La question de la protection sociale fait l’actualité au Maroc. Les sphères gouvernementale et parlementaire, les académiciens, la société civile ou encore les réseaux sociaux se sont lancés dans un débat vif et enflammé autour de la protection sociale, l’un des droits fondamentaux consacrés par les traités et conventions des droits de l’Homme, a indiqué le journaliste et chercheur en droit, Jamal El Mohafid.
S’il est positif de prêter attention à la question de la protection sociale et de sensibiliser à son importance en tant que priorité des politiques publiques, non seulement au niveau national mais également sur plan international, le discours sur la protection sociale butte sur une équation étrange celle du taux élevé de la précarité et de la pauvreté dans les mondes urbain et rural, une situation exacerbée encore par ce que rapportent et diffusent largement les médias et les réseaux sociaux en ce sens, a-t-il relevé dans un article écrit sur les colonnes du site électronique « Hespress ».
A l’aube de l’indépendance, le mouvement national, à travers ses ailes associatives, constituées d’organisations sociales oeuvrant dans les domaines de lutte contre l’analphabétisme, de volontariat, de protection sociale et de l’éducation des jeunes, a appelé à accorder une attention particulière au domaine social, chose qui n’avait pas abouti à des résultats concrets. Ainsi, durant les années 1980, la situation économique et sociale s’était dégradée de façon alarmante en raison des politiques publiques adoptées à cette époque, plombée par le Programme d’Ajustement Structurel (PAS), imposé par les institutions de Bretton woods, ce qui a impacté négativement sur l’économie nationale et les classes populaires menaçant même la stabilité et la sécurité du pays et ses efforts pour asseoir la paix sociale, a rappelé le chercheur et académicien marocain.
Une décennie d’application de ce plan se révèle désastreuse. Les résultats catastrophiques de ces programmes, qui marginalisaient les secteurs sociaux de base, risquaient de conduire le Maroc au début des années 90 à ce que le défunt Roi Hassan II appelait « crise cardiaque ». Le salut viendra de la politique. Sous couvert d’ouverture démocratique, le défunt monarque faisait appel à l’opposition. Le gouvernement d’alternance consensuelle était né.
L’objectif n’est pas de rappeler cette étape de l’histoire politique, économique et sociale du pays, mais de mettre l’accent sur les répercussions de l’étape actuelle dans le mesure où les diverses forces vives du pays et les différents acteurs dressent une image sombre de la situation du système de protection sociale en dépit des efforts consentis de part et d’autre.
En effet, les données officielles nationales et les rapports internationaux font état de la faiblesse et de la fragilité de la situation sociale dans le Royaume, outre les déséquilibres structurels des systèmes de protection sociale et la mauvaise gouvernance – près de 60% de la population active se trouve sans protection sociale -, ce qui confère à ce chantier un caractère urgent et prioritaire, a-t-il indiqué.
Les chiffres fournis par le dernier rapport du Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE) sur la protection sociale, sont forts peu reluisants d’une situation qui ne semble pas s’arranger outre mesure avec le temps. De ce fait, près de 60% de la population active occupée, soit 6,2 millions de personnes ne sont couvertes par aucun régime de retraite. Les régimes obligatoires de pension se limitent aux salariés des secteurs publics et privés.
Un total de 800.000 salariés du secteur privé ne sont pas déclarés à la Caisse Nationale de la Sécurité Sociale (CNSS), dont 50% sont actifs dans le secteur agricole et d’autres activités précaires, alors 46% de la population ne bénéficient pas de la couverture maladie. De même, une minorité de salariés du secteur privé bénéficie d’une assurance contre les accidents du travail et les maladies professionnelles, sans oublier l’absence d’un régime dédié à la protection sociale de l’enfance, des personnes en situation de chômage et des personnes en situation de handicap.
Dans ce contexte et afin de promouvoir le système de protection sociale, les acteurs des droits de l’Homme plaident pour la conformité des politiques publiques de protection sociale avec les standards normatifs internationaux, y compris la généralisation de la protection sociale, l’adéquation des subventions, la non-discrimination et l’égalité du genre, l’intégration des personnes exerçant dans l’économie informelle et l’innovation dans les mécanismes de financement.
Dans cette perspective, le système de la protection sociale est toujours dans l’attente de la mise en œuvre des engagements du gouvernement de procéder à une refonte de ce secteur, à travers l’adoption d’un régime plus efficace, intégré, harmonieux et efficace, et l’implication de tous les intervenants dans ce domaine sans exception aucune, tout en préservant les acquis sociaux et en promouvant et en renforçant le système mutualiste national au lieu de l’anéantir.
Par conséquent, chacun doit assumer ses responsabilités en mettant en œuvre, avec l’urgence et la célérité, les plans sociaux selon une approche participative, sans exclusion ni marginalisation.
Il va sans dire que la réussite de ce chantier central et prioritaire de la protection sociale ne peut aboutir qu’à travers la mise à l’écart de la surenchère politique en matière d’action sociale, afin de parvenir à la réalisation de la justice sociale et spatiale et à la consécration de la démocratie sachant que la protection sociale et la démocratie sont deux faces d’une même pièce.
Dans son dernier discours du Trône, le Roi Mohammed VI a relevé qu’ « il est insensé que plus de cent programmes de soutien et de protection sociale, de différents formats et se voyant affecter des dizaines de milliards de dirhams, soient éparpillés entre plusieurs départements ministériels et de multiples intervenants publics.
En fait, ces programmes empiètent les uns sur les autres, pèchent par manque de cohérence et ne parviennent pas à cibler les catégories effectivement éligibles ».
Ainsi, l’ampleur du déficit social et les modalités de réalisation de la justice sociale et territoriale, poursuit le Souverain, requiert d’entreprendre « une restructuration globale et profonde des programmes et des politiques nationales d’appui et de protection sociale ».
Pour rappel, le gouvernement marocain s’est engagé, dans la loi de finances 2019, à donner la priorité aux politiques sociales dans les programmes d’éducation, de santé, d’emploi et de protection sociale et à soutenir le pouvoir d’achat des citoyens. En novembre dernier, le ministère des Affaires générales et de la Gouvernance a organisé les premières Assises nationales sur la protection sociale avec pour objectifs de dresser le bilan de l’expérience marocaine en matière de protection sociale et d’ouvrir le débat sur les enjeux et les défis de mise en place d’un système de ciblage à même de garantir une meilleure efficacité et efficience de l’action publique dans ce domaine.
HA/APA