforcer les capacités de certains Etats africains sur les plans du développement économique, des infrastructures sanitaires mais aussi de l’éducation.
Par contre, ce qu’on peut observer sous Trump est qu’il n’y a pas de programme dédié, à l’image du programme de lutte contre le Sida du président Bush (son camarade et prédécesseur républicain). Ce dernier avait un programme pour l’accompagnement des pays africains à lutter contre cette maladie. Nous avons vu aussi que son successeur Obama (2009-2017) avait mis en place le programme de leadership YALI. L’objectif était de renforcer les capacités des jeunes africains. Il en a aidé beaucoup à acquérir un certain nombre de compétences (leadership économique, management, …). Jusqu’en 2016, ce programme a fonctionné à merveille. Mais l’arrivée de Trump a ralenti toutes ces initiatives.
Biden va, à mon avis, s’inscrire dans la continuité d’Obama puisqu’il est aussi l’hériter, en partie, de tout ce que celui-ci a fait. Il faut aussi se rappeler que Biden est un vétéran de la politique américaine. Il a fait 36 ans au Sénat et plus de 40 ans de carrière politique. Il connait les rouages de l’administration.
Il a été le vice-président d’Obama pendant huit ans. Aujourd’hui, en tant que président, il a une bonne maîtrise des dossiers. On peut s’attendre à leur reprise, et surtout s’impliquer davantage sur les questions de promotion de la démocratie parce que c’est une ligne phare de la politique américaine sous le règne des démocrates.
Comment accompagner les processus de démocratisation ? Bill Clinton (1993- 2001) était connu pour avoir replacé la promotion des valeurs démocratiques comme un élément pivot de sa politique étrangère. Obama s’était inscrit aussi dans cette lancée. Quand il est venu sur le continent pour la première fois (après son élection), il disait que « l’Afrique a besoin d’institutions fortes mais pas d’hommes forts ».
Avez-vous noté, ces dernières années, un changement de paradigme dans la politique extérieure étasunienne pour l’Afrique malgré la posture de Trump ?
Il y a eu des changements sans continuité. En vérité, ce n’est pas seulement l’Afrique qui n’a pas bénéficié d’un grand intérêt de la part de l’administration Trump, mais de nombreux pays du monde entier. Comme je vous l’ai dit, la super-priorité pour Trump est comment redynamiser l’économie américaine en résorbant le déficit commercial entre les Etats-Unis et le reste du monde. Les USA sont suffisamment autosuffisants parce qu’ils ont un marché intérieur énorme. Toute la production est destinée à la consommation du marché intérieur à 80% pratiquement. Ce qui veut dire que tout le monde vend aux Etats-Unis, mais ce qu’ils vendent au reste du monde est très minime.
L’ambition de Trump, à son arrivée au pouvoir, était de réduire le déficit commercial vis-à-vis de la Chine (qui fait des bénéfices en milliards de dollars sur le marché américain), mais aussi avec l’Europe et les pays voisins. L’autre super-priorité était comment ramener les entreprises américaines délocalisées en Chine et en Mexique pour permettre à l’économie intérieure de fleurir.
(…) Il disait d’ailleurs qu’il n’allait pas s’ingérer dans les affaires étrangères. Il a fait ramener ses troupes un peu partout dans le monde, y compris en Afghanistan. Le dernier deal qu’il a eu avec les Talibans visait le retrait progressif des troupes américaines tout en garantissant les conditions d’une paix durable dans cette partie du monde. Dans la perspective américaine, il faut tout faire pour éviter que les extrémistes utilisent les pays fragiles pour comploter contre les Etats-Unis et menacer la sécurité intérieure et les intérêts stratégiques de ce pays.
Les richesses naturelles de l’Afrique semblent avoir fait voler en éclats le concept de « zones d’influence ». Sur le terrain, les USA se battent-ils avec leurs alliés traditionnels ?
Je crois qu’il y aura un retour des Etats-Unis en Afrique. Obama l’avait déjà fait. Pour lui, la relation entre les USA et l’Afrique doit être fondé sur le partenariat, mais pas sur l’aide. Lors de sa visite au Sénégal, il soulignait que les Etats-Unis avaient compris que l’Afrique est devenue un grand marché mais aussi un enjeu géopolitique.
Parce que la Chine est en train d’avoir une influence réelle surtout en Afrique de l’Est où pratiquement toutes les infrastructures et l’exploitation du gaz sont liées à la présence de ce pays. Les Etats-Unis étaient aussi dans cette logique de garder une certaine influence en Afrique, mais surtout de sécuriser leurs intérêts stratégiques notamment dans le golfe de Guinée où ils étaient dans une logique d’exploiter le pétrole. Si vous regardez aussi, la Corne de l’Afrique est à la fois une zone d’enjeu et d’influence.
Il y a beaucoup de pétroliers américains qui sont très souvent interceptés par les pirates. Donc le fait d’être présents dans cette zone, surtout à Djibouti, leur permet aussi de sécuriser ces enjeux stratégiques. A mon avis, cette stratégie de sécurisation des intérêts économiques sera au cœur de l’agenda de Biden. Puisqu’en vérité, au-delà de la dimension sécuritaire qui est très souvent projetée, il y a toujours ces intérêts économiques.
L’exemple du Sahel est aujourd’hui une question d’enjeu pour les grandes puissances occidentales. La France avait notamment une grande influence dans son pré-carré jusqu’à ce que les Etats-Unis viennent accompagner cette dynamique de sécurisation. Mais Trump a retiré ces troupes. Ce qui veut dire qu’il faudrait s’attendre à un retour des Américains sur le plan de la sécurité.
Mais l’élément important est la continuation de tous les programmes de renforcement de capacités. C’est aussi une façon pour les Etats-Unis d’anticiper sur toutes les poches potentielles de violence et de terrorisme en Afrique. Aujourd’hui, ils ont une base militaire à Agadez (nord du Niger) qui est la première de son genre en termes d’expérimentation des drones dans les conflits. Donc, il y a un intérêt géostratégique en Afrique.
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