Une expérience menée sur une vingtaine d’enfants a montré que le yaourt à base de lait de chèvre, aux valeurs nutritives très proches du lait maternel, peut aider à combler les retards de croissance dus à la sous-alimentation.
À Louga, région située dans le Nord-Ouest du Sénégal, plusieurs bébés souffrent de malnutrition. Celle-ci est généralement due à une ration alimentaire insuffisante en quantité et en qualité, mais aussi à diverses maladies. La dénutrition inclut aussi un défaut d’accès aux aliments au sein de la famille, des pratiques maternelles et de soins inadéquats pour les enfants, un défaut d’accès aux services de santé et/ou à des systèmes d’hygiène et d’assainissement.
La pauvreté généralisée, la répartition et le contrôle inégal des ressources, des décisions d’ordre politique ou idéologique ou une insuffisance d’accès aux services sociaux de base (protection sociale, santé, éducation…) peuvent également conduire à une sous-alimentation des nourrissons.
Cette situation, aux conséquences néfastes pour la croissance des bébés, peut être résolue grâce au lait de chèvre. Dans une recherche intitulée : « Études des performances de productions laitières et de croissance des chèvres Saanen, métisses et locales ; utilisation du yaourt de chèvre comme traitement pour les enfants souffrant de malnutrition à Louga », Mamadou Korka Diallo, élève ingénieur agronome en fin de cycle à l’École nationale supérieure d’agriculture (Ensa) de Thiès a pu observer une augmentation significative du poids des bébés sur qui cette expérimentation a été menée.
« Nous nous sommes résolus à faire une étude scientifique sur l’apport de 250 grammes de yaourt ingéré par l’enfant souffrant de malnutrition modérée sur sa croissance. L’étude a duré 6 mois dont 105 jours pour le recueil des données de performances zootechniques et 60 jours pour les tests nutritionnels. Cela nous a permis de constater une augmentation moyenne du poids des bébés de l’ordre de 200 grammes par semaine pour ceux âgés de moins d’un an. Nous avons donc conclu que le lait de chèvre peut être un palliatif à la sous-alimentation des bébés », explique le jeune chercheur.
Un produit plus favorable aux bébés de moins d’un an
Pour mener cette étude, M. Diallo a travaillé sur un échantillon d’une vingtaine de bébés âgés de 6 à 36 mois. Au terme de l’expérience, les nouveau-nés de moins d’un an ont affiché les meilleurs résultats. « Après un mois d’expérience, nous avons remarqué que les enfants de moins de douze mois avaient plus de gain. Fort de cette expérience, nous avons décidé de sélectionner des enfants de cette tranche d’âge pour améliorer les résultats. Si l’expérience était à reproduire, je conseillerais de privilégier cette catégorie de nourrissons », souligne l’infirmière cheffe du poste de santé de la Congrégation des Filles du Saint-Cœur de Marie, la sœur Léonie Diagne.
Née avec un poids très faible, Dieynaba Ba en est le parfait exemple. « Cette petite fille était la plus performante du programme. Elle est la première à être libérée pour guérison. Née avec un poids de moins de 600 grammes, elle a gagné, après chaque semaine d’expérimentation, 200 grammes grâce à la consommation régulière de notre yaourt », affirme l’élève de l’Ensa.
Bien en forme, Mohammed Ba a aussi bénéficié du traitement prodigué à Dieynaba Ba. Pour sa maman, Ndèye Fatou Diouf, cette expérience est à pérenniser. « À sa naissance, mon fils souffrait de malnutrition et avait un poids très faible. Il tombait souvent malade. Mais grâce à ces produits et aux soins des sœurs, il a maintenant un poids normal et se porte très bien. Nous vous sommes très reconnaissants et vous témoignons notre désir de voir ce projet continuer pour le bien-être de tous les bénéficiaires », plaide-t-elle.
Un résultat fruit de la recherche-action
L’une des missions de l’Institut sénégalais de recherche agricole (Isra) est la création de connaissances scientifiques, la production d’innovations technologiques, la mise au point d’outils d’aide à la décision pour l’amélioration de l’agriculture et de l’élevage, mais aussi la valorisation et le transfert des résultats des recherches.
C’est dans ce cadre que s’inscrit l’étude susmentionnée qui est partie de la mise en place des activités du projet d’Accélération des Impacts de la recherche Climatique (AICCRA, sigle en anglais) du Groupe consultatif pour la recherche agricole internationale pour l’Afrique (CGIAR, sigle en anglais).
Celui-ci est orienté vers l’élevage avec au départ comme directive l’accompagnement et la promotion des chaînes de valeurs lait et viande. Pour ce faire, un accent particulier a été mis sur les éleveurs de caprins. Des boucs améliorateurs de la race Mahorera et des femelles Saanen ont ainsi été mis à la disposition de quelques éleveurs pilotes.
L’Isra les a guidés sur tout le modèle incluant la maîtrise de la conduite alimentaire qui devait être accompagnée d’un champ fourrager, mais aussi de la valorisation de ressources fourragères locales.
« À Louga, nous avons fait recours aux fanes et tourtereaux d’arachides, les cultures fourragères comme le panicum, le Maral alfa et la luzerne. AICCRA y a ajouté la variété 55 : 14 du niébé fourrager qui donne de la fane de qualité qui peut titrer jusqu’à 16 % d’azote. C’est en fonction de la disponibilité de ces différentes ressources que nous avons formulé des rations pour accompagner la chèvrerie. Grâce à ça, nous sommes passés de moins d’un litre de production de lait par jour à 6 litres sans finir le contenu de la mamelle », a indiqué le Dr Fafa Sow, médecin vétérinaire au Centre zootechnique de Dahra Djolof. Le Dr Sow qui a encadré Mamadou Korka Diallo est zootechnicien et chercheur à l’Isra dans le domaine de la nutrition animale.
« Grâce à nos recherches, nous savons qu’une chèvre ne peut consommer, au maximum, que 2 kilos de fourrage par jour. Il fallait maintenant choisir entre la fane d’arachide contenant 7 % d’azote et celle du niébé doté de 16 % d’azote. Nous avons proposé la dernière. Comme concentré, nous avons choisi les coques d’arachides et les tourteaux broyés. Cette composition nous a permis d’obtenir ces résultats », détaille le chercheur de l’Isra.
Une mise à l’échelle réussie de l’Ouganda vers le Sénégal
Fort de ces résultats et d’une expérience qu’il a vécue lors de sa formation doctorale en Belgique, Dr Fafa Sow a pensé valoriser la production laitière par la transformation, mais également par le test de consommation au sein de la population.
« L’objet du mémoire de M. Diallo était uniquement de tester des rations à base de sous-produits pour voir comment améliorer la production laitière et former l’éleveur à la transformation du yaourt pour faire son business. Par hasard, nous avons rencontré les sœurs qui assistaient les familles dont les enfants souffraient de malnutrition. Je leur ai proposé d’incorporer le lait de chèvre dans l’alimentation des enfants qu’elles suivaient sans pour autant leur expliquer mon expérience antérieure en Ouganda où le yaourt à base de lait de chèvre a donné d’excellents résultats », explique Dr Sow.
Au poste de santé, la sœur Léonie suivait déjà quelques enfants malnutris. Une ration constituée de bouillie à base de farine de divers aliments localement disponibles leur était donnée. Pour le test de consommation du yaourt, deux échantillons, dont la variable était l’âge, ont été sélectionnés. Le premier était constitué d’enfants de moins d’une année à 36 mois et le second d’une année ou plus.
Pour les premiers, Dr Sow a préconisé un quart de litre de yaourt par jour et jusqu’à 0,5 litre de yaourt par jour pour ceux dont l’âge dépasse un an. « Nous devrions comparer les résultats des deux lots au bout d’un an d’expérience. Mais après 45 jours de consommation du yaourt à base de lait de chèvre, j’ai reçu des résultats de suivi de l’infirmière qui montrent que plus de 50 % des enfants suivis sont sortis du critère malnutri et sont désormais au critère normal. Ce sont les mêmes résultats qui avaient été observés en Ouganda », confie l’encadreur.
Des produits naturels
Au Sénégal, le dérèglement climatique, marqué par de longues saisons sèches, fait fluctuer considérablement les ressources fourragères d’une année à l’autre ainsi que la valeur fourragère des parcours naturels. Ces mutations du contexte agricole ont progressivement entraîné une marginalisation de l’élevage qui doit trouver de nouvelles stratégies d’adaptation pour être productif.
AICCRA promeut ainsi des espèces climato-intelligentes pour aider les agropasteurs à être résilients. « Quelle que soit la qualité ou la pertinence de nos résultats, la question du rapport entre notre approche et les indicateurs climato-intelligents revient très souvent. Avant de faire quoi que ce soit, nous tenons toujours compte de l’approche agro-écologique. Ces fourrages ont été produits naturellement et ne contiennent aucun produit chimique. De même, pour faire le yaourt, nous utilisons la présure de veau. Cela nous permet d’avoir un produit qui est naturel à 99 %. Tout cela tient compte des indicateurs que AICCRA – SN cherche à valoriser dans une approche climato-intelligente », indique le zootechnicien.
Ce système présente également plusieurs avantages pour les bénéficiaires. « Pour l’éleveur, c’est de lui dire que tu ne dois pas avoir une chèvrerie et dépendre des produits industriels pour nourrir tes bêtes. Nous encourageons l’agropastoralisme. Cela veut dire que tout détenteur d’une chèvrerie doit avoir un champ de production de fourrages où l’on peut aussi introduire des activités d’agro-fruiteries et de maraîchage. Nous encourageons toujours ces fermes mixtes. L’approvisionnement en eau est assuré par une pompe solaire qui rend ces activités très économiques. C’est un modèle que AICCRA doit encourager et qui, promu, permettra d’avoir des jeunes agri-preneurs totalement indépendants et qui vont à leur tour recruter d’autres jeunes », espère Dr Fafa Sow.
ARD/id/ac/APA