Des experts expliquent pourquoi les voisins de la Libye ont raison de s’inquiéter suite à l’annonce d’un déploiement militaire turc dans ce pays.
Le Président Turc Recep Tayyip Erdogan a annoncé dimanche soir le début du déploiement de soldats turcs en Libye, conformément au feu vert donné par le parlement la semaine dernière. L’enjeu de cette intervention est de sauver le régime du Premier ministre, Fayez al-Sarraj reconnu par la communauté internationale, mais contesté par une coalition de forces politico-militaires menées par le maréchal Khalifa Haftar, leader de l’Armée nationale libyenne (ANL) autoproclamée basée à Benghazi, dans l’est du pays.
Ce militaire aux méthodes parfois violentes et expéditives qui ambitionne d’être l’homme fort de la Libye est activement soutenu par l’Egypte, l’Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis, trois puissances farouchement hostiles aux nouvelles ambitions de puissance que manifeste depuis quelques années la Turquie dans le monde arabe et musulman.
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Ce déploiement militaires turc en Libye fait suite à plusieurs déclarations récentes du président turc annonçant sa disposition à soutenir le gouvernement Saraj, s’il en faisait la demande. Il fait surtout suite à la signature fin novembre dernier à Istanbul d’un accord de coopération militaire, sécuritaire et maritime entre la Turquie et le gouvernement Saraj qui permet à ce dernier de faire appel à l’aide militaire turque.
Selon Ankara, cet accord est censé « renforcer les liens entre les deux armées ». « Nous protégerons les droits de la Libye et de la Turquie dans la Méditerranée orientale », avait notamment déclaré Erdogan dans la foulée de la signature de cet accord à la télévision turque, ajoutant que « nous sommes plus que prêts à apporter tout le soutien nécessaire à la Libye ».
Selon le politologue Jalel Harchaoui, chercheur à l’Institut néerlandais des relations internationales de la Haye, interrogé par APA, cette intervention a des raisons circonstancielles.
« La Turquie a constaté en 2019 que les diplomaties occidentales, en tout cas européennes, étaient excessivement assujetties à leur amitié avec les Etats du Golfe, en premier lieu, les Emirats Arabes Unis qui nourrissent un objectif de suprématie totale en Libye », explique t-il. Selon lui, les Européens et les Etats du Golfe qui n’auraient pas réussi militairement en Libye ont manqué de pragmatisme. Ce qui constitue une opportunité pour la Turquie.
« Le fait de voir un Etat non arabe extérieur à l’Afrique du nord, non occidental et anti-européen arriver et affirmer une présence militaire ouvertement visible en Libye constitue une sorte d’humiliation pour les Européens », estime Jalel Harchaoui.
L’intérêt de la Turquie pour la Libye n’est pas nouveau, soutient le journaliste algérien spécialiste en défense et sécurité Akram Kharief. A son avis, la Turquie et la Libye ont des liens historiques qui remontent à l’époque ottomane, quand ce vaste pays de Afrique du nord était une province de l’empire ottoman. Les deux pays sont aussi liés par des liens commerciaux importants depuis plusieurs années.
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« Depuis l’insurrection en Libye contre le régime du colonel Mouammar Kadhafi en 2011, la Turquie s’est beaucoup rapprochée du courant des Frères musulmans en Libye. A travers cette proximité, Erdogan qui ambitionne d’étendre l’influence turque là où cela est possible se crée une alliance de taille dans le jeu inter-libyen, les Frères musulmans libyens étant un des soutiens importants du gouvernement de Saraj. Ce qui peut aussi lui servir au plan interne. Il a échappé à un coup d’Etat. En intervenant en Libye, il essaie de renforcer au maximum son pouvoir et une victoire dans ce pays serait pour lui un triomphe qu’il n’hésitera pas exploiter à des fins politiques internes», analyse Harchaoui.
Très critiquée par une bonne partie de la communauté internationale, l’ONU et l’Union africaine en tête, l’intervention militaire turque est suivie avec beaucoup d’inquiétudes par les voisins nord-africains et sahéliens de la Libye. « Le fait d’avoir un pays stable, unifié et doté des attributs d’un État fort peut aider à réduire le phénomène du trafic des armes et empêcher le développement des zones de repli aux groupes armées qui se trouvent au Sahel. La stabilité de la Libye est donc de ce point de vue très importante pour ses voisins. Il est donc normal qu’ils s’inquiètent des conséquences éventuelles d’une intervention militaire dont personne ne peut augurer de l’issue», estime Akram Kharief.
Pour Jalel Hachraoui, ces inquiétudes sont légitimes aussi, d’autant plus que l’intervention turque en Libye peut provoquer l’entrée en guerre des autres puissances étrangères qui soutiennent le maréchal Haftar: l’Egypte, l’Arabie Saoudite mais surtout les Emirats arabes dont l’engagement militaire est notoire, avec notamment des frappes aériennes fréquentes en faveur de leur favori. « Le conflit inter-libyen a déjà profondément divisé le pays. Voir la Libye devenir le terrain d’affrontement des armées suréquipées de pays comme la Turquie ou les Emirats par exemple ne fera qu’aggraver la situation et pourra provoquer une ruée d’acteurs de toute sorte, y compris des groupes jihadistes. Ils sont déjà présents dans le pays et au Sahel voisin et ils pourraient rapidement être tentés par faire de la Libye un nouveau refuge, mais aussi un territoire majeur de jihad comme ils l’ont fait en Syrie et en Irak avant la chute du Califat autoproclamé de l’Etat islamique entre 2014 et 2019 », prévient Jalel Harchaoui.
FTK/te/APA