Entre le gouvernement malien et les groupes armés signataires de l’Accord de paix d’Alger, le torchon a commencé à brûler quelques mois après l’arrivée des militaires au pouvoir.
En pleine reconquête des territoires occupés par des groupes armés au nord du pays, les autorités maliennes de transition décident de couper le robinet aux membres du Conseil national pour la réforme du secteur de la sécurité (CNRSS). A l’issue du Conseil des ministres du mercredi 18 octobre, le Premier ministre Choguel Maiga a fait savoir que les primes et indemnités allouées par l’Etat à cet organe stratégique d’orientation et de décision de la réforme du secteur de la sécurité au Mali seraient désormais suspendues. Cette mesure ne concerne toutefois pas les représentants du gouvernement et ceux des Mouvements de l’Inclusivité, précise-t-il.
D’après le communiqué du Conseil des ministres, cette décision qui frappe les membres du CNRSS se justifie par « la suspension unilatérale de leur participation aux activités des structures de mise en œuvre de l’Accord pour la Paix et la Réconciliation, issu du processus d’Alger, la déclaration officielle de guerre à l’Etat du Mali ainsi que les attaques perpétrées contre des camps et des positions militaires, qu’ils revendiquent ».
Depuis le 10 septembre dernier en effet, les groupes armés membres du Cadre stratégique permanent pour la paix, la sécurité et le développement (PSD-CSP) ont promis d’agir en légitime défense en lançant des assauts contre les camps de l’armée malienne. Ils accusent celle-ci, en complicité avec « des paramilitaires de Wagner », de profiter de la rétrocession des bases de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma) pour attaquer leurs positions.
C’est ainsi que les groupes rebelles ont lancé une série d’attaques contre des camps de l’armée malienne dans les localités de Bourem (Gao) le 12 septembre, Léré (Tombouctou) le 17 septembre, Dioura (Mopti) le 28 septembre, Bamba (Gao) le 1er octobre et le 5 octobre 2023. A ces attaques s’ajoutent des embuscades souvent meurtrières visant à empêcher l’armée nationale de progresser vers Kidal, ville stratégique du nord Mali considérée comme le fief de la rébellion lancée en 2012. Déjà en agonie depuis sa signature en 2015, l’Accord de paix issu du processus d’Alger, à travers cette reprise des hostilités entre parties signataires, semble tombé en désuétude.
Entre le gouvernement malien et les groupes armés signataires, le torchon avait commencé à brûler depuis fin 2022, presque deux ans après l’arrivée des colonels au pouvoir à Bamako sous la conduite d’Assimi Goïta, tête de file des deux coups d’Etat en août 2020 contre le défunt président Ibrahim Boubacar Keita et en mai 2021 contre le président de transition Bah N’daw.
Les groupes armés qui avaient sollicité en vain la tenue d’une réunion hors du Mali pour évaluer la mise en œuvre de l’Accord ont finalement suspendu, en décembre dernier, leur participation aux organes et mécanismes de mise en œuvre de l’Accord en attendant que leurs exigences soient satisfaites. En guise de représailles, les nouvelles autorités de transition ont suspendu les primes et indemnités qui leur étaient octroyées pour leur participation aux différents mécanismes et organes de mise en œuvre de l’Accord de paix.
Mis en place par le décret n°2016- 0401/P-RM du 09 juin 2016, le CNRSS était jusque-là le seul mécanisme de l’Accord à être exempté par les mesures de rétorsion de la junte alors que sa mission consistait à mettre en œuvre la réforme du secteur de la sécurité au Mali. Certaines voix craignent ainsi que cette mesure vienne sonner le glas du processus de paix dans le pays miné par les violences jihadistes et par les actions des groupes rebelles indépendantistes.
La décision du gouvernement de transition intervient également à un moment crucial où les autorités, à travers les forces armées maliennes, livrent des batailles aux groupes armés du CSP-PSD pour le contrôle de l’ensemble du territoire national, notamment la région stratégique de Kidal. Cette opération militaire est menée à la faveur de la rétrocession en cours des emprises de la Minusma dont le processus de retrait initié depuis le 1er juillet dernier est censé prendre fin avant le 31 décembre prochain.
Seule force qui s’interposait jusqu’ici entre ces protagonistes à travers des dispositions comme le cessez-le feu signé en 2014, la Minusma, à travers sa Commission de sécurité technique (CTS) et ses Équipes Mixtes d’Observation et de Vérification (EMOV), semble plus que jamais préoccupée par son retrait du Mali. Elle entend par tous les moyens respecter la date butoir du 31 décembre prochain malgré la précarité de l’environnement sécuritaire qui prévaut actuellement dans ce pays sahélien.
MD/odl/te/APA